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 Koechlin - Le Buisson Ardent

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Crapio
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MessageSujet: Koechlin - Le Buisson Ardent   Koechlin - Le Buisson Ardent EmptyDim 9 Aoû 2009 - 22:21

Le Buisson Ardent est une véritable œuvre à programme au même titre que le Quintette Op.80, la Symphonie 2 ou le Docteur Fabricius.

L’œuvre est composée de 2 parties orchestrales (Op.203 [dernier œuvre orchestrale de Koechlin] et Op.171) prodigieuses, pleine de maturité.
Elle est basée sur l’un des derniers épisodes du roman Jean-Christophe de Romain Rolland, bon ami de Koechlin, et raconte la « renaissance » d’un musicien talentueux (Jean-Christophe), s’étant retrouvé au préalable confronté à un mal d’inspiration créatif douloureux et envahissant.

Pour suivre la trame narrative, on propose de suivre pas à pas l’œuvre avec un petit commentaire succin basé sur la version de Segerstam éditée chez Marco Polo.


Dernière édition par Crapio le Dim 9 Aoû 2009 - 22:27, édité 1 fois
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Crapio
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MessageSujet: Re: Koechlin - Le Buisson Ardent   Koechlin - Le Buisson Ardent EmptyDim 9 Aoû 2009 - 22:22

I) Première Partie Op. 203 : De la Mort spirituelle oppressante à la Renaissance de Jean-Christophe

A) Méditation douloureuse, prostration, et mort spirituelle

Pas de présentation, pas de décor. Koechlin nous met directement face à la douleur métaphysique, la douleur humaine, celle de Jean-Christophe qui dans une méditation vaine et douloureuse, remet en cause son mal d’inspiration créatif.
- Les cordes dépeignent donc de suite un motif poignant, proche de l’atonalité. Elles sont tout d’abord en petite formation (Quatuor ?) ce qui accentue l’intimité avec Jean-Christophe, rendant plus immersif ce mal de vivre facilement appropriable.
- C’est seulement à partir de 40 secondes, que l’Orchestre à cordes s'étoffe dans un crescendo de plus d'une minute pour épancher, crier cette douleur métaphysique qui atteindra son paroxysme, proche de la folie, dans les aigus vers 1min50.
- A bout de force, les cordes (Jean-Christophe) vont se tarir doucement. C’est maintenant un Jean-Christophe passif, proche de la prostration qui est décrit, dont la résignation est marquée par les longues tenues des cuivres dans les graves [2min16] ébauchant une quasi marche funèbre. Une modulation [3min15] de cette marche des cuivres à vide témoigne d’une évolution macabre de Jean-Christophe, dont les cordes ne semblent plus être capable seulement d’émettre un souffle à peine perceptible dans les aigus [3min45].
- Un coup de timbale [3min56] : c’est le destin qui frappe. Le deuxième sera fatal : les cordes s’éteignent [4min18]. Silence [...] C’est la mort spirituelle de Jean-Christophe.


B) Le Foehn. Le Réveil de la Nature [4min25]

Foehn : Vent sec et chaud qui souffle dans les vallées du nord des Alpes suisses et autrichiennes, et plus largement, dans d'autres régions montagneuses.
Nous allons en effet nous éloigner du personnage de Jean-Christophe, pour nous concentrer enfin, vers une nature moins étouffante, plus optimiste.
- Ici est dépeint le Foehn, chaud et fécond, représenté par les Ondes Martenot [4min27] annonçant le retour du Printemps et réveillant la nature. Cette partie constitue en un long crescendo de 3 minutes où le vent, la pluie, les animaux, se rejoignent peu à peu pour former un scherzo vivant et optimiste.
Cette nature se réveillant est évidemment une métaphore de l’esprit de Jean-Christophe : Jean-Christophe et la nature se trouvent au préalable dans un même état de torpeur, spirituel pour Jean-Christophe, hivernal pour la nature et l'issue optimiste (et prévisible) de la nature annonce celle de Jean-Christophe.


