Le Concerto pour piano n°23 de Mozart est tellement célèbre qu'il s'agit ici du second concert de la saison de l'Orchestre Philharmonique de Radio France où il est donné. L'automne dernier, cette partition a été le refuge d'un Evgeny Kissin, diminué, qui n'était pas en mesure de jouer Rachmaninov. En ce printemps, il s'agit du témoignage d'un jeune Mao Fujita, qui possède tous ses moyens. Et quels moyens ! Dans le premier mouvement noté Allegro, après une introduction orchestrale où Marek Janowski fait sonner les cordes du Philhar de façon légère et transparente, l'irruption du soliste interpelle d'emblée l'oreille. Mao Fujita, dans sa façon d'exposer le premier thème, nous donne l'impression que son jeu est aussi juvénile que son visage. L'ambiance est douce, le phrasé très staccato est espiègle, et on sent tout le plaisir du pianiste dans ces pages de Mozart, qu'il s'approprie pleinement dans un discours personnel mais en même temps fidèle à la musique. On entend ici un Mozart joyeux, espiègle, libre. Ce jeu est l'incarnation de la joie pure, avec un toucher délicat, serti d'ornementations délicieuses et jamais de trop, bien au contraire. Mais la fougue de la jeunesse laisse place à la sobriété et à une étonnante maturité dans l'Adagio. Le jeu de Mao Fujita devient profond et sensible. Le toucher est doux, la phrasé, simple mais percutant. Janowski de son côté dirige sans emphase, peu de vibrato au violon, avec des vents en revanche qui s'illustrent remarquablement (clarinette et basson). Ici, l'homogénéité est privilégiée, et l'hésitation est constante, dans cette oscillation des phrases entre la tonalité majeure et la tonalité mineure. Le dernier mouvement enfin, redevient joueur et joyeux. Mais cela n'empêche pas le chef de rester sérieux. L'Orchestre Philharmonique de Radio France ne déborde pas, et maintient son engagement et surtout la tension de cette musique. Mao Fujita tout en délicatesse, combine le côté virtuose du premier mouvement avec la sobriété de l'adagio. on apprécie une fois de plus sa technique, avec des trilles merveilleux et des ornementations toujours aussi bien sentie. Mais surtout, son écoute attentive des pupitres de l'orchestre, avec lesquels il joue en très bonne intelligence, surtout les bois. Une très belle entrée en matière. Mao Fujita revient par la suite pour un bis, où il interprète le Prelude en do majeur Op.12 n°7 pour harpe de Prokofiev, dans une transcription pour piano où les arpèges du pianiste font merveille.
Bruckner commence à travailler sur sa neuvième et dernière symphonie en 1887. Mais la mauvaise réception de sa huitième va le conduire à la réviser, et remiser sa neuvième, jusqu'en 1891. Mais malheureusement, à sa mort en 1894, il n'avait fini que le troisième mouvement, laissant ainsi son oeuvre inachevée. Et pourtant, quelle meilleure conclusion que cet Adagio, véritable adieu à la vie ? Dans le premier mouvement, (solennel et mystérieux), l'orchestre est bien plus fourni que chez Mozart. Avec notamment les Wagner tuben dans le pupitre de cuivres. Marek Janowski, qui dirige par coeur, obtient immédiatement un climat qui capte l'auditeur dans l'introduction. Le trémolo des cordes est intense, et on sent que la performance sera physique tant le chef exige d'engagement. L'irruption du premier thème permet d'exposer la générosité des cuivres. Il fait chaud dans l'auditorium, et cette musique ne fait absolument pas baisser la température. L'intensité de ce premier tutti emporte tout, tant la véhémence de la direction de Marek Janowski exploite toute la richesse de cette musique, notamment dans les contrechants. Les blocs s'enchainent, comme d'habitude dans l'écriture de Bruckner. L'équilibre des plans sonores est à souligner (superbes bois), malgré l'enthousiasme porté dans les nuances, tout cela ne déborde pas. Au contraire, l'architecture de l'ensemble est fidèlement exposée, et tout le matériau thématique est proposé avec clarté. Le fracas du scherzo arrive comme le glas. La tension imprimée à l'Orchestre Philharmonique de Radio France par Marek Janowski est irrespirable. Le pupitre de violoncelle est mis à rude épreuve, les archets qui souffrent. Aucune emphase, aucune atténuation. Ce scherzo impitoyable est pris au premier degré. Sans concession. Le poids entier de l'orchestre s'imprime dans le martèlement rythmique, et il atterrit dans les oreilles. Une densité dans le son rarement atteinte. Le trio allège à peine l'atmosphère tant las tension reste présente. Les flûtes grinçantes, le pointillisme des cordes, les pizzicatos piquants et acides, tout dans ce mouvement fait réagir de façon viscérale. Mais enfin un peu de douceur avec l'Adagio. Mais étonnamment, toujours aussi peu de vibrato aux cordes. Les thèmes s'enchainent en alternant entre la crainte et la confiance. Avant un merveilleux dernier tutti, qui galope sur la game chromatique, en amenant de la tension, et des questions. Le fait d'imprimer autant d'intensité n'en rend que la conclusion plus douce. Le coeur est plus léger, et lorsque l'on sent la musique disparaitre peu à peu sur une nuance piano, on se sent étrangement plus serein. Une interprétation remarquable d'une symphonie qui, bien qu'inachevée, produit pleinement son effet.