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| Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... | |
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/ Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Dim 15 Mai 2016 - 22:45 | |
| (Pourquoi le sérialisme ?)Les précurseursÇa fait fort longtemps que je projette des choses sur ce sujet, mais rien ne s'est jamais concrétisé jusqu'au bout. J'ai pensé récemment à cet angle, il y a plusieurs choses que j'aimerais essayer de dire qui s'y rapportent plus ou moins. Puis il y a quelques jours j'ai écrit rapidement quelque chose sur les « précurseurs » (ou pas), pour bonne partie de mémoire, parce que j'avais préparé ça dans le détail il y a un certain temps... euh, deux ans en fait. (Je peux toujours retrouver les détails pour la plupart des noms au besoin — il y a aussi quelques noms que j’ai totalement écartés, et d’autres que je n’ai pas encore pris le temps d’étudier, Valen notamment.) Je commence plus ou moins hors sujet donc (peut-être pas tant que ça), mais ce n'est pas inutile il me semble. Et j'espère que le temps de maturation sera plus court pour le reste. Bon et... comprenez bien que je n’ai pas de formation musicale, etc., ce ne sont que quelques réflexions, voyez ça presque comme des et si, surtout pour la suite. * L’invention de Schönberg n’est pas un fait isolé. Ce n’est pas une justification en soi, mais il n’est pas inutile de le rappeler. Schnittke, par exemple : « Lorsqu’une nouvelle technique ou un nouvel ensemble d’idées apparait, ce n’est pas quelque chose qui vient à l’esprit d’un seul individu, mais quelque chose qui s’infiltre dans l’air. Hauer et Schönberg, Golyscheff et Obouhow. Et je n’attache pas de réelle importance à la question de savoir qui l’a découverte le premier. » (entretien avec Ivashkin). Si je propose ce rapide panorama, c’est aussi qu’il permet d’élargir d’emblée les horizons… d’intuitionner que le sérialisme est quelque chose au-delà de l’orthodoxie schönbergienne. 1. Rétrospectivement, on s’est amusé à chercher des suites de douze sons sans répétition chez Mozart, Liszt ou d’autres. C’est parfois amusant, mais de peu d’intérêt. Cela en a déjà plus quand la suite dodécaphonique apparait dans un thème, comme par exemple dans la fugue d’ Also Sprach Zarathustra de Strauss (1896) ou le prologue d’ Arlecchino de Busoni (1914), même si ça reste d’une importance anecdotique. 2. Là où ça devient plus intéressant, c’est en Russie, dans l’entourage de Scriabine. Des déclarations à la fin de sa vie (sa musique serait scrupuleusement contrôlée par des lois strictes) ont suscité les fantasmes les plus fous, jusqu’à faire de Scriabine un Schönberg russe. Les analyses de Sabaneiev vont déjà dans ce sens, dès son article sur Prométhée paru dans l’almanach du Blaue Reiter (1912) — dans lequel on trouve aussi un article, une partition et deux tableaux de Schönberg, au passage. Puis vinrent Kelkel, Perle et d’autres. Dit rapidement, l’idée est la suivante. Alors que Schönberg compose à partir de séries (horizontales et ordonnées), les hauteurs chez Scriabine seraient organisées à partir d’accords synthétiques (au pluriel, non pas le seul accord de Prométhée) de plus en plus larges, jusqu’au accords à douze sons de l’ Acte. On a là un Scriabine fantasmé, sans doute, comme il y aura un Webern fantasmé par Darmstadt. Mais n’est-ce pas le propre de ces figures fondatrices quasi mythiques, en arts comme dans toutes les disciplines, d’être dépassées par elles-mêmes ? Puis, dans la descendance de Scriabine, on trouve des choses qui se rapprochent plus nettement d’une écriture sérielle. Roslavets, dès 1913, compose dans de nombreuses pièces à partir d’un nombre réduit d’accords (souvent de 5 à 8 sons), parfois symétriques, qu’il transpose à tous (ou pas) les degrés. Il parle explicitement d’un nouveau système d’organisation des sons, destiné à remplacer l’ancien système. « Roslavets commence là où Scriabine finit », écrivit Sabaneiev. Entre parenthèses, Roslavets connaissait la musique de Schönberg, qui était connu en Russie depuis 1912. En 1923, il écrit un essai sur le Pierrot lunaire. Mais le moment de rupture, ce sont pour lui les trois pièces op.11. Les œuvres dodécaphoniques, en revanche, ne seront découvertes en Russie que très tardivement. Il y a possiblement des techniques pré-sérielles et pré-dodécaphoniques chez Lourié, dès le début des années 1910, mais je n’ai pas beaucoup plus d’information. Encore une parenthèse, Marinetti visite pour la première fois Saint-Pétersbourg en 1908. Le manifeste du futurisme russe est publié en 1912, et c’est Lourié qui signe la partie musicale. Il y a peut-être un passage d’idées. L’ Esquisse d’une nouvelle esthétique de la musique de Busoni (1907) est également connu en Russie. Puis vient Obouhow, chez qui cela devient vraiment très troublant. Dès 1914, il y a dans ses œuvres des éléments dodécaphoniques, des techniques très nettement sérielles (un sérialisme vertical, comme chez Roslavets), une nouvelle notation sans altérations, et le tout dans une conception totale polystyliste puisqu’il superpose des systèmes tonal (diatonisme), bitonal (notamment superpositions majeur-mineur) et “absolu” (dodécaphonisme vertical), avec même quelquefois un peu de microtonalité. Il y aurait vraiment beaucoup de choses à dire là-dessus, mais je passe rapidement. Wyschegradsky écrit ceci à propos d’Obouhow : « Schönberg et Obouhow sont foncièrement différent : autant la démarche d’Obouhow est harmoniste, celle de Schönberg est polyphoniste. Chez Schönberg, la prise de conscience de l’équilibre des 12 sons l’a conduit à la technique sérielle, polyphonique dans son fondement. (…) Chez Obouhow, cette prise de conscience l’a amené à une harmonie des 12 sons, à savoir l’émission simultanée des 12 notes de la gamme chromatique placés à chaque fois dans un ordre différent, sans redoublement. Par conséquent, chaque accord de 12 sons présente, comme une série de 12 sons, un autre ordre hiérarchique. Dans un cas l’ordre est vertical, dans l’autre, il est horizontal. » 3. C’est ce qui distingue fondamentalement ces compositeurs des compositeurs germaniques que je vais citer maintenant : les premiers utilisent une écriture sérielle (dodécaphonique ou non) verticale, les seconds une écriture sérielle horizontale. Jefim Golyscheff imigre à Berlin en 1909, faisant le pont entre les deux groupes. Il y fréquente Busoni puis les dadaïstes. C’est de son trio à cordes qu’il faut parler — de toute façon à ma connaissance aucune autre œuvre n’a été enregistrée, ni peut-être même conservée. Il est publié en 1925, mais l’essentiel (excepté le dernier mouvement, si mes souvenirs sont bons) aurait été écrit en 1914. Il est constitué de cinq mouvements, et est entièrement dodécaphonique, dans le sens où aucune note n’est répétée tant que les douze n’ont pas été entendue, mais sans contrainte d’ordre. De plus, dans les mouvements lents (les impaires), les durées sont organisés d’une façon similaire, c’est-à-dire que dans chaque groupe de douze notes, aucune durée n’est répétées. Les durées choisies varient, et leur nombre est aussi variable puisque que quand plusieurs notes apparaissent dans un même accord elles ont la même durées. C’est dans ce sens que le trio porte comme sous-titre Zwölftondauer-Komplexe. Cela est très remarquable car cela préfigure l’application des principes sériels aux durées par Messiaen dans les années 40 (dès la Turangalîla). Le deuxième nom est le plus célèbre : Josef Matthias Hauer. À partir de 1919 il utilise un système de composition dodécaphonique très systématique. Des séries ordonnées de 12 tons se suivent de façon stricte, comme chez Schönberg. Contrairement au trio de Golyscheff, la série a ici une identité. Elle est constitué de deux hexacordes (comme chez le dernier Schönberg, comme souvent chez Babbitt). Mais elle peut également se transformer. En fait, alors que Schönberg assoupli son système en permettant de transposer, d’inverser et de rétrograder la série, Hauer a classé l’ensemble des séries dodécaphoniques possible en grands groupes, et peut passer d’une série à l’autre dans un même groupe par des jeux de permutations tout en conservant une certaine identité. La technique de transformation est donc très différente, mais c’est plus ou moins la même idée. On retrouvera des techniques de permutations après la seconde guerre, notamment aux États-Unis. Une autre technique de transformation est celle des séries proliférantes chez Barraqué. Puis Fritz Heinrich Klein et Die Maschine (1921), œuvre dans laquelle il utilise une série unique qui apparait à côté de ses formes rétrogrades, inversées et transposées. De plus cette série n’est pas n’importe laquelle, puisqu’elle contient tous les intervalles (de la seconde mineure à la septième majeure). Elle sera reprise par Alban Berg pour la Suite lyrique (1926). On l’appelle l’« accord mère ». Une série qui contient tous les intervalles, certes, mais qui a en fait des propriétés très tonaloïdes. Depuis d’autres séries contenant tous les intervalles ont été découvertes et utilisées, notamment par Nicolas Slonimsky et Elliott Carter. Et il faut encore citer les cinq pièces pour quatuor à cordes (1923) de Herbert Eimert, précurseur de la musique électronique et fondateur du studio de Cologne. 