Afin de mieux savoir pour qui ou contre qui l'on vote, un petit aperçu de l'oeuvre de Neil Currie (avec la collaboration active de Fuligo)
j'ai choisi la photo à moustache, parce qu'elle est extraordinairement kitsch, mais c'est peut-être un peu partial, question de goût, sa musique est plus séduisante: cet homme a visiblement du mal à poser pour les photographes.
Neil Currie -comme vous le savez déjà- est né à Moose Jaw, Saskachewan, Canada en 1955.
Son premier titre de gloire dans le domaine de la musique classique, fut les louanges dont Corrie Acquino couvrit sa pièce de 1986 « Ortega avenue », musique pour la révolution aux Philippines.
Dans les années 90, il fut compositeur en résidence de l’orchestre d’Adelaïde, Australie, et il semble que son œuvre se rattache plus à des racines australiennes que nord-américaines. En témoigne entre autre Glenside (1999) pour cordes, 4 bois, 4 cuivres, percussion, et piano, pièce qui porte le nom du faubourg d’Adélaïde où Currie vécut avec sa femme et ses deux fils. Ce bel adagio nostalgique (encadrés de traits plus agités et virtuoses des cordes solistes) d’une dizaine de minutes, s’inspire du thème d’un feuilleton que ses enfants regardaient à la télévision tous les matins. Il s’y répand une atmosphère de brumes ensoleillées, d’une jolie texture orchestrale, mêlant discrêtement le piano et les percussions fines à des mélismes modaux de cordes.
Le concerto pour trombone (Tumbling Strain 1991) semble aussi au long de ses 21 minutes décrire des paysages australiens. Inspiré par deux thèmes de chansons aborigènes, il intègre dans la dernière partie des imitations de sons de digeridu. Son premier mouvement assez sombre et dépouillé, construit en accélération, s’épanouit en une sorte de duo entre le trombone et la harpe. Le discours peut surprendre par un modernisme d’écriture qui ne se retrouve pas dans le reste des œuvres orchestrales de ce compositeur aussi attiré par le jazz, et lui-même chanteur au sein d’un trio qui porte son nom, et fit les beaux jours d’un hôtel d’Adélaïde, comme de certaines lignes régulières de croisières. Le répertoire de Neil Currie, en tant que vocaliste de jazz, est constitué de reprises de Sinatra, Bobbie Darin et Nat King Cole. Mais on n’en trouve que peu d’écho dans ses œuvres concertantes, même si une deuxième section de ce concerto pour trombone évoque des chorus et des techniques proches des parties de cuivres de certains morceaux de free-jazz, et la conclusion des rythmes de danses cubaines. Tout cela me parait largement aussi intéressant que les musiques du nord suscitées par Lindberg (compositeur et virtuose du trombone). A en juger par son catalogue Neil Currie marque une certaine prédilection pour les œuvres pour cuivres, étant l’auteur d’un quintette, de diverses pièces pour orchestres d’harmonie (genre assez populaire en amérique du Nord) ainsi que d’une fanfare intitulée Fare for the uncommon man, par référence antithétique à celle de Copland. Le concerto pour trombone fut créé en Australie par Jorge Mester (longtemps chef de l’orchestre de Louisville et connu pour quelques interprêtations rares de pièces de Barber) marquant l’appartenance de Currie à ces deux cultures anglo-saxonnes.
Revenu au Canada, Neil Currie écrivit une intéressante Rhapsodie pour saxophone et orchestre, qui constitua son morceau de fin de master à l’université de Vancouver et un concertino de 17 minutes environ. L’instrument soliste varie un thème de ballade assez volubile constitué d’une gamme par tons ascendante et descendante. A cette ouverture dramatique succède un agréable mouvement lent et rêveur sur fond de pizzicati, une berceuse inquiète, qui mène après une pause à la reprise du thème initial, ralenti, métamorphosé en une danse presque orientale qui s’enchaîne à une coda agité et brillante parcourue de trilles qui évoquent parfois la musique pour vents française.
Le catalogue du compositeur comprend aussi plusieurs pièces de musique de chambre, dont 4 quatuors à cordes, une sonate pour clarinette, une pour piano, et une suite en cinq parties dont les thèmes sont intégrés à sa symphonie de 1999.
Cette oeuvre de coupe classique me parait la plus aboutie et la plus intéressante, à la fois par sa simplicité thématique qui pourrait la rapprocher de certaines pièces de Copland, ainsi que par le raffinement de son orchestration qui mêle habilement les percussions et le piano au corps de l’orchestre raditionnel.
L’introduction, andante commodo s’appuie sur les bois, des montées de gammes au glockenspiel du meilleur effet. Une fanfare conduit à de jolis effets des mêmes gammes, mais descendantes au piano, avant qu’un thème de bataille soutenu par les batteries de tambour ne les interrompe, menant à une conclusion plus grave.
Le deuxième mouvement, mesto est une romance à demi-mélancolique des cordes sur de grandes tenues des vents, telles des pédales d’orgue. Les bois développent jusqu’à une reprise fugato du thème par les pupitres les plus graves de l’orchestre. La récapitalution s’élève lentement dans les aigus des violons.
Le troisième mouvement « rhapsodie » fonctionne comme une sorte de scherzo inversé : il laisse la place à des interventions plus marquées du piano qui feint d’improviser un thème qui s’élargit par vague à l’ensemble de l’orchestre et revient comme la houle. La section centrale se présente comme une danse qui rappelle les Maypole dances de Hanson, et l’orchestration des ballets western de Copland encore. Un second trio s’achève dans une cadence du piano très bienvenue qui s’arrête, brutalement, pareil à ces oiseaux qui se mettent à faire du sur-place au milieu de leur vol.
L’allegro precipitato conclusif est un ostinato construit sur de vastes arpèges, parcouru de cellules de quatre notes (intervalles de secondes répétées à des hauteurs diverses) jouant d’effets d’accumulations, d’empilement qui rapellent des musiques « ferroviaires » à la Honegger, mais dans un climat adouci.
Après ça, peut-être l’auditeur trouvera-t-il qu’une telle musique n’a rien d’essentiel : elle est au moins aussi séduisante que celle de Jay Greenberg (mais lui a quinze ans), aussi agréablement divertissante que les symphonies d’un Meredith Wilson (datant des années 30) pour qui j’ai un faible coupable.
Je pense que Mr Currie devrait s’atteler à la rédaction d’une nouvelle symphonie car il montre dans ce domaine un talent certain. Je crois qu’il faut réécouter pour bien apprécier cette musique qui a au moins le grand mérite de ne pas chercher à s’imposer ni par sa science ni par une outrecuidance si fréquente chez les contemporains.
Le seul compositeur australien que j’avais entendu jusqu’alors était Michael Easton ; il est vrai qu’il n’y avait peut-être pas grande difficulté à faire mieux. Quant aux canadiens, malgré mes recherches désespérées sur Clermont Pépin, je ne crois pas disposer d’assez de points de comparaison pour me prononcer.
Pour de plus amples renseignement, se reporter à son site :
http://www.neilcurrie.com