C) Le Réveil de Jean-Christophe, sa « Renaissance » [7min50]

- Après avoir réveillé la nature, le Foehn ouvre la porte de la maison de Jean-Christophe [7min50] et celui-ci sort petit à petit de sa léthargie grâce au nouvel air fécond [[7min59], les chaudes cordes entament des accords et arpèges ascendants bientôt rejoint par tout l’Orchestre].
- Au fur et à mesure que Jean-Christophe se réveille, la musique se transforme en une joyeuse fanfare résurrectrice [vers 9min10].
- L’Orchestre se calme : Jean-Christophe semble reprendre totalement ses esprits [9min57]
- Le magnifique motif en crescendo qui suit [10 min 25] décrit la joie et la sérénité de Jean-Christophe face à son "renouveau" et face à la beauté de la nature inspiratrice.
- Le decrescendo [vers 11min10] accentue cette sérénité, qui reprend finalement le dessus sur tout quelconque sentiment avec une reprise du beau motif précédent, plein d’amour et de tendresse [11min42] dans un recueillement quasi ecclésiastique, annonçant déjà le début de la deuxième partie.




II) Deuxième Partie Op. 171. De la Méditation sereine à la Joie

A) Contemplation et Méditation sereine [12min25]

La plus longue partie (proche des 15 minutes).
Jean-Christophe contemple le monde, la nature, la vie, qui s’écoule paisiblement et l'inspire. Un long chant d’amour, de sérénité, de recueillement proche des mouvements lents de Messiaen.
- Le chant est mené tout d’abord par les Ondes Martenot solo sur une nappe pianissimo de cordes [12min52] qui est rejoint et remplacé petit à petit par d’autres instruments témoignant d’une nature riche.
Cela se passe de commentaire.
- On notera seulement au beau milieu de cette partie un Long crescendo un peu décousu [vers 19min] qui s’animera pour devenir plus « vivant » [vers 21 min] rappelant le Scherzo et la Fanfare joyeuse des 2 parties précédentes. La section se referme sur l’ambiance du début [21min50].


B) La Joie de Jean Christophe. Fugue [26min45]

- Jean-Christophe éclate son enthousiasme retrouvé, la joie qu’il éprouve face à son « renouveau », dans une fugue.
- A partir de 28min35 environ, on entend se rapprocher, en arrière plan, le choral de la dernière partie.


C) Apothéose. Choral [29min55]

- Un Choral à la Koechlin, magnifique. Apothéose de la joie, de la ferveur et de la sérénité dépeinte en plusieurs crescendos successifs.
- C’est la sérénité qui aura le dernier mot, dans un dernier long decrescendo [33min45] et enfin dans un long recueillement contemplatif [35min54], rappelant la nature de la première Section de cette Deuxième Partie. L’opus se termine d’ailleurs comme il a commencé, dans le recueillement du doux chant des Ondes Martenot [36min48].

Comme souvent chez Koechlin, des ténèbres menaçants nous nous échappons pour ressortir, accompagné d’une douce lumière chaleureuse, heureux et serein.


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MessageSujet: Re: Koechlin - Le Buisson Ardent   Koechlin - Le Buisson Ardent EmptyDim 9 Aoû 2009 - 22:22

.sud
- Une expérience à faire, d'ordre mystique.
- [...] les sommets de Koechlin comme le Buisson ardent ou Docteur Fabritius, assurément des oeuvres capitales où personne n'a encore suffisamment puisé à mon goût.
- Le buisson ardent [ou le Livre de la Jungle] restent tout de même extrêmement évocatrices, parfois à la limite du pittoresque.


.xavier
- Le Buisson ardent est vraiment une page extraordinaire. Pas grand chose à dire car ça n'était pas une écoute attentive, mais c'est clairement une de ses très hautes pages, l'utilisation des Ondes Martenot est magistrale.
Je pense encore à Dutilleux sur quelques passages


.Spiritus
- Première écoute, assez attentive, du Buisson Ardent. La première partie, assez courte (12 minutes), ne m'a pas énormément convaincu, la rythmique est un peu fatiguante et je n'ai rien entendu de fascinant. C'est joli, mais sans plus.
La deuxième partie par contre m'a complètement emballé, là c'est sublime et envoûtant, je suis sur le cul Shocked extrêmement statique, et pourtant fascinant, vraiment beau, orchestralement génial, je n'ai peut-être jamais rien entendu de plus raffiné. (même Schreker) Coup de coeur quoi!


.jolan
"Le Buissont Ardent" pour les adeptes de Messiaen.