1923, c’est la date officielle de la découverte par Schönberg du dodécaphonisme sériel (ce nom vient de Leibowitz, même si on trouve une dodecafonia en 1911 chez Alaleona). En fait les dates sont tellement serrées que parler de précurseurs n’a pas tellement de sens… plutôt quelque chose dans l’air du temps, des recherches parallèles qui aboutissent à des résultats similaires. Schönberg connaissait tous ces gens, d’ailleurs, Hauer, Klein ou Eimert, mais il est impossible de savoir ce qu’il a pu prendre à l’un ou à l’autre… Eux-mêmes aussi se connaissaient, et entretenaient une correspondance qui ressemble aux échances d'un club des incompris usurpés. 4. Naturellement il est difficile de comparer cette date de 1923, celle de la présentation officielle, avec des dates tirées vers le bas voire hypothétiques. En fait, les précurseurs de la seconde école de Vienne… ce sont ses membres eux-mêmes. Schönberg travaillait à la Serenade et à la Suite, ses premières œuvres partiellement et entièrement (respectivement) sérielles depuis le début des années 20. Quant à Webern, l’anecdote des Bagatellen (1911–13) est bien connue, où l’on voit s’exercer cette tendance à l’exposition du total chromatique comme point de départ de l’organisation mélodique et harmonique : « Et j’ai eu le sentiment qu’une fois que les douze sons étaient apparus, le morceau était fini. » Ce ne sont que des exemples, et il y a probalement des choses chez Berg aussi. C’est quelque chose sur lequel je devrai revenir. Après 1945, autour de Darmstadt, beaucoup d’analyses qui deviendront des classiques décrivent les œuvres prédodécaphoniques des représentants de l’école de Vienne, en mettant en évidence leur organisation depuis un point de vue sériel. Et d’autres appliquent la même démarche à des œuvres postérieures, quitte à ignorer le principe dodécaphonique linéaire à proprement parler. C’est également une chose importante si l’on repense aux Russes. D’un strict point de vue schönbergien, Roslavets n’est pas sériel. Mais si l’on prend un peu de distance, si l’on considère l’ensemble de la musique moderne dite sérielle et ses transformations, cela fait sens. 5. Il y a quelqu’un dont je n’ai pas encore parlé : c’est Charles Ives. Comme d’habitude, c’est insupportable : il semble que peu importe de quoi l’on parle, pour n’importe quelle technique, on puisse trouver quelque chose qui la préfigure chez Ives, sans jamais pourtant faire système (encore moins école). Pour ce sujet on peut en particulier parler d’une petite pièce datée de 1901, From the Steeples and the Mountains, qui contient en germe presque toutes les techniques qui seront à la base du système de Schönberg, et même une organisation pré-sérielle des durées (qu’on trouve aussi, dans les années 1930, chez Ruth Crawford Seeger et Johanna Beyer). Du reste la spéculation musicale n’est pas quelque chose de nouveau. On sait bien que c'est quelque chose de caractéristique de certains courants de la période médiévale-renaissante, en particulier l’Ars Nova et ses prolongements. On peut penser par exemple au motet isorythmique, dont les principes n'étaient pas connus à l'époque de l'invention du dodécaphonisme, mais qui peuvent rappeler certaines techniques sérielles. Et plus généralement, l'écriture contrapuntique, une fugue, un canon, etc., on peut voir des similitudes, surtout quand il y a des jeux de renversements et de rétrogradations, par exemple chez Bach ou ses réinterprétations chromatico-postromantiques, type Reger. (à suivre)
Dernière édition par lucien le Ven 26 Mai 2017 - 16:56, édité 1 fois |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Lun 16 Mai 2016 - 0:07 | |
| Merci, Lucien. Remarquable synthèse. |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Ven 14 Juil 2017 - 17:37 | |
| QU’EST-CE QUE LA MUSIQUE SÉRIELLE ?1. Le sérialisme comme dogmatismeJe pense qu’il y a beaucoup d’incompréhension et de malentendus à propos de la musique sérielle. Cela vient en partie d’une certaine histoire de l’atonalité simplifiée par vulgarisation. Cette démonstration a certes quelque intérêt pédagogique, mais à mon avis elle donne, sans être nécessairement fallacieuse, une fausse idée, et une idée peu flatteuse, de ce qu’est la musique sérielle, et ne dit pour ainsi dire rien de l’essentiel du sujet. Vous savez, on prend la tonalité classique comme point de départ, ce qui est déjà un biais important, puis on parle des dissonances, de leur émancipation progressive, de l’atonalité libre, et on vous explique qu’un beau jour un certain Arnold Schönberg a mis au point une règle dodécaphonique afin de contrôler cette menaçante liberté : en s’interdisant de rejouer une note avant que les onze autres aient été entendues, on se prémunit contre les odieuses polarités qui menacent la sainte atonalité. Accessoirement on apostrophe une idéologie égalitaire, contre la hiérarchie tonale ( une note pour les gouverner toutes). Enfin et pour finir, on vous signale que cette règle a été étendue aux autres paramètres, durées, intensités, etc., par quelques idéologues, zélateurs et armchair composers en quête de table rase et de reconnaissance institutionnelle. Ainsi, le dodécaphonisme apparait comme un dogme, et le sérialisme intégral la variante extrême et absurde — si l’interdiction de rejouer les notes afin d’assurer l’atonalité est déjà douteuse et étrange (je reviendrai plus loin sur quelques limites du dodécaphonisme schönbergien), appliquer le même raisonnement aux durées m’a toujours semblé très difficilement défendable — de ce dogme. Un dogme, comme le sont certains éléments du langage de Messiaen par exemple, c’est-à-dire une règle arbitraire et indiscutable imposée du dehors, de façon autoritaire, avec pour seule justification qu’il doit en être ainsi. 2. Analogies visuellesAvant d’en venir à la tentative de réponse à mon titre, permettez-moi un détour récréatif. Prenez par exemple ce Mondrian (vous pouvez cliquer sur les images pour les afficher en grande dimension) : On peut remarquer que cette toile fait apparaitre une quantité très réduite d’objets picturaux, mais surtout que ceux-ci sont organisés selon une logique ou une cohérence interne. En effet, sans du tout rentrer dans le détail, les lignes ne sont pas placées et ne se croisent pas n’importe comment, mais toujours de façon similaire, et il en va de même pour les couleurs. En bref, ce ne sont pas seulement les matériaux qui objets qui sont récurrents, mais aussi leurs « schémas » d’association, d’organisation. C’est ce qui donne à la composition son unité et son caractère très régulier et uniforme. On dira que ceci est propre aux austères délires formalistes, mais on peut en fait faire le même genre d’observation pour, au hasard, ce Pollock : Ou encore : Où l’agencement et l’équilibre des courbes fait que les formes de lumière qu’elles constituent présentent malgré leur grande diversité une unité manifeste et forment un tout cohérent. Ici une arabesque donc, et j’aime bien la métaphore architecturale, parce que si un bâtiment quel que soit son style affiche une certaine cohésion, c’est parce qu’il a un certain type de courbes ou de droites qui se répondent et se font écho, certaines associations de matériaux, assemblages de masses, etc. On peut également citer la typographie : une police de caractères est homogène et a une identité propre parce qu’elle présente des régularités, que tel genre de courbe suit habituellement tel genre de contrecourbe ou tel angle, tel plein suit tel délié, que tel type de jambage présente tel type d’empattement, que les blancs sont équilibrés d’une certaine façon et pas d’une autre, etc. Eh bien la musique sérielle, grosso modo, c’est ça. Mais avant de préciser, commençons par décrire les présupposés principaux. 