Lorraine Hunt-Lieberson (mezzo-soprano)

[Puisqu'on me l'impose, je m'exécute, Aurèle me fait très peur. ]

J'ouvre donc ce fil sur cette chanteuse que j'apprécie beaucoup, mais qui m'a souvent un peu laissé dans l'expectative, comme si elle n'osait pas aller au bout de ses possibles.

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1. Situation

Lorraine Hunt, épouse de (l'excellent) compositeur Peter Lieberson, a toujours joui d'une très grande réputation auprès de la critique et du disque.

Elle a surtout exercé (comme mezzo-soprane) dans le baroque (italien, français et anglais), mais s'est aussi intéressé aux impressionnistes français et au vingtième via la musique de son mari.

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2. Caractéristiques

Sa voix est à la fois généreuse, assez dense, plutôt élancée et un peu acide sur le 'bord'. Les contours n'en sont pas très fermes, et c'est comme quelque chose qui s'efface autour du noyau de la voix, une sorte de queue de comète. Cela participe de son timbre très chaleureux, et de son effet presque immédiatement lacrymal - une sorte de Ferrier baroque.

Alors que la diction n'est jamais très nette (elle articule assez en arrière, ce qui rend les langues autres que l'anglais assez peu intelligibles) ni tout à fait parfaite (les voyelles sont toujours bonnes, mais pas forcément tout à fait exactes), elle transmet beaucoup d'émotion (pas forcément très variée au demeurant) par le seul timbre.

C'est aussi une voix qui se marie très bien avec les instruments de l'orchestre, mieux qu'avec un piano solo qui expose plutôt les petites imperfections qu'on a dites.

Actrice très impliquée, ce qui n'a pas peu contribué à ses succès, surtout vu sa stature physique (grande et étroite, mais sans maigreur). Elle épouvantait tellement les autres artistes dans Médée (de Charpentier) que personne ne lui adressait la parole dans les couloirs, à cause de la crainte qu'elle inspirait.

Les succès très réels de son vivant ont été encore augmentés par la légende de cette femme dans la force de l'âge emportée par le cancer - comme Ferrier. Elle est désormais encore plus unanimement admirée - moi-même qui l'aime beaucoup, j'ai presque l'impression d'être un détracteur vu l'intensité de l'adoration de la plupart des mélomanes.

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3. Une idée de son répertoire

Pas d'exhaustivité comme dans les biographies d'Aurèle, mais voici quelques pistes.

Premiers opéras
- La Fortune et Minerve dans le Retour d'Ulysse de Monteverdi (CD Jacobs).

Baroque de type français
- Médée de Charpentier (CD Christie II).
- Didon de Purcell (CD McGegan)
- Phèdre dans Hippolyte et Aricie de Rameau (CD Christie)

Baroque de type seria
- airs de Haendel (en récital)
- Sesto dans Giulio Cesare de Haendel (DVD Craig Smith)
- Ariodante de Haendel (CD McGegan)
- Theodora de Haendel (DVD Christie)

Classique
- Idamante dans Idoménée de Mozart (CD Mackerras)
- Elvira dans Don Giovanni de Mozart (DVD Craig Smith)

Français fin-de-siècle
- mélodies de Fauré (en récital)
- mélodies de Debussy (en récital)
- Mélisande de Debussy (Haitink Boston 2003 à Carnegie Hall, avec Keenlyside et Finley - non publié)

Musique contemporaine
- Sonnets de Neruda de Peter Lieberson (CD Levine)

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4. Recommandations ?

Ce que j'ai trouvé de plus saisissant chez elle est bien sûr sa Médée chez Charpentier, un peu opaque et dure, pas très intelligible (quoique tout à fait exacte prosodiquement) mais très engagée et impressionnante. (Disque absolument indispensable par ailleurs.)

Et puis, à l'autre bout du spectre, ses Neruda tendres, mélancoliques, désespérés.

Avec ces deux disques, on voit bien l'étendue de son art (mais le style qu'elle emploie dans Médée est réellement une exception - elle chante généralement avec plus de mollesse dans la voix).


Voilà, j'ai fait mon travail - à vous !

Merci pour l'ouverture de ce topic. Je ne la connais pas encore très bien. J'ai entendu des extraits de sa Phèdre avec Christie. Il va falloir que j'entende sa Médée et sa Phèdre (en entier). J'aime bien la voix sans être fan. Elle est bien dans le rôle d'Ariodante, touchante même si pas autant qu'Ann Hallenberg. Elle est expressive. Il paraît que dans Les Troyens de Berlioz au Met en 2003, elle a été une superbe Didon. Cela a été radiodiffusé. Est-ce que quelqu'un a entendu cela?