.joachim
- L'atmosphère envoûtante de la deuxième partie du Buisson Ardent tient à la présence, à mon avis, des Ondes Martenot s'ajoutant à l'orchestre. Cet instrument au son "spacial" (je ne vois pas d'autre définition) nous plonge dans le mystère de la vie et de la mort, sujet du poème symphonique.


.Crapio
- Certainement mon œuvre favorite de Koechlin. J’ai une légère préférence pour l’Opus plus tardif (la première partie).
- Il faut plus apprécier Docteur Fabricius, et le Buisson Ardent comme des poèmes symphoniques pouvant être découpés en plusieurs parties, selon un argument.
Sans préciser leur argument, on peut les regrouper et les découper grossièrement ainsi :
- 1. Partie Métaphysique : remise en question douloureuse de soi, de l'humanité.
- 2. Douleur finalement anéantie face a la grandeur, la beauté, la chaleur, "l'évidence" de la nature.
- 3. Joie/calme triomphants.
D'ailleurs le fameux Quintette avec Piano Op.80 semble se rapprocher de ce format que paraît apprécier Koechlin.
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MessageSujet: Re: Koechlin - Le Buisson Ardent   Koechlin - Le Buisson Ardent EmptyDim 9 Aoû 2009 - 22:22

Discographie

I) Desormière (Classical Collection)
Spoiler:
Couplé avec la Partita Op.205.
Indisponible



II) Segerstam (Marco Polo)
Spoiler:
Couplé avec Au loin (pièce symphonique Op.20) et 2 Versions de Sur les Flots Lointains (Poème Symphonique Op.130) : une pour Orchestre et l'autre pour Cordes.

.xavier
- Celui de Segerstam chez Naxos est effectivement très bien, avec d'autres très beaux poèmes symphoniques.



III) Holliger (Hänssler)
Spoiler:
Couplé avec La Course de Printemps.

.Achille
- Heinz Holliger sort une version du Buissont ardent - sans doute la meilleure.

.Sud273
- Sur Le Buisson ardent ça vaut le coup je crois d'écouter la version magistrale d'Holliger dans la série SWR (couplé avec La Course de Printemps), c'est beaucoup plus enlevé, et la cohérence entre les deux parties me paraît beaucoup mieux rendue [que chez Segerstam].
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MessageSujet: Re: Koechlin - Le Buisson Ardent   Koechlin - Le Buisson Ardent EmptyLun 10 Aoû 2009 - 16:53

Crapio a écrit:
Le Buisson Ardent est une véritable œuvre à programme au même titre que le Quintette Op.80, la Symphonie 2 ou le Docteur Fabricius.
Le Buisson ardent opp. 203 & 171 a été créé presqu'un an après la mort de Koechlin, le 19.11.1951, par Roger Désormière (un de ses élèves) et l'Orchestre National de la RTF.

Curieusement, l'œuvre n'est pas citée par Koechlin dans ses "Notes détaillées sur diverses de mes œuvres" de 1945. Par contre il en est question dans sa correspondance (*) avec Romain Rolland, bien évidemment, mais aussi entre Esther Marchand et Romain Rolland.

Le 6 octobre 1938, elle lui écrit :
« [Ch. Koechlin] m’annonce (faites comme si je n’avais rien dit) « qu’il a terminé, avant de quitter la mer, le Buisson Ardent ». Mais il ajoute : « je n’y ai pas mis le quart de ce qu’il aurait fallu et je confesse mon impuissance. Pourtant je ne renie pas ce que j’ai écrit sur cet admirable sujet, mais c’est bien incomplet ainsi. »

Le 8 janvier 1939, dans une de ses nombreuses lettres à Romain Rolland, Koechlin écrit :

Cher ami,

… Tout d'abord, je vous dirai que l'été dernier j'ai écrit un poëme symphonique sur le
Buisson ardent de Jean-Christophe. Il y a longtemps que j'étais hanté par cela. Mais j'avais toujours reculé devant l'entreprise, pour laquelle j'estimais qu'il aurait fallu votre véritable Jean-Christophe ; et cette entreprise me semblait au-dessus de mes moyens. Au dessus des moyens de n'importe lequel, d'ailleurs, des musiciens actuels…