3. Postulats (les mythes modernistes)Ce que j’aimerais montrer est que le sérialisme repose sur un certain nombre de partis pris, qui schématiquement sont ceux du modernisme et qu’on peut discuter eux-mêmes bien entendu (ce qu’on ne fera pas ici), et qu’il en découle naturellement et en est pour ainsi dire une réponse quasi idéale. Pour la clarté de l’exposé je me limiterai à quelques-uns de ces partis pris, en en laissant d’autres de côté (notamment l’historicité). Je précise aussi que je force le trait, et que ces positions ne sont pas toujours tenues totalement ; c’est disons le terreau d’un sérialisme canonique. Le premier, c’est la conception immanente, ou immanentisme, qui dérive de l’art pour l’art, mythe moderniste par excellence. Vous connaissez la chanson, l’art s’affranchit de l’infuence du pouvoir avant de se libérer du reste pour ne plus obéir qu’à ses propres règles et fuir le miroir de Stendhal ; les latrines sont l’endroit le plus utile d’une maison, on apprend à peindre en regardant des tableaux et pas la nature, etc., et chemin faisant l’art moderne devient modernisme. Une œuvre ne peut plus que déployer les qualités inhérentes à son médium, sans référence externe quelle qu’elle soit, y compris le geste de l’artiste — et il en va de même pour la musique. Attention néanmoins : quand on dit que la musique n’exprime qu’elle même, ce n’est pas un attentat à l’expression et au sens, c’est davantage cette idée quand on dit que le poème crée par lui-même des objets de sens plutôt que de représenter par des mots des sentiments ou images qui leur préexisteraient. « La musique ne recrée pas des émotions et des états, mais représente leur cohésion mutuelle. C’est pourquoi la véritable musique donne invariablement l’impression d’être née d’elle-même, sans aide de l’extérieur. Elle doit seulement être livrée. » (Tichtchenko les amis !). Corrélativement, on évitera de recourir à des moyens stéréotypés, codifiés historiquement : une œuvre doit faire advenir ses propres ressources expressives. Le second postulat, c’est le primat du matériau, son identité et son unité. L’idée de matériau est tellement répandue en musique moderne et contemporaine qu’on oublierait qu’elle ne va pas de soi. On la retrouve çà et là dans tous les courants, écoles, elle est omniprésente dans les notices d’œuvre, à tel point qu’il a fallu attendre les années 70 pour que des voix s’élèvent contre ce fétichisme qui remonterait à Wagner (d’où le retour à Schumann en Allemagne). Plus particulièrement, le sérialisme, mais pas seulement le sérialisme, loin de là, repose sur le fantasme d’un matériau unique, minimal et total. Quelquefois il y en a plusieurs, ou bien il se modifie lui-même (sous sa propre impulsion, pour bien faire), ou encore il est davantage loi que matériau, ce qui est la même chose vu d’un autre angle, mais dans tout les cas l’idée est la même, à savoir que tout découle de ou se développe sur un élément donné de taille réduite, rarement audible lui-même mais qui constitue le principe créateur, la matrice de l’œuvre, ou la structure cristalline, et dont dérive aussi les transformations extérieures — jeu courant où l’on fait apparaitre le matériau sous des jours changeants. Enfin, la croyance, disons, que les éléments constitutifs et pertinents de la musique, ceux que le compositeur doit manipuler, sont les éléments mesurables et quantifiables. C’est, si l’on veut, une forme de réductionnisme. Ce qui n’est pas quantifiable, tout ce dont on ne peut pas établir des échelles de valeur, le compositeur s’en soucie peu, et n’a du reste pas prévu de méthodes pour s’en servir. Rien de nouveau en fait, puisque la haute tradition musicale avait toujours considéré que la musique c’est avant tout les notes et la succession des durées plutôt que le grain irrégulier, le bruissement incontrôlé ou les sons inharmoniques. Bien sûr, depuis, tout au long du vingtième siècle, il y a eu toutes les positions intermédiaires, et l’autre extrême, qui consiste à considérer que tout est à chercher dans l’insondable qu’on ne saurait voir quand on se comporte comme le logicien. Donc trois postulats : la conception immanente, le primat du matériau et le réductionnisme. Et une remarque, que d’autres modernismes sont possibles en musique. Comme au cinéma par exemple, selon qu’on considère que ce qui fait la spécificité du medium est le montage ou le plan-séquence, on fera un cinéma moderniste de nature différente. C’est avec cette idée en tête que je considère qu’il y a au moins un modernisme minimaliste, un modernisme stochastique, et un modernisme spectral. Les trois peuvent tout à fait répondre aux trois exigences que j’ai décrites, mais c’est surtout leur conception du médium lui-même qui diffère. Passons. 4. Qu’est-ce que le sérialisme ?Moïse descend de la montagne avec la loi du chiffre Douze. 1º Tu ordonneras les douze sons de la gamme chromatique dans un ordre déterminé ; 2º tu pourras renverser, rétrograder, transposer, soit au total 48 variantes de la même série ; 3º débrouille-toi pour composer quelque chose d’intéressant uniquement avec ces suites de notes. Bon, ça c’est les règles de base, qui ne disent pas grand-chose au final sur comment on compose. Mais on en restera là, vous irez vous renseigner par vous-mêmes sur le dodécaphonisme si ça vous chante. Parce que oui, c’est ce qu’on appelle ici le dodécaphonisme (d’autres sens sont possibles). Le problème avec Schönberg, c’est qu’il y a plein de problèmes avec Schönberg. Déjà, ces règles ne suffisent pas à acoucher d’une musique atonale et non polarisée, et des petits malins ont pu s’amuser à faire de la musique tonale ou polarisée dans le cadre du dodécaphonisme, ce qui laisse déjà planer quelques doutes sur le bien fondé de l’entreprise. Mais du point de vue des sériels, c’est encore plus grave. La série schönbergienne ne suffit pas à organiser l’espace sonore ; elle est à la fois de trop et pas assez. Par exemple, vous mettez douze notes, très bien, et puis quoi ? Une autre variante de la série, d’accord, mais laquelle ? Et l’intervalle qui va apparaitre entre la dernière note de la première actualisation de la série et la première de la seconde, il vient d’où ? Leibowitz tend à dire qu’on devrait équilibrer les formes de la série comme on équilibre les notes à l’intérieur même de la série, mais on n’est pas vraiment plus avancé. Verticalement, c’est pas mieux. Comme la polyphonie est l’idéal compositionnel de l’école de Vienne, vous allez jouer plusieurs formes de la série en même temps, mais le dodécaphonisme n’a (au départ) aucun moyen d’organiser l’harmonie qui en résulte : les deux séries paraissent s’entrechoquer sur des intervalles arbitraire. D’une manière générale, on ne voit pas très bien pourquoi on devrait s’encombrer de ces douze sons indivisibles qui imposent une écriture par « blocs », le pire étant quand on a une barre de mesure toutes les douzes notes... je veux dire... quoi, ça signifie que la composition n’est dodécaphonique que tous les douze sons et que dans l’intervalle elle n’est qu’« en attente » de docécaphonisme ? Non, ça n’a pas de sens. En gros Schönberg c’est pas coul, et propice à l’émergence de toutes sortes d’académismes qui vous expliquent que l’essentiel de la composition est le bon choix d’une série de douze sons (le reste est secondaire). On n’en gardera que quelques concepts généraux, comme la variation développante ou perpétuelle. Quand on l’analyse, on préfèrera s’attaquer aux opus prédodécaphoniques, relus à la lumière de techniques d’analyse nouvelles. Il reste que son système est une première tentative, maladroite peut-être, de réaliser l’idéal sériel, que l’expression « composition avec [des] sons n’ayant de rapport qu’entre eux » définit assez bien. Beaucoup est déjà fait en vérité, puisqu’on a là une technique pour composer à partir d’une mise en ordre des éléments réputés constitutifs d’une dimension musicale, celle qui est considérée comme la plus importante (ça restera le cas la plupart du temps). Mais cette technique est encore très imparfaite. Alors on commente l’anecdote rapportée par Milhaud en notant que Schönberg compose avec le dodécaphonisme, comme avec une règle qui reste extérieure à l’œuvre : un genre d’écriture à contrainte. Webern, en revanche, c’est le pied. Parce que Webern, le Webern de la maturité (à partir de l’opus 20 mais surtout pendant la période des cantates), fait un pas vers la fonctionnalisation de la série : la série devient peu à peu une fonction structurante de contrainte plus ou moins absurde qu’elle était. Cela de plusieurs manières, et je vais en évoquer quelques-unes ici. D’abord, il utilise de préférence des séries qui présentent des symétries ou des récurrences, ce qui tend à effacer l’encombrante dureté de la série derrière des figures et gestes plus brefs. Cela lui permet aussi d’emboiter une forme de la série sur une autre par le biais d’intervalles en commun et, à terme, d’effacer la série elle-même pour laisser place à une imbrication de fragments liés. Par ailleurs, il peut construire une sorte de grille harmonique à partir de telle disposition de la série et s’en servir pour toute l’œuvre. En fait, tout se passe comme si le compositeur déduisait de la série un certain nombre d’objets sonores qui prennent leur autonomie avec souplesse. C’est pourquoi l’écriture est précédée par une élaboration du matériau par analyse