Merci David pour cette introduction. Je ne fais pas partie des gens qui rendent un culte posthume, même si la mort de Lorraine m'a touché. Mais je l'ai vue et découverte en vrai dans son extraordinaire Médée ; oui, sa voix avait une grande qualité de chaleur et d'expression ; je ne me rappelle pas que sa prononciation n'était pas si bonne que ça, mais j'imagine que les vidéos l'attestent ; peut-être que sa présence en salle était suffisamment magique pour que je passe volontiers sur ce défaut-là (qui ordinairement me gêne). Tu ne mentionnes pas une caractéristique physique de Lorraine, le fait qu'elle louchait un peu, et qui ajoutait encore à son charme mystérieux et majestueux.

La diction n'est pas du tout mauvaise, le français est même très bon, mais à cause de l'articulation très en arrière de la bouche, un francophone peinera à retrouver ses mots...

Evidemment, avec le spectacle de Villégier (dont il n'existe aucune trace, je parle du studio qui a suivi), ce devait paraître tout à fait accessoire.

Dans le DVD de Theodora avec Christie à la direction, elle interprète le rôle d'Irene. En 1991, elle a enregistré avec Nicholas McGegan le rôle titre. Est-ce que quelqu'un connaît cet enregistrement?

aurele a écrit:

Dans le DVD de Theodora avec Christie à la direction, elle interprète le rôle d'Irene. En 1991, elle a enregistré avec Nicholas McGegan le rôle titre. Est-ce que quelqu'un connaît cet enregistrement?

Tu parles de quel enregistrement, le DVD Christie / Carsen ou le CD McGegan ?

Octavian a écrit:

Tu parles de quel enregistrement, le DVD Christie / Carsen ou le CD McGegan ?

le CD McGegan

Je ne connais pratiquement Lorraine Hunt que dans le répertoire baroque où elle a laissé des enregistrements remarquables : son époustouflante Médée de Charpentier d'anthologie, son Irene sublime dans le Theodora de Haendel (version DVD, mais comme Aurèle ne veut pas que j'en parle... ). Récemment j'ai pu l'entendre toutefois dans un autre répertoire, celui du compositeur américain contemporain John Harbison. Sa prestation dans le cycle de six mélodies avec ensemble North and South (1999), qu'on peut trouver sur ce disque Naxos :



vaut également d'être entendue. L'œuvre met en musique des poèmes du recueil éponyme de la poétesse Elizabeth Bishop, dans une structure en deux volets (2 x 3 mélodies) qui commence à chaque fois par un poème, "Ballad for Billie", évoquant Billie Holiday. Lorraine Hunt, dans son interprétation, accentue et met en valeur les potentialités proches du blues de la ligne vocale, d'où un "mariage" assez intéressant notamment avec la partie instrumentale plus "traditionnellement" représentatifs du langage "classique" contemporain (ça fait beaucoup de guillemets, je sais).

A noter que Lorraine Hunt apparaît également sur cet autre disque consacré à Harbison, mais je n'arrive pas à savoir quelle oeuvre exactement elle y interprète :

Octavian a écrit:

A noter que Lorraine Hunt apparaît également sur cet autre disque consacré à Harbison, mais je n'arrive pas à savoir quelle oeuvre exactement elle y interprète :

Hm, voyons. Elle intervient dans la Sonate pour piano et dans le Concerto pour hautbois, c'est pourtant évident, non ?

France Musique a diffusé ce soir son interprétation de "Je vais mourir...Adieu, fière cité" des Troyens du live du 22 février 2003 du Met. Levine prend le récitatif et l'air de manière très lente. Je ne sais plus si c'est le cas dans le DVD. Elle montre ses dons de tragédienne et c'est magnifique vocalement. Il y a une grande sensibilité et des sanglots dans la voix.

Nouvelle parution



Aussi, son Lied von der Erde est sur youtube.

il y a aussi des poèmes de Rilke de Lieberson écrits à son intention.

sud273 a écrit:

il y a aussi des poèmes de Rilke de Lieberson écrits à son intention.

Mais ça, ça existe depuis assez longtemps et très facilement accessible : dès le début des années 2000, dans la collection 20/21 de DG. Mais ce n'était pas elle qui les chantait, certes.

DavidLeMarrec a écrit:

[Puisqu'on me l'impose, je m'exécute, Aurèle me fait très peur. ]

J'ouvre donc ce fil sur cette chanteuse que j'apprécie beaucoup, mais qui m'a souvent un peu laissé dans l'expectative, comme si elle n'osait pas aller au bout de ses possibles.

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1. Situation

Lorraine Hunt, épouse de (l'excellent) compositeur Peter Lieberson, a toujours joui d'une très grande réputation auprès de la critique et du disque.

Elle a surtout exercé (comme mezzo-soprane) dans le baroque (italien, français et anglais), mais s'est aussi intéressé aux impressionnistes français et au vingtième via la musique de son mari.

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2. Caractéristiques

Sa voix est à la fois généreuse, assez dense, plutôt élancée et un peu acide sur le 'bord'. Les contours n'en sont pas très fermes, et c'est comme quelque chose qui s'efface autour du noyau de la voix, une sorte de queue de comète. Cela participe de son timbre très chaleureux, et de son effet presque immédiatement lacrymal - une sorte de Ferrier baroque.