Alors, tout de même, je me suis décidé à écrire ce que je ressentais moi-même, et à tenter l'aventure. Mais j'ai bien vite discerné que mon œuvre resterait fort incomplète ne traduisant qu'une petite partie de ce que j'aurais voulu rendre, et de ce que vous avez réalisé vous-même ! Une petite partie. Et encore, peut-être bien sans rester suffisamment fidèle au texte de
Jean-Christophe. Ainsi, par exemple, je ne me suis pas senti capable de réaliser comme l'eût fait Jean-Christophe lui-même, ce chaos, d'où émergeaient des thèmes héroïques, comme des appels cosmiques. (Il y a peut-être des moments de chaos de ce genre, fond sur lequel barrissent des trombones, dans ma Course de Printemps, et vous savez qu'on ne refait pas deux fois la même chose.) On ne trouvera cela dans mon œuvre, qu'à l'état d'esquisse (polytonal, naturellement), au moment de la durchfribourg des Voix de la Nature avant le thème monodique et serein dans le mode de la. Encore n'est-il pas certain que ce passage, à l'orchestre, donne ce que j'ai voulu. (En général je n'ai guère de surprises avec mon orchestration, mais pour ce passage, il y a de l'imprévu, de l'« inexploré » – )

En outre, le thème de la joie et de la vie retrouvées de Jean-Christophe n'est sans doute pas assez imprévu, pas assez nouveau. On peut lui reprocher quelque chose de scholastique ; toutefois j'espère que grâce aux harmonies et à la vigueur rythmique, il ne sera pas trop loin du caractère de Jean-Christophe. Ensuite, sans arrêter la marche de l'épisode, le rythme de ce thème se combine (bitonalement) avec le thème de choral qui monte peu à peu des Basses jusqu'aux « dessus » puis c'est une grande expansion, presque monodique de nouveau, et qui, elle aussi, est loin de ce chaos multiple qui devait être la musique de Jean-Christophe.

Voici, en gros, le plan de l'œuvre :

I. Christophe contemple la vie du monde, qui coule comme une source, naïve et pure – c'est un chant des Ondes Martenot seul instrument ayant la transparence presque irréelle qu'il me fallait – ce chant s'amplifie, et s'accompagne d'harmonies bitonales jusqu'à planer sur une série de quintes superposées (la pesanteur absente).

II. Alors c'est une voix de tendresse consolatrice – (passage en ré b sur la dominante de la b) – c'est aussi la voix de la nuit, de l'océan, de la forêt, – de toute la nature (avec retour des harmonies polytonales où l'on perçoit aussi des appels de cuivres) jusqu'à un repos d'où s'élève

III. monodique, un chant modal et serein qui symbolisera le calme rentré dans l'âme de Jean-Christophe. Ce chant conclut, très doux, et s'enchaîne à

IV. la fugue de la joie de Jean-Christophe. C'est peut-être trop nettement joyeux, pas assez étrange, trop jeune ? Mais c'est ainsi que j'ai senti ce renouvellement de Jean-Christophe et je n'ai pu faire autrement le rythme de la fugue s'enchaîne sans arrêt, aux passages où s'élève le choral (Ondes Martenot et cordes) sous les croches persistantes et allègres du thème qui amène à

V. l'exposition monodique, puis réalisée avec des harmonies et qui se conclut, d'une façon assez imprévue et pourtant logique, je crois, par un diminuendo plus méditatif… il y avait deux façons de finir : ou bien conclure sur des accords ff dans une joie exubérante et triomphale, ou bien laisser tomber cette exubération, l'amener ainsi vers une conclusion méditative, songeuse – c'est celle-ci que j'ai choisie ou plutôt qui s'est imposée à moi parce qu'elle était mieux, sans doute, dans ma nature. Et cela finit par un rappel, très court, de la voix initiale de la nature, très douce et lumineuse – disant encore et toujours, « Va »…


Charles Koechlin


*) "Correspondance Romain Rolland - Esther Marchand - Charles Koechlin",
rassemblée par Louis-Germain VIALA et Marc LERIQUE-KOECHLIN
2006 - 859 p. - ISBN 978-2-7466-0053-9
Éd. : Louis-Germain VIALA
5 Allée des Marronniers
F-33200 BORDEAUX CAUDÉRAN


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MessageSujet: Re: Koechlin - Le Buisson Ardent   Koechlin - Le Buisson Ardent EmptyLun 10 Aoû 2009 - 17:05

Et le 6 juillet 1939, Koechlin écrit encore à Romain Rolland (*) ceci :

"... En attendant je n'ai guère de temps ces jours-ci et il me faut vous écrire à la hâte, brièvement. Je voulais vous dire que j'ai fait un poëme symphonique sur le Buisson Ardent, de Jean-Christophe (non pas cet hiver ni ce printemps, car je n'ai presque pas eu de temps pour composer, – mais l'été et l'automne de 1938).