de la série qui elle-même n’est souvent qu’un passage obligé dans la formalisation et non une origine absolue. Par contre, un souci avec Webern, sinon qu’il hérite encore de quelques poids de la méthode Schönberg, c’est que son idéal de pureté l’amène dans bien des œuvres à une écriture (mélodie, harmonie, forme) extrêmement simpliste et didactique, qui s’épuise rapidement. D’où les reproches que la musique sérielle ne serait pas capable d’engendrer de longues œuvres, problème spécifique à Webern en fait. Cela n’empêche les cantates en particulier de rester des sommets de l’histoire de la musique et des références pour la pensée sérielle. Un héritage ambigu, donc, mais dont il ne faudrait pas passer à côté. Car — remémorez-vous les trois postulats — une fois débarrassé des scories schönbergiennes pour en extraire le noyau constitutif, que pouvait-on rêver de mieux qu’une pensée qui vous propose de structurer une œuvre à partir du matériau le plus simple et le plus total, le plus intrinsèque et le plus complet, à savoir la disposition sans redondance de ses éléments les plus nucléaires (ou considérés comme tels) — à commencer par les hauteurs ? (Au passage, on peut donner à l’absence de répétition dans la série un sens supplémentaire à la minimalité du matériau : si une note était présente deux fois, elle aurait en quelque sorte, en tant que fonction définie par sa position et son environnement, deux « existences » parallèles s’interférant l’une l’autre — phénomène intéressant mais peu conforme au canon sériel.) Il reste beaucoup à faire, à poursuivre le chemin de Webern dans la libération de la série, la fondre pour qu’elle ne devienne plus que la trame de l’œuvre, sa signature sonore, quelque chose qui fibre l’espace sonore dans toute les dimensions ; à vrai dire parfois il n’y a plus de série du tout. Mais on a trouvé la voie royale. On abandonnera le chiffre 12. Il faudra développer l’harmonie encore balbutiante, et s’attaquer au autres paramètres, en particulier les rythmes qui ne sont dans la discipline viennoise qu’un corrélat du contrepoint. Mais là encore, méprenez-vous, organiser sériellement le rythme ne signifie pas (sauf exceptions) aligner des durées comme on alignait des hauteurs chez Schönberg — ce qui serait une sorte de « dodécaphonisme intégral » (même sans 12 entités). Cependant, si j’ai dit un mot de Schönberg et de Webern, je n’aborderai pas les techniques sérielles à proprement parler. En fait, le sérialisme n’est pas essentiellement une technique, ni même un ensemble de techniques. Alors le sérialisme, c’est quoi ? Le sérialisme, c’est une conception de la composition musicale qui considère que celle-ci doit se faire à partir d’une organisation quantifiée et systématique des composantes qu’elle considère comme significatives et constitutives. Les techniques pour réaliser ou approcher cet idéal sont très nombreuses et diversifiées, elle varient selon les écoles, compositeurs, œuvres, etc. ; au final elles importent peu ici. En fait, les conceptions elles-mêmes varient énormément : sur les composantes identifiées et la façon de les traiter (exemple : hauteurs ou intervalles ?), les types d’organisation (exemple : l’ordre est-il significatif ?), etc. On a vu que le dodécaphonisme schönbergien était (a posteriori) une tentative, une technique. Mais retenez au moins qu’écrire de la musique sérielle ne consiste pas la plupart du temps à aligner des notes dans un ordre défini. Ne mettez pas trop non plus l’emphase sur l’importance égale accordée à chaque note (ou toute autre chose) : chez Webern déjà c’est souvent faux. 5. Le bon gout sérielIl y a toujours eu des règles tacites, qui peuvent parfois soulever des points aussi capitaux que ceux que visent les plus explicites. Parlons par exemple des intervalles consonants qu’il faudrait depuis le dodécaphonisme éviter, du moins dans les environnements les plus évidents. Étrange souci que celui-là : pourquoi une musique censée remettre tous les sons et toutes les relations à plat se soucierait tout à coup des anciennes lubies tonales, ici la polarité entre consonance et disonance ? Étrange, oui ; paradoxal, même. Mais pourtant compréhensible. Chez Schönberg, éviter la consonance, c’était prévenir le risque de polarisation. Je me souviens d’un passage où Boulez abordait la question, mais je ne l’ai pas retrouvé. En fait, le problème des intervalles consonants, c’est leur moindre densité. Mettre une quinte à vide au milieu d’une composition sérielle canonique, c’est si l’on veut équivalent à ce qui se passe quand dans une polyphonie classique deux voix se retrouvent le temps d’une note à distance d’une octave : un trou. Maniée sans précaution — il y a en fait beaucoup d’intervalles consonants chez Boulez par exemple —, elle vous précipite dans cette redoutable béance et s’insinue pour ronger l’intérieur de vos os creux. Et le compositeur moderniste sériel propre sur lui déteste cette discordance, il déteste l’incohérence, la pluralité, les miroirs vers l’autre monde, les grumaux dans la mousse au chocolat et le sable de la plage qui remonte entre les pavés. Ceci n’est qu’un exemple. À l’instar des manuels de savoir-vivre qui vous interdisaient la pauvre vulgarité des quintes parallèles, il y a un bon gout sériel. Quelque chose qui vous empêche de mettre des bouts mal dégrossis de mélodies populaires par-ci par-là, de conclure votre chef-d’œuvre par une mesure parfaitement consonnante, d’orchestrer une page pointilliste par unisons et octaves ou de jouer à l’apprenti-sorcier en superposant des couches hétérogènes (on retrouvera aisément à qui je pense). Citons si vous le voulez bien un extrait significatif de Boulez : « Autrement grave me parait l’erreur que Berg a commise à la fin de son Concert pour violon en écrivant ses variations sur le choral de Bach : “Es ist genug !” Je sais, là encore, que les théoriciens subtils me lanceront leurs arguments-massues : 1º que ce choral s’intègre parfaitement au texte de Berg par le triton commun aux quatres notes terminales de la série et aux quatre notes initiales du choral lui-même ; 2º que la dodécaphonie le permet, si riche en possibilités qu’elle englobe à la fois la tonalité et l’atonalité. Ratiocinations et verbiage que tout cela ! Dans l’exposition de ce choral, où l’harmonisation sérielle de Berg est alternée avec l’harmonisation tonale de Bach, il y a un hiatus inacceptable par suite d’hybridation entre le système tonal dans ce qu’il a de plus assis et le système dodécaphonique. Je ne repousse pas le principe d’une harmonisation sérielle d’un choral de Bach à cause de la prétendue harmonie vraie qui se trouverai enclose dans une mélodie. Mais il fallait choisir l’une ou l’autre de ces solutions, non pas les fondre ensemble ; les matériaux n’étant pas de même nature, la construction ne peut qu’être sans justification et sans solidité. L’audition le fait cruellement sentir. Du reste, je crois que le langage dodécaphonique a des nécessités plus impérieuses que celle d’apprivoiser un choral de Bach. » Vous voyez, ce qui fait hurler le sérial-moderniste n’est pas tant l’emprunt d’objets étrangers que leur hybridation imparfaite et disparate — en bref la tentation postmoderne du pluralisme. (à suivre)
Dernière édition par lulu le Dim 5 Aoû 2018 - 6:35, édité 3 fois |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
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| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Ven 14 Juil 2017 - 19:06 | |
| Très intéressant. Et assez féroce sur le système Schönberg, si même toi (qui es plus informé là-dessus qu'à peu près n'importe quel mélomane, voire musicien) tu n'es pas convaincu… Comme tu dis, le sérialisme au sens non restreint ouvre tellement plus de possibilités. Je suis persuadé qu'il y a plein de musiques conçues selon ce principe et qu'on prend pour post-tonales à l'écoute, d'ailleurs, parce que ce n'est pas du tout incomptible avec des pôles traditionnels, selon le principe adopté. En revanche : - Citation :
- Le sérialisme, c’est une conception de la composition musicale qui considère que celle-ci doit se faire à partir d’une organisation quantifiée et systématique des composantes qu’elle considère comme significatives et constitutives.
la définition ne me paraît pas très spécifique, on pourrait aussi bien l'adapter à la musique tonale, à la chanson, voire à la musique acousmatique, non ? |
| | | / Mélomane chevronné
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| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Ven 14 Juil 2017 - 19:47 | |
| Détrompe-toi, je ne suis pas plus informé que ça sur Schönberg. - DavidLeMarrec a écrit:
- la définition ne me paraît pas très spécifique, on pourrait aussi bien l'adapter à la musique tonale, à la chanson, voire à la musique acousmatique, non ?