Alors que la diction n'est jamais très nette (elle articule assez en arrière, ce qui rend les langues autres que l'anglais assez peu intelligibles) ni tout à fait parfaite (les voyelles sont toujours bonnes, mais pas forcément tout à fait exactes), elle transmet beaucoup d'émotion (pas forcément très variée au demeurant) par le seul timbre.

C'est aussi une voix qui se marie très bien avec les instruments de l'orchestre, mieux qu'avec un piano solo qui expose plutôt les petites imperfections qu'on a dites.

Actrice très impliquée, ce qui n'a pas peu contribué à ses succès, surtout vu sa stature physique (grande et étroite, mais sans maigreur). Elle épouvantait tellement les autres artistes dans Médée (de Charpentier) que personne ne lui adressait la parole dans les couloirs, à cause de la crainte qu'elle inspirait.

Les succès très réels de son vivant ont été encore augmentés par la légende de cette femme dans la force de l'âge emportée par le cancer - comme Ferrier. Elle est désormais encore plus unanimement admirée - moi-même qui l'aime beaucoup, j'ai presque l'impression d'être un détracteur vu l'intensité de l'adoration de la plupart des mélomanes.

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3. Une idée de son répertoire

Pas d'exhaustivité comme dans les biographies d'Aurèle, mais voici quelques pistes.

Premiers opéras
- La Fortune et Minerve dans le Retour d'Ulysse de Monteverdi (CD Jacobs).

Baroque de type français
- Médée de Charpentier (CD Christie II).
- Didon de Purcell (CD McGegan)
- Phèdre dans Hippolyte et Aricie de Rameau (CD Christie)

Baroque de type seria
- airs de Haendel (en récital)
- Sesto dans Giulio Cesare de Haendel (DVD Craig Smith)
- Ariodante de Haendel (CD McGegan)
- Theodora de Haendel (DVD Christie)

Classique
- Idamante dans Idoménée de Mozart (CD Mackerras)
- Elvira dans Don Giovanni de Mozart (DVD Craig Smith)

Français fin-de-siècle
- mélodies de Fauré (en récital)
- mélodies de Debussy (en récital)
- Mélisande de Debussy (Haitink Boston 2003 à Carnegie Hall, avec Keenlyside et Finley - non publié)

Musique contemporaine
- Sonnets de Neruda de Peter Lieberson (CD Levine)

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4. Recommandations ?

Ce que j'ai trouvé de plus saisissant chez elle est bien sûr sa Médée chez Charpentier, un peu opaque et dure, pas très intelligible (quoique tout à fait exacte prosodiquement) mais très engagée et impressionnante. (Disque absolument indispensable par ailleurs.)

Et puis, à l'autre bout du spectre, ses Neruda tendres, mélancoliques, désespérés.

Avec ces deux disques, on voit bien l'étendue de son art (mais le style qu'elle emploie dans Médée est réellement une exception - elle chante généralement avec plus de mollesse dans la voix).


Voilà, j'ai fait mon travail - à vous !

Aurèle a encore frappé à ce que je vois

J'adore beaucoup cette chanteuse qui me donne des frissons surtout dans ses oeuvres baroques... à l'image d'une Médée terrifiante ou d'un ariodante expressif. Je pense qu'on peut rajouter à sa discographie, The Fairy Queen de Purcell.

J'ai lu quelque part qu'elle était programmée pour jouer l'Orfeo ed Euridice... le destin nous a fait raté un vibrant Che Faro...

http://www.amazon.fr/Lorraine-Hunt-Lieberson-Tribute/dp/B004VFYOE8

A NOTER la sortie fin Août d'un double CD en hommage à Lorraine Hunt, cinq ans après sa disparition. Au programme: Ariodante, Dido and Aeneas, The Messiah ou Giulio Cesare

The Music Makers (Elgar) avec Slatkin en 2004 à Londres.

. . . /watch?v=2MsE0WtQVhM

(J'y étais!)

J'ai joué son Frauenliebe und Leben hier (un live chez Wigmore Hall) -- ca m'a fait pleurer presque -- elle est tellement habitée par la musique.

Sortie CD
Après la sortie d'un double cd hommage en Août dernier, après les rééditions de sa Fairy Queen (EMI), de sa Médée et de sa Phèdre (Erato), de l'exhumation de ses nuits d'été, il est annoncé une réédition de sa Theodora en mai 2012
http://www.amazon.fr/Theodora-Georg-Friedrich-Haendel/dp/B007N0SV06/ref=sr_1_1?s=music&ie=UTF8&qid=1335318273&sr=1-1

Et ce pour notre plus grand plaisir.

Peux pas m'empêcher de mettre ce que je considère comme ses trois plus belles choses :

/watch?v=q5wgVnzlnUQ

/watch?v=a7LvfpYyIIM

et surtout /watch?v=IQlt1UxjvWU

De vrais joyaux.