Les lieder de jeunesse de Berg

J'ai créé ce sujet pour explorer une partie immergée de l'œuvre de Berg, dont on retient surtout la période dodécaphoniste et shoenbergienne.
Jeune, Berg avait déjà composé, en autodidacte, pas loin de quatre-vingts lieder et quelques œuvres pour piano à quatre mains sous l'influence du romantisme germanique. Il avait alors parmi ses idoles Gustav Mahler et Richard Wagner. Il devait quitter définitivement ces réminiscences de romantisme quand il devint, en 1904, l'élève de Schoenberg. Il avait 19 ans.

Que pensez-vous de ces lieder ?

On en a beaucoup parlé ces dernières semaines dans d'autres fils. Ils sont tout de même pour certains très célèbres, en particulier ceux publiés sous le nom de Frühe Lieder, précisément.

Et ce sont des chefs-d'oeuvre vertigineux.

Pas sûr qu'il ait jamais été un romantique pur jus ni qu'il ait abandonné cette vision décadente par la suite. En gros, Berg est quand même longuement resté en phase avec l'esthétique de type Dehmel. Pour ses deux opéras, il est vrai qu'il est dans un expressionnisme plus franc.

Pour ma part, je m'intéresse particulièrement aux magnifiques sept lieder de jeunesse, qui concernent la période du début de l'apprentissage avec Shoenberg (1905-1908).

C'est ceux dont je parlais, qui sont très célèbres et abondamment représentés en discographie.

Autant pour moi . Je ne pensais pas que Berg avait une œuvre de jeunesse digne de ce nom, si je puis dire, avant de tomber sur ces lieder (j'ai aussi la version orchestrée de 1928 par le Wiener Philharmoniker et Abbado).
On pense généralement que c'est Shoenberg qui a fait de lui ce qu'il est (ce qui n'est pas faux), mais ce n'est pas Shoenberg qui a entièrement révélé Berg à la composition.
Cela dit j'ai lu au hasard de mes pérégrinations que Berg n'arrivait à composer que pour voix avant de connaître Shoenberg et son enseignement qui lui a ouvert la porte de la composition orchestrale...

J'étends un tout petit peu le fil. J'écoute l'op.4 (Altenberg-Lieder). Il y a déjà du Wozzeck dedans. 5 micro-perles orchestrales complètement renversantes. Ecriture atonale ultra expressive et complètement nécessaire pour servir des textes très courts, assez curieux, parfois étonnants.

Hier ist Friede. Hier weine ich mich aus über alles!
Hier löst sich mein unfassbares, unermessliches Leid,
das mir die Seele verbrennt ...
Siehe, hier sind keine Menschen, keine Ansiedlungen.
Hier ist Friede! Hier tropft Schnee leise in Wasserlachen ...

Particulièrement séduit par le version Abbado avec Banse et Vienne.

Des petites pièces dont on aimerait bien que nos experts nous décortiquent les détails de l'écriture

L'orchestration est somptueuse et épurée. On sent aussi la violence sous-jacente. Toujours cette impression que les cordes vont nous sauter au visage pour nous mordre alors qu'elle sont d'une douceur incroyable. La tension dramatique est très présente. Finalement ce que je trouve de commun avec Wozzeck c'est cette pregnance du drame dans l'orchestre parfois bien plus que dans le chant.

steadyraph a écrit:

Pour ma part, je m'intéresse particulièrement aux magnifiques sept lieder de jeunesse, qui concernent la période du début de l'apprentissage avec Shoenberg (1905-1908).

Je les trouve très beaux également ! Je ne les connaissais pas, ils sont dans une certaine continuité postromantique mais il y a cette concision et une sobriété dans l'écriture vocale qui les rendent très attractifs. J'ai écouté des versions pour orchestre, je crois que ce sont les plus répandues mais je me demande ce que ça donnerait avec piano. En tout cas mes écoutes ont été accompagnées du très bon livre L'école de Vienne de Dominique Jaumet, très complet !

Duck Feeling a écrit:

L'école de Vienne de Dominique Jaumet, très complet !

Il me semble que c'est D. Jameux
Il est également spécialiste de Boulez, non ?

Tout à fait et son livre sur l'Ecole de Vienne est une somme imposante qui fera date.

J'y reviendrai.

arnaud bellemontagne a écrit:

Tout à fait et son livre sur l'Ecole de Vienne est une somme imposante qui fera date.

J'y reviendrai.

Vous me faites envie... C'est que je vais finir par les sortir les 30€ et les 20H de lectures avec clavier.

steadyraph a écrit:

Duck Feeling a écrit:

L'école de Vienne de Dominique Jaumet, très complet !

Il me semble que c'est D. Jameux
Il est également spécialiste de Boulez, non ?

Oups, un lapsus !

En tout cas son livre m'a l'air vraiment bien fichu, parsemé d'analyses, mais avec un style littéraire agréable.

Un livre indispensable je le redis.

Dites moi les germanophones,
Est ce que cette traduction est bonne ? Je ne parle pas allemand mais au nombre de mots elle me semble déjà rallongée...
http://www.recmusic.org/lieder/get_text.html?TextId=7348
Merci

Mon allemand est un peu rouillé et j'écris sous réserve de confirmation par des avis plus "autorisés", mais a priori, oui, ça me semble bon. Je pense que l'effet "rallonge" vient surtout des différences entre les deux langues (le français étant peu "compact"). Et peut-être d'un petit peu de préciosité dans la traduction en effet, qui aurait pu être plus plus "brute", mais fondamentalement, je n'ai pas l'impression d'une indigne trahison.

D'accord, merci ! J'imaginais effectivement quelque chose de moins ampoulé

Les 7 Frühe lieder, me semblent très debussystes ! Etrange non ?

Il y a beaucoup de gamme par tons chez Berg et surtout dans Nacht, le premier de ces lieder, mais aussi de temps à autre dans Lulu il me semble.

Xavier a écrit:

Il y a beaucoup de gamme par tons chez Berg et surtout dans Nacht, le premier de ces lieder, mais aussi de temps à autre dans Lulu il me semble.

Tout à fait d'accord sur le ressenti … le 1° … c'est ultra-flagrant que ça ressemble à du Debussy. Après évidemment … ce n'est pas moi qui vais analyser la partoche … (ni celles de Debussy).
Lulu ça ne me saute pas aux oreilles … mais je suis pas vraiment habitué à l'œuvre. Il est clair cependant que l'œuvre se veut arrondissant les angles par rapport à Wozzeck (ce n'est d'ailleurs pas pour ça qu'elle est plus accessible … loin de là).

Je dis Lulu mais je n'ai pas un passage précis en tête, en tout dans Nacht c'est très clair, gamme par tons presque la moitié du lied, notamment le début à la fin.