C’est que ce n’est pas suffisamment explicite, je ne suis pas fort pour les définitions, attends, je vais préciser. Le sérialisme, c’est une conception de la composition musicale qui veut organiser toute la matière sonore à partir d’un matériau interne, minimal et total, constitué par une organisation donnée de toutes les valeurs utilisées dans chaque composante musicale considérée comme constitutive.Bon, c’est encore loin d’être parfait. Et tu vas me faire la même remarque... En fait, je vois bien ce que cette définition a de circulaire, qui fait qu’on pourrait l’appliquer à tout et n’importe quoi de manière plus ou moins naturelle. Mais pour l’instant j’ai pas vraiment trouvé mieux. En fait, dans la musique tonale traditionnelle, ce qui joue plus ou moins le rôle de série, c’est la tonalité elle-même (je veux dire le « système » tonal, pas la tonalité dans laquelle on se trouve) — qui est bien entendu externe, s’imposant de l’extérieur ! —, tandis que si on joue un thème, il est comme « par-dessus » (ou par-dessous ?). Un truc qui m’a souvent frappé, par exemple, c’est que les variations sont souvent bien plus des variations sur la tonalité que sur un thème... L’entreprise sérielle, c’est un peu (entre autres choses) de déplacer le thème au niveau qu’occupe la tonalité dans la musique classique, et de faire en sorte que d’une certaine manière ce soit l’œuvre elle-même qui soit sa propre « tonalité ». - DavidLeMarrec a écrit:
- Comme tu dis, le sérialisme au sens non restreint ouvre tellement plus de possibilités. Je suis persuadé qu'il y a plein de musiques conçues selon ce principe et qu'on prend pour post-tonales à l'écoute, d'ailleurs, parce que ce n'est pas du tout incomptible avec des pôles traditionnels, selon le principe adopté.
dont Takemitsu (et pas seulement les années 60), à mon avis (intuitivement), par exemple ! |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
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| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mer 19 Juil 2017 - 0:56 | |
| - lucien a écrit:
- Détrompe-toi, je ne suis pas plus informé que ça sur Schönberg.
Pas au point d'écrire une thèse, mais nettement plus que le mélomane du rang (ou de la plupart des mélomanes excessifs comme ceux qui prennent le temps de lire et écrire sur un forum…). - Citation :
- Le sérialisme, c’est une conception de la composition musicale qui veut organiser toute la matière sonore à partir d’un matériau interne, minimal et total, constitué par une organisation donnée de toutes les valeurs utilisées dans chaque composante musicale considérée comme constitutive.
Bon, c’est encore loin d’être parfait. Et tu vas me faire la même remarque... En fait, je vois bien ce que cette définition a de circulaire, qui fait qu’on pourrait l’appliquer à tout et n’importe quoi de manière plus ou moins naturelle. Mais pour l’instant j’ai pas vraiment trouvé mieux. C'est déjà plus clair pour moi, mais je crois que ça ne parle que si on voit déjà de quoi il retourne. C'est un peu comme les bons conseils pour chanter, ils ne sont éclairants qu'une fois qu'on a déjà trouvé le bon geste. Cela dit, a-t-on vraiment besoin de définition ? Le mot dit assez bien la chose : une suite de paramètres (hauteurs, rythmes, etc.) prédéterminés qui sert de base à la structure de la pièce. Plutôt mélodique, plutôt harmonique, plutôt timbral, on peut faire les séries qu'on veut, les modes (et donc la tonalité) étant un type particulier de série, finalement, même si le concept de série est plus tardif. - Citation :
- Un truc qui m’a souvent frappé, par exemple, c’est que les variations sont souvent bien plus des variations sur la tonalité que sur un thème...
On ne fréquente vraiment pas le même répertoire. Et quand je dis fréquenter, je ne parle pas de ce qu'on écoute le plus volontiers, mais de la somme de ce qu'on a écouté : je vois peu d'exemples de variations qui ne soient pas d'abord mélodiques, sur le même canevas harmonique. Effectivement, plus on avance dans le temps, plus la mélodie devient impalpable et la structure prend le dessus, mais tu dois vraiment parler d'œuvres du cœur du XXe qui me sont étrangères ou peu familières, sinon je ne vois pas. Le gros du corpus des variations a été écrit au XVIIIe siècle, je crois (où la quantité de musique écrite est phénoménale), et sans doute aussi durant la première moitié du XIXe siècle au piano… et vraiment, l'harmonie bouge très peu (c'est même ça qui les rend ennuyeuses), en dehors du traditionnel passage (prévisible et pas toujours aventureux) en mineur. Non ? - Citation :
- L’entreprise sérielle, c’est un peu (entre autres choses) de déplacer le thème au niveau qu’occupe la tonalité dans la musique classique, et de faire en sorte que d’une certaine manière ce soit l’œuvre elle-même qui soit sa propre « tonalité ».
Oui, exactement. Ce qui pose le problème que je soulève à chaque fois : comment le mélomane du rang peut-il accéder à une œuvre de cinq minutes qui adopte quasiment un nouveau langage ? (Après, ça dépend si la série ressemble à des modes d'élaboration familiers ou pas…) Sur le principe néanmoins, ça semble quelque chose de très raisonnable, et les compositeurs le faisaient bien avant son invention : on peut sentir chez un certain nombre une couleur (souvent une couleur modale, ou un tropisme pour tel aspect de la gamme tonale) spécifique à chaque œuvre. Chez Dvořák, la couleur modale et les tropismes mélodiques sont différents entre le Requiem et le Concerto pour violoncelle, pour prendre un exemple parmi mille autres possibles (les opéras de Massenet évidemment…). - Citation :
- dont Takemitsu (et pas seulement les années 60), à mon avis (intuitivement), par exemple !
Honnêtement, Takemitsu m'échappe tout à fait. J'ai pourtant joué certaines de ses pièces (Uninterrupted Rest, Litany, Rain Tree Sketch, une pièce pour clavecin dont je ne retrouve pas le titre…), et non sans plaisir (surtout la première), mais je n'ai pas du tout percé la logique harmonique – ça sonne naturel à mes oreilles, ou du moins intelligible, mais à la lecture, je ne saisis pas du tout la nécessité des enchaînements, la différence entre la présence ou l'absence d'une altération… ça m'a toujours intrigué. (C'est encore plus vrai pour les Préludes de Roslavets, qui me paraissent carrément mauvais à la lecture, alors qu'ils m'enchantent à l'écoute.) |
| | | / Mélomane chevronné
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| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 25 Juil 2017 - 12:47 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- On ne fréquente vraiment pas le même répertoire. Et quand je dis fréquenter, je ne parle pas de ce qu'on écoute le plus volontiers, mais de la somme de ce qu'on a écouté : je vois peu d'exemples de variations qui ne soient pas d'abord mélodiques, sur le même canevas harmonique. Effectivement, plus on avance dans le temps, plus la mélodie devient impalpable et la structure prend le dessus, mais tu dois vraiment parler d'œuvres du cœur du XXe qui me sont étrangères ou peu familières, sinon je ne vois pas.
Le gros du corpus des variations a été écrit au XVIIIe siècle, je crois (où la quantité de musique écrite est phénoménale), et sans doute aussi durant la première moitié du XIXe siècle au piano… et vraiment, l'harmonie bouge très peu (c'est même ça qui les rend ennuyeuses), en dehors du traditionnel passage (prévisible et pas toujours aventureux) en mineur. Non ? On s’est mal compris je crois. Bien sûr il y a (en général) une mélodie, et les variations portent sur celle-ci. Mais ce que j’ai voulu dire par cette formule, c’est que bien souvent on va avoir un catalogue de « ressources » tonales, genre une fois des arpèges, une fois des machins, etc., si bien que l’impression que je garde est que le langage tonal est un matériau tout autant que la mélodie (ou marche/grille harmonique, éventuellement) censée constituer le « germe » de la pièce. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97923 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 25 Juil 2017 - 15:40 | |
| Forcément, la mélodie s'inscrit sur un support harmonique, c'est obligé. Les compositeurs (hélas, parce que ce serait beaucoup plus intéressant) varient en général peu l'harmonisation de départ et ne poussent pas très loin ce potentiel-là.