Ce poëme symphonique est incomplet et insuffisant, si je le compare à tout ce que vous avez évoqué, à tout ce que j'aurais voulu exprimer.

Pour bien faire, il eût fallu partir de la détresse de Jean-Christophe, et par une de ces musiques atonales, neutres et désespérées, de l'École moderne, dire cet absolu désarroi ; – puis j'aurais dû, par ma musique, évoquer l'ouragan du foehn annonciateur de la Renaissance. Or, je n'ai rien fait de tout cela. J'avais besoin de ne traduire que cette seule Renaissance et je ne me suis pas senti la force de composer une musique pessimiste, découragée, et comme morte. J'avais besoin de musique vivante, optimiste, heureuse. J'accorde que ce fait est contraire à la thèse de Taine, selon laquelle une période d'inquiétude, de désarroi, de découragement presque, engendrerait un art de même nature ; mais bien souvent au contraire (l'histoire de la musique nous le montre, d'ailleurs) les musiciens ont besoin, ne fut-ce que pour se soutenir, d'écrire des œuvres vivantes, allantes, et joyeuses. Tel fut mon cas l'an dernier lorsque je composai deux poëmes symphoniques :
La Cité nouvelle rêve d'avenir, et Le Buisson Ardent.

Au début de ce poème symphonique sur le
Buisson Ardent, Jean-Christophe écoute la vie qui coule comme une source fraîche – puis ce sont des thèmes plus vifs, une fugue allegro (malheureusement elle ne correspond pas à ce que Jean-Christophe écrivait lui-même, je veux dire à cette sorte de chaos d'où émergeait des vagues de musique écumante et tumultueuse – ma fugue, sans être scolastique le moins du monde, n'est pas aussi « révolutionnaire » que l'eût été, sans doute, celle écrite par quelque Jean-Christophe de nos jours. (Mais qui est digne, aujourd'hui, d'être comparé à Jean-Christophe ? Je n'en vois aucun) – puis la fugue s'entremêle, polytonalement, avec un choral, pour aboutir à une grande expansion presque monodique.

Je ne sais pas si je pourrai jamais vous en donner une idée ! C'est difficile à jouer, et puis ce n'est pas réduit pour le piano. Je n'ai pas revu ma partition d'orchestre depuis septembre dernier, car je l'ai laissée dans mon vieux chalet à Villers-sur-mer. Je ne sais quand ce sera joué… d'ailleurs je n'ai pas encore fait copier le matériel d'orchestre. Il faut aussi que je revoie l'œuvre auparavant ; je sais qu'elle ne traduit qu'incomplètement votre
Buisson Ardent, mais je voudrais que cela ne fût pas trop infidèlement et qu'elle fût digne d'être jouée.

De toute façon permettez-moi de vous remercier des heures bienfaisantes et heureuses que m'a fait passer la gestation et la réalisation de cette œuvre – à laquelle je songeais depuis très longtemps mais que je n'avais jamais osé mettre en train. Il aurait fallu, peut-être, la fougue et la pensée touffue, multiple, de Paul Dupin, avec la virtuosité d'orchestre d'un Richard Strauss. Si j'ai pu y suppléer par ma technique contrapunctique et par ma ligne mélodique, et par mes harmonies polytonales, tant mieux – on verra…"


*) "Correspondance Romain Rolland - Esther Marchand - Charles Koechlin",
rassemblée par Louis-Germain VIALA et Marc LERIQUE-KOECHLIN
2006 - 859 p. - ISBN 978-2-7466-0053-9
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MessageSujet: Re: Koechlin - Le Buisson Ardent   Koechlin - Le Buisson Ardent EmptyLun 10 Aoû 2009 - 17:28

Ah c'est très intéressant, je ne savais pas le cheminement de l'oeuvre, et on comprend la raison des 2 Opus maintenant. Smile
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