Quelques impressions rapides sur le
Comte Ory ; à comparer avec mon CR de l'éteignoir genevois :
https://classik.forumactif.com/t5369-grand-theatre-geneve-2011-2012?highlight=geneve.Une production (
Bélier-Garcia) plutôt intelligente, assez visuelle (la terrasse en gazon du I, l'ensemble des costumes, magnifiques, etc. ; tout cela n'étant jamais prisonnier d'une reconstitution stérile, cf. la scène des nonnes façon
dancefloor) ; un brin trop de gaudriole à mon sens, d'autant que le public, très bon enfant, y répond bruyamment. C'est dommage/dérangeant dans les suspensions de l'air de la Comtesse ou dans le duo Adèle/Comte (au II) ; Minkowski avait ouvert le débat, notamment lors de la
Belle Hélène du Châtelet (le duo du rêve parasité par des applaudissements incongrus) et, personnellement, j'aimerais un peu plus de retenue dans l'assistance. Ne pas oublier, ici, que la farce épaisse, gauloise, ne cadre peut-être pas complètement avec l'esprit (je ne cherche pas la lettre, c'est acquis) d'une oeuvre créée à l'Académie royale de musique durant la Restauration !
Direction vive de
Rizzi-Brignoli (je l'avais entendu dans
Don Carlo,
Traviata et
Rigoletto et je ne l'attendais pas,
a priori, ici ; c'était idiot). L'orchestre est bien travaillé dans la masse (belles cordes graves et instruments concertants, notamment dans la cabalette de l'air du Gouverneur) en dépit d'un
piccolo insupportable. Surtout c'est une vraie direction de théâtre qui respire large, si nécessaire, et ne couvre jamais les chanteurs ; le délire organisé du finale du I est, par ailleurs, purement jouissif.
Sur le plateau, un seul (petit ; et encore, seulement, conjoncturel) bémol :
Marc Laho, malade, n'a pas donné tout le brillant qu'on lui connait (suraigu, évidemment ; alors que le reste de la tessiture est d'un brillant/sonnant juteux). Mais la présence, la faconde, le français exemplaires et la connaissance absolue du rôle rattrappent tout. Malade aussi (il tousse en scène), le Gouverneur de
Nicolas Courjal assure crânement sa partie avec un timbre royal, assis sur des graves herculéens, l'ensemble de la voix jouissant d'une résonnance incroyable, d'une projection titanesque. Rien à dire d'autre sur
Jean-François Lapointe que ce que j'avais déjà écrit sur son Raimbaud genevois : "tout en hormones, à la projection de
stentor".
Les trois dames sont superbes d'abattage.
D'Oustrac fait un Isolier furieux, ludique, palpitant et d'un confort de tessiture évident (les aigus sont jetés d'utorité) ; avec une saveur, pour le coup très française, donnée aux récitatifs déclamés comme de la Tragédie Lyrique.
Todorovitch avec des registres disjoints mais un
alto sonnant avec volupté fait une Ragonde plus vraie que nature, érotissime (c'est peut-être aller loin de la part du metteur-en-scène mais ça fonctionne) ; et quelle sûreté, quelle précision dans les ensembles !
Massis, enfin, retrouve le rôle de la Comtesse, à son exacte mesure, où elle vit et joue (vraiment ; comme Janowitz fofolle en Fiordiligi) et prend manifestement autant de plaisir qu'elle en donne ; le port est superbe, la voix bien assise, sans aigreurs, déliée, projetée, avec des aigus (trop ? J'ai eu l'impression de retrouver son Olympia, à la fin de l'air). Bref très loin de la (relative) déception que j'avais ressentie avec sa Folleville de la Scala (et la comparaison n'est pas neutre puisque le rôle partage beaucoup de musique avec la Comtesse).
En somme, la production la plus immédiatement réjouissante (j'insiste sur l'adjectif) que j'ai entendue depuis le début de saison (ça talonne sec avec le
Roméo de Marseille, encore, le
Faust d'Avignon et le
Tancredi de Berlin) !