Mais ce que tu dis, ce sont quand même avant tout des ornements mélodiques, même si ça s'inscrit sur un fondement harmonique stable (et justement, la variation ne concerne pas vraiment le système tonal, elle s'appuie simplement sur un « texte » dans ce langage). |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Sam 4 Aoû 2018 - 23:41 | |
| LES ARGUMENTS HISTORIQUES DU DODÉCAPHONISMEJe l’ai déjà dit je crois, il y a je pense une ambigüité quant au statut du sérialisme : principe très général ou discipline/règle ? Plus haut j’ai très clairement pris la première voie, et je voudrais ici envisager la deuxième, en abordant les arguments historiques au dodécaphonisme (et partant au sérialisme). Vous savez, le schéma global c’est eh bien oui vous voyez la musique est de moins en moins tonale alors on va faire de l’atonal maintenant c’est logique, mais il faut organisey tout, mais en réalité la seule atonalité n’explique pas grand-chose, et la réflexion est bien plus construite que ça, c’est pourquoi je pense qu’il n’est pas inutile de revenir sur quelques points. J’ai déjà cité Schnittke sur « l’air du temps », mais ici je vais principalement m’intéresser au dodécaphonisme dans un sens assez strict, c’est-à-dire la seconde école de Vienne et ses prolongements directs. Si j’ajoute que je vais m’inspirer en grande partie de Leibowitz, je suppose que ça donne le ton. Et je précise tout de suite que oui, je suis au courant que tout ceci suppose une certaine conception de l’histoire de l’art et du « progrès » en art, mais il se trouve que c’est largement celle de la plupart des acteurs du dodécaphonisme, donc voilà. En exergue je vais donc placer non une citation de Schnittke, mais bien Leibowitz citant Schönberg : Ayant montré qu’il n’existait « aucune raison physique ou esthétique qui pouvait forcer le musicien à se servir de la tonalité pour la représentation de sa pensée », Schönberg continue en constatant : « Il peut seulement se poser la question de savoir s’il est possible d’atteindre à l’unité et à la fermeté formelle sans se servir de la tonalité. » Et plus loin : « J’ai montré que ce n’était pas un état nouveau que celui où la musique se trouve sans le secours de la tonalité ; qu’elle s’y trouve, au contraire, déjà depuis Wagner et qu’il ne s’agit que d’employer un autre moyen de liaison formelle d’une force suffisante pour réduire les évènements (musicaux) au même dénominateur. »D’emblée je vais écarter un type d’arguments historiques, qui consiste à aller chercher son reflet dans des exemples et techniques de musique ancienne (en particulier renaissante), manière de dire vous voyez on ne fait rien de nouveau nous, pourquoi semblez-vous si surpris ! Vous avez sans doute déjà rencontré certains de ces rapprochements anachroniques, et je ne nie pas leur intérêt (d’où ce paragraphe), mais ce n’est simplement pas mon objet ici. Le point de vue que je vais assumer ici [qui n’est pas forcément le mien] est de dire que la nécessité du dodécaphonisme tient au fait qu’il découlerait d’un ensemble d’évolutions historiques dont il serait le résultat, la conséquence. En effet Schönberg n’ invente pas une règle : il la déduit des œuvres de ses contemporains et de sa propre pratique de compositeur ; selon l’expression consacrée, Schönberg découvre le dodécaphonisme sériel, formule dont se moquera Boulez avec des tournures comme « Nous venons de voir vivre un grand moment, de subir un bouleversement », mais laissons ça là puisque ce n’est pas le sujet. (1)Tous ces éléments sont étroitement corrélés à l’atonalité, mais ce n’est pas suffisant. Le premier est ce que Leibowitz appelle un « esprit de conséquence absolu par rapport à la gamme chromatique dans la matière traitée ». Que la tendance au chromatisme soit de plus en plus marquée depuis l’époque romantique, ce n’est un secret pour personne. Mais cela va plus loin que ça puisque Schönberg décèle que la matière musicale tend à être organisée d’après un écoulement de la gamme chromatique, tant verticalement qu’horizontalement. Ainsi il remarque que « la succession des accords parait être réglée par la tendance d’amener dans le deuxième accord des sons qui ont manqué dans le premier, qui sont — pour la plupart du temps — ceux qui se trouvent d’un demi-ton plus haut ou plus bas » (1910). C’est quelque chose dont on pourra trouver de très nombreux exemples dans la musique de l’époque, en particulier dans le corpus postromantique germanique, mais pas seulement. Mélodiquement on peut constater un phénomène similaire de renouvellement chromatique perpétuel. Jusqu’à des cas très aboutis ou la structure découle véritablement du déroulement de la gamme chromatique, en particulier chez Webern. On pourrait multiplier les développements et les exemples, mais le plus important est que pour Schönberg si les compositeurs de son époque procèdent de cette manière avec la conviction que « cela est juste », c’est parce que tous ces phénomènes sont régis par des lois qui n’ont pas encore été découvertes. Du point de vue de la tonalité on peut en donner l’interprétation suivante : il semble qu’on doive éviter la prédominance d’un son sur les autres ; en étant répété ou redoublé à l’octave, il « acquèrerait un trop grand poids par rapport aux autres et deviendrait ainsi une sorte de son fondamental, ce qu’il ne doit sans doute pas être » (Schönberg 1910 toujours, cité par Leibowitz, c’est moi qui souligne). Pour préciser avec l’aide de Ligeti, on peut dire ceci. Alors que dans la musique tonale les sons entretiennent fondamentalement des rapports assymétriques à la tonique (dominante, sensible, etc.), l’atonalité a pour principe que « l’ensemble des douze sons est parfaitement symétrique par rapport à n’importe quelle note ou n’importe quel intervalle », de sorte que tous ces rapports sont théoriquement égaux. (2)Le deuxième élément sur lequel insiste Leibowitz est la « conception unique de la thématique et de l’harmonie issue de l’économie constructive ». La musique d’alors connait un renouveau du contrepoint. C’est du moins ce qu’affirment Schönberg et ses amis (il y a là un peu d’autoprophétie...). Cependant alors que dans la musique ancienne l’harmonie était une simple résultante passive de la polyphonie, les musiciens de cette époque, forts de plusieurs siècles d’écriture harmonique consciente, se préparent à intégrer ces deux éléments. Ainsi on va trouver de plus en plus de motifs et gammes qui se présentent dans une même œuvre aussi bien sous une forme verticale (harmonique) qu’horizontale (mélodique). C’est quelque chose qui dépasse très largement le cadre germanique et qu’on rencontre aussi bien en France (par ex. Debussy), en Russie (Scriabine), etc. Ces « motifs » n’ont en fait rien d’anecdotique puisque que cette façon de faire acquiert une place de plus en plus centrale dans l’organisation tonale. Un cas particulier et bien connu de ce phénomène, très répandu au tout début du siècle, est l’utilisation de la quarte, mais je ne vais pas vous faire ici un cours sur l’harmonie par quartes. Car le dénominateur commun de l’harmonie et de la mélodie, c’est bien l’intervalle, et c’est lui qui va révolutionner la pensée et la pratique musicales : « L’intervalle d’un son à un autre, cet élément fondamental de toute pensée musicale, c’est à lui qu’incombe maintenant la place prépondérante dans la structure d’un morceau de musique. Élément fondamental, mais aussi premier, première et plus petite possibilité de pensée et de structure, il ressort, lorsqu’on le dote d’une pareille importance, de l’économie et engendre cette économie à son tour. » C’est peu à peu de lui que va découler toute l’harmonie et toute la thématique d’une œuvre. Le thème au sens traditionnel va en effet progressivement se dissoudre pour laisser place à des successions variées d’intervalles. L’avantage aussi de l’intervalle est qu’il peut être retourné et inversé et se combiner diversement avec les autres, ce que les compositeurs de cette époque ne vont pas se priver de faire. Là encore, ceci ne se comprend pas hors du passage de la tonalité à l’atonalité, et en constitue une part fondamentale. Dans la musique tonale, les dimensions verticale et horizontale sont nettement distinctes. S’il est possible de projeter la première sur la seconde (arpèges), voire de subordonner entièrement la mélodie à l’harmonie (par exemple dans certains Bach ou chez Franck), on ne s’attend pas à ce qu’une mélodie, le plus souvent consituée de degrés conjoints, se retrouve soudainement plaquée en un seul accord-cluster : parce que l’harmonie et la mélodie sont deux composantes musicales spécifiques. Or c’est exactement ce qu’il se passe quand on s’éloigne de la tonalité (qu’on pense au seul Debussy qui emploie sa gamme par ton tant verticalement qu’horizontalement), de sorte que l’une et l’autre deviennent peu à peu équivalentes ou en tout cas qu’on ne peut plus tracer de limite entre les deux. Ce mouvement très général d’assimilation progressive de l’harmonie et de la mélodie est une caractéristique majeure de la musique moderne, et l’histoire du dodécaphonisme en est un moment clé. (3)C’est donc selon Leibowitz la conjonction et la généralisation de ces deux facteurs qui aboutissent par voie de conséquence à la découverte du dodécaphonisme sériel tel que l’ont pratiqué Schönberg et ses disciples. Cependant j’aimerais ajouter deux éléments empruntés à Ligeti, que j’ai déjà suggérés quand j’ai parlé d’intervalle, mais que j’aimerais développer. On sait en effet que la discipline schönbergienne ne se limite pas au déroulement d’ une série de douze sons mais que celle-ci peut être transposée à tous les degrés, ce qui est une conséquence de l’égalité des douze sons (voir premier point), mais aussi renversée et rétrogradée. Je soutiens que ces deux points peuvent également s’expliquer par le contexte général d’émancipation par rapport à tonalité. Pourquoi le renversement ? Dans la musique tonale, on ne peut pas renverser tout ce qu’on veut et cela pour une raison simple : l’harmonie est directionnelle. Cela signifie qu’un intervalle, accord, etc. n’a pas la même fonction s’il est écrit de bas en haut ou de haut en bas. C’est exactement l’inverse qui se produit dans la musique non tonale : ce principe directionnel est aboli, et c’est ce qui permet le renversement des intervalles, motifs, etc. C’est sans doute cela qui explique l’intérêt de plusieurs compositeurs pour les axes de symétrie (par exemple chez Bartók et chez Webern), ou pour les éléments mélodico-harmoniques déjà symétriques (typiquement les premiers modes de Messiaen qui sont abondamment utilisés au début du vingtième siècle), parce qu’ils prennent volontairement le contrepied l’harmonie directionnelle. Là encore la « découverte » de Schönberg ne sort pas de nulle part mais est cohérente avec le contexte musical. (4)Quant aux formes rétrogrades, on peut avoir un raisonnement similaire. En effet la musique tonale n’est pas seulement directionnelle verticalement, elle l’est aussi horizontalement. Sauf exceptions très particulières (le cancrizans de Bach), vous ne pouvez pas prendre une pièce à revers et lire les notes en sens inverse en commençant par la fin, parce que dans la musique tonale les mélodies, harmonies et les parcours formels ont un sens. Un accord en entraine un autre et pas l’inverse. Ceci est beaucoup moins vrai une fois qu’on est débarassé de la tonalité. Là encore, on pourra trouver de nombreuses illustrations de cette évolution dans la musique de l’époque (on pourrait même là encore citer Messiaen pour ses rythmes, même si c’est plus tardif). Voilà, j’en ai déjà fini. Je n’ai pas explicité jusqu’au bout la totalité des raisonnements qui permettent de passer des faits aux conséquences, mais j’espère que j’ai été suffisamment claire et suggestive. Sources principales (à peine paraphrasées) : René Leibowitz, Introduction à la musique de douze sons (1949), pages 25 à 52 (« Nécessités et genèse de la technique de douze sons »). György Ligeti, « L’harmonie dans la Première Cantate de Webern » in Neuf Essais, premières pages. (à suivre) |
| | | Nomn Mélomane du dimanche
Nombre de messages : 69 Localisation : midst of swimming Date d'inscription : 31/03/2012
| | | | anaëlle Mélomane chevronné
Nombre de messages : 2090 Age : 23 Localisation : Paris Date d'inscription : 17/11/2014
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Jeu 9 Aoû 2018 - 15:42 | |
| impressionnant! |
| | | Ravélavélo Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9130 Localisation : Pays des Bleuets Date d'inscription : 28/09/2015
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 3:44 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- kougelhof 1er a écrit:
- A propos de Schoenberg, son "parlé-chanté" dans le Pierrot Lunaire a-t-il fait école ?
En un certain sens. C'est-à-dire que ce mode de jeu et sa notation musicale sont en effet toujours employés, surtout en allemand à vrai dire. Témoin Jakob Lenz de Rihm, dont Vartan avait parlé dans la rubrique (Concerts - Opéra de Bordeaux).
Ca n'est cependant pas extrêmement répandu, notamment à cause de la relativité de cette écriture, pas très précise. Et de l'absence d'interprètes formés pour.
- Citation :
- Il est à l'origine de l'invention du sérialisme. Je supplie nos éminents membres de bien vouloir m'expliquer exactement ce dont il s'agit, car je n'en ai qu'une très vague idée. Help ! Merci !
Bien, allons-y.
Il faut distinguer.
Atonal, c'est ce qui n'emploie pas strictement les règles traditionnelles de la musique tonale (donc avec une tonalité de référence, des modulations, des pôles...). Tout ce qui n'est pas tonal est atonal.
Sériel, c'est un type de musique qui se fonde sur une suite d'intervalles. La musique sérielle peut être atonale ou pas.
Dodécaphonique, c'est ce qui emploie les douze sons de la gamme. Au sens large, ce peut être le cas de musiques tonales très chromatiques, qui vont employer tous les degrés ou toutes les tonalités. Par exemple la Fantaisie Chromatique de Bach, ou l'ensemble des Préludes du Clavier Bien Tempéré. Au sens strict, généralement celui que l'on retient, il signifie "dodécaphonisme sériel".
Le principe du dodécaphonisme sériel de Schönberg est le suivant.
La tonalité était toujours plus maltraitée et élargie, ce qui fait que Schönberg a pensé (et d'autres avant lui) à créer un nouveau système. Ce serait de mettre à égalité les douze sons de gamme, en plaçant les intervalles dans un ordre précis. La répétition d'une note est, pour faire vite, prohibée.
Résultat, grands sauts d'intervalle, perte de polarité de la musique, dissonance extrême.
Les pièces sont développées à partir d'une série de douze sons non répétés donnée, et réutilisée en miroir (en inversant les intervalles ou en prenant la série dans l'ordre inverse).
Voilà, pour faire très vite, le principe. Merci David, ça répond à ma question, je suis sur une piste, celle de la Suite Lyrique d' Alban Berg. Pour s'y démêler, c'est mieux de suivre avec la partition pour mieux visualiser la structure... C'est bien intéressant parce que ça rejoint la musique contemporaine. Question: La série de douze sons, c'est juste pour une pièce ou à toute oeuvre sérielle comme par exemple la Suite Lyrique, est-elle composée aussi à partir de douze sons? |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 10:50 | |
| Tout d’abord je te signale l’existence de ce sujet si tu ne l’as pas vu : https://classik.forumactif.com/t5591- Ensuite pour répondre à ta question, je ne peux pas te répondre spécifiquement sur la Suite lyrique que je connais très mal, mais j’ai envie de dire qu’il n’y a que les règles qu’on se donne. On peut très bien écrire, de façon canonique, toute une œuvre (comme le Moses und Aron de Schönberg) sur une unique série de douze sons... ou pas. En l’occurrence je sais que Berg est le champion pour modifier ses séries, en dériver de nouvelles par divers procédés, et donc en utilise plusieurs dans une même œuvre. L’écriture dodécaphonique de Berg est réputée plus libre que celle de ces collègues. Je crois que quelquefois il se sert essentiellement de la série pour en dériver des thèmes et leitmotifs et que le reste est “rempli” de façon plus ou moins libre même si toujours tributaire du dodécaphonisme. |
| | | Cololi chaste Col
Nombre de messages : 33406 Age : 43 Localisation : Bordeaux Date d'inscription : 10/04/2009
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 10:53 | |
| Ce que tu as l'air de pointer (selon moi) c'est la différence entre la lettre et l'esprit. J'ai toujours entendu dire que Berg respectait assez la lettre du sérialisme … mais qu'en fait il a vite fait d'en détourner l'esprit. _________________ Car l'impuissance aime refléter son néant dans la souffrance d'autrui - Georges Bernanos (Sous le Soleil de Satan)
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| | | Roupoil Mélomane chevronné
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| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 11:06 | |
| Je suis loin d'être un spécialiste de la musique sérielle, mais à mes oreilles de néophyte, Berg a toujours semblé "moins" sériel que les autres viennois (dans leurs oeuvres estmapillées sérielles, bien entendu). Ca n'a pas beaucoup de sens d'un point de vue technique, mais quand j'écoute cette Suite lyrique de Berg par exemple (ce que je viens de faire), je n'ai pas cette impression d'aridité (je vais être gentil et ne pas employer de qualificatifs trop dépréciatifs) et de musique hermétique que j'ai avec le quatuor de Webern que j'ai écouté juste avant, ou même avec le deuxième quatuor de Schönberg que j'ai réessayé récemment, qui n'est pourtant lui même pas sériel ! Je n'irais pas jusqu'à dire que Berg est plus mélodique mais ça sonne plus "lyrique", pour reprendre le titre de cette oeuvre de Berg, que chez les autres. Enfin, encore une fois, ce ne sont que mes oreilles qui me font ressentir ça |
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| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 11:10 | |
| - Cololi a écrit:
- Ce que tu as l'air de pointer (selon moi) c'est la différence entre la lettre et l'esprit.
J'ai toujours entendu dire que Berg respectait assez la lettre du sérialisme … mais qu'en fait il a vite fait d'en détourner l'esprit. Bof, on le dit parfois oui, mais à mon avis il détourne surtout l’esprit du sérialisme d’après-guerre qui est tout à fait différent... c’est une position a posteriori. Mais entre Schönberg et Berg franchement je ne trouve pas que l’esprit soit très différent. En fait c’est assez difficile de démêler tout ça, parce que d’une analyse à l’autre on croirait ne pas avoir à faire au même Berg (et c’est pareil pour Schönberg, ou pour Boulez...). Il est parfois tantôt très rigoureux tantôt pas du tout, etc. Quelquefois je me dis que le « sérialisme » se trouve davantage du côté de l’analyse que de la composition. La musique sérielle a depuis le début eu une grande tradition d’analyse et de commentaire, qui font peur par leur formalisme chiffré (pourtant pas plus chiffré, abstrait et conventionnel que l’analyse tonale...). Ce qui est frappant est que si tu compares des analyses d’une pièce célèbre, aucune n’a les mêmes postulats théoriques, et il n’y en a pas une qui va l’analyser de la même façon, même pour l’identification de la série de base (ou l’existence d’une série de base...). Alors on peut passer son temps à tenter de définir la musique sérielle d’après la façon dont elle est écrite (on sera toujours condamné à être à la fois trop vague et trop précis), mais récemment j’ai fait l’hypothèse qu’en réalité une musique sérielle est une musique qui résiste à l’analyse sérielle. De même qu’une pièce tonale (réelle, par un exercice) résiste à l’analyse tonale, c’est-à-dire qu’elle ne passe pas totalement à travers même s’il reste des choses qui y échappent ou sont mal expliquées, on voit bien qu’on touche à quelque chose de réel, une pièce sérielle résiste à l’analyse sérielle. |
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Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 11:19 | |
| - Roupoil a écrit:
- Je suis loin d'être un spécialiste de la musique sérielle, mais à mes oreilles de néophyte, Berg a toujours semblé "moins" sériel que les autres viennois (dans leurs oeuvres estmapillées sérielles, bien entendu). Ca n'a pas beaucoup de sens d'un point de vue technique, mais quand j'écoute cette Suite lyrique de Berg par exemple (ce que je viens de faire), je n'ai pas cette impression d'aridité (je vais être gentil et ne pas employer de qualificatifs trop dépréciatifs) et de musique hermétique que j'ai avec le quatuor de Webern que j'ai écouté juste avant, ou même avec le deuxième quatuor de Schönberg que j'ai réessayé récemment, qui n'est pourtant lui même pas sériel ! Je n'irais pas jusqu'à dire que Berg est plus mélodique mais ça sonne plus "lyrique", pour reprendre le titre de cette oeuvre de Berg, que chez les autres. Enfin, encore une fois, ce ne sont que mes oreilles qui me font ressentir ça
Personnellement le problème que j’ai avec Berg sériel est son côté très hétérogène (c’est du moins comme ça que je perçois sa musique). Il reste toujours entre deux chaises, ce qui à mon avis n’en fait pas une musique riche comme peuvent l’être les musiques qui parties du romantisme sont allées si loin qu’elles n’ont pratiquement plus rien de tonal (comme Scriabine, le Berg d’avant etc.)... mais surtout bancale. J’entends toujours une musique laborieuse qui doit forcer autant d’un côté (la tonalité, les citations, les valses, etc.) que de l’autre et qui ne me convainc nulle part. Et c’est particulièrement le cas dans la Suite lyrique. C’est ce qui en fait une musique difficile pour moi, plus difficile que le sérialisme d’après-guerre, parce qu’elle n’a aucune évidence... Quand j’écoute Berg dodécaphonique je me demande toujours Pourquoi ? Pourquoi se contraindre à une règle encombrante pour faire ça ? À quoi ça sert ? Si t’as pas envie mec te force pas écris juste des valses on t’en voudra pas... Genre pour revenir à la Suite lyrique c’est quoi ce début sérieux ? Si tu veux faire du Zemlinsky fais du Zemlinsky, c’est pas la peine de t’infliger tout ça. |
| | | Cololi chaste Col
Nombre de messages : 33406 Age : 43 Localisation : Bordeaux Date d'inscription : 10/04/2009
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 11:27 | |
| Mais peut-être n'est-ce pas la bonne question. Berg essayait de trouver un compromis, tout simplement … d'où le caractère hétérogène. Que sa réponse ne soit pas la bonne … pas la plus convaincante … c'est discutable, mais je pense que son questionnement est loin d'être infondé. _________________ Car l'impuissance aime refléter son néant dans la souffrance d'autrui - Georges Bernanos (Sous le Soleil de Satan)
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| | | Roupoil Mélomane chevronné
Nombre de messages : 2095 Age : 43 Localisation : Pessac Date d'inscription : 22/04/2017
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 11:56 | |
| C'est peut-être justement ce côté "raccroc" à des choses qui sont plus dans mon domaine habituel qui me rend Berg nettement plus accessible. Mais puisqu'on te tient sous la main, lulu, quelles seraient selon toi les oeuvres sérilles d'après-guerre les plus représentatives d'un "vrai" sérialisme ? Pour information, j'avoue n'en avoir encore écouté aucune dans cette période qui me plaise , mais en même temps je n'ai que très peu exploré : un peu de Boulez (je ne saurais même plus dire quelles oeuvres, ça fait un certain temps que je ne m'y suis pas frotté), et les oeuvres sérielles de Stravinsky ou Chostakovitch (qui ne font pas partie de mes préférées chez ces compositeurs...). |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 12:42 | |
| euh, je ne sais pas, ça dépend de quel point de vue et par quel bout on le prend, mais par exemple :
Karlheinz Stockhausen : Klavierstück V (1954) Luigi Nono : Il canto sospeso (1956) Pierre Boulez : Tombeau [Pli selon Pli] (1962) Bruno Maderna : Concerto pour hautbois nº3 (1973) Luciano Berio : Points on curve to find (1974) Milton Babbitt : Transfigured Notes (1986)
voilà c’est déjà pas mal, tout ça est très canonique tout en proposant une bonne diversité. |
| | | Roupoil Mélomane chevronné
Nombre de messages : 2095 Age : 43 Localisation : Pessac Date d'inscription : 22/04/2017
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 14:14 | |
| Merci pour cette petite liste Je ne garantis pas de tout tester rapidement mais je viendrai y puiser de temps à autre. |
| | | Xavier Père fondateur
Nombre de messages : 91596 Age : 43 Date d'inscription : 08/06/2005
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 14:48 | |
| - Roupoil a écrit:
- Pour information, j'avoue n'en avoir encore écouté aucune dans cette période qui me plaise , mais en même temps je n'ai que très peu exploré : un peu de Boulez (je ne saurais même plus dire quelles oeuvres, ça fait un certain temps que je ne m'y suis pas frotté), et les oeuvres sérielles de Stravinsky ou Chostakovitch (qui ne font pas partie de mes préférées chez ces compositeurs...).
Je ne connais pas toutes les œuvres de Chostakovitch, mais à ma connaissance il n'y a aucune œuvre sérielle chez lui, ni de près ni de loin. On considère en générale qu'il y a une inspiration lointaine dans la 14è symphonie par exemple avec des motifs qui égrènent un certain nombre de sons différents, dans un langage assez atonal, mais pas de série proprement dite utilisée comme telle.
Dernière édition par Xavier le Mar 1 Jan 2019 - 15:22, édité 1 fois |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 15:15 | |
| Il y a un certain nombre d’œuvres chez Chostakovitch (douzième et treizième quatuors, quatorzième symphonie, mais aussi la plupart des œuvres de la même période) qui ont des thèmes et allusions dodécaphoniques par-ci par-là voire un peu plus, comme chez beaucoup de compositeurs soviétiques (y compris Khrennikov ), mais c’est en effet un peu peu pour parler de musique sérielle. C’est une utilisation très limitée, essentiellement thématique et toujours mélodique. D’ailleurs ça ne vient pas de nulle part puisque c’est totalement dans la lignée de cet esprit de déviation mélodique et de remplissage chromatique qu’on trouve souvent chez Chostakovitch (je ne dis pas qu’il ne fait pas ça consciemment pour autant). |
| | | Roupoil Mélomane chevronné
Nombre de messages : 2095 Age : 43 Localisation : Pessac Date d'inscription : 22/04/2017
| Sujet: Re: Sur la musique sérielle et le sprechgesang ... Mar 1 Jan 2019 - 17:08 | |
| Oui, j'avais plus les derniers quatuors en tête, mais je n'ai aucune idée de ce qu'il peut y avoir de précisément dodécaphonique ou non dedans, donc je m'en remets à ce qu'en a dit lulu ! |
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