Bon, histoire de développer un peu quand même!

Alors déjà, l'ouvrage est toujours aussi passionnant et marquant. On ne s'y ennuie jamais, tout avance à un rythme phénoménal, d'un dramatisme impressionnant. Bon, il nous manque encore une grosse heure de musique par rapport à l'intégralité de la partition (et même si on nous dit que "sinon ce serait aussi long que le
Crépuscule", moi ça ne me poserait aucun problème...

), mais on retrouve grosso-modo la partition proposée à Paris. Il y a deux ou trois endroits où j'ai été surpris par continuité un peu étrange : micro coupures ou juste moi qui me fait des idées? A quelques endroits aussi, quelques ajouts... qu'on ne retrouve pas dans le livret je crois alors qu'on y trouve le final avec cabalette de l'acte IV (qui n'est pas chanté

).
Mais l'ajout le plus notable est le boléro d'Eudoxie qui tombe un peu comme un cheveux sur la soupe. On se demande d'ailleurs l'intérêt de ce numéro assez banal, voir même vulgaire en plus vu la caractérisation du personnage.
Direction vraiment chouette en tout cas avec un orchestre très engagé tout comme le choeur.
Daniele Rustioni totalement radieux à la fin, saluant de la fosse ses musiciens, montrant le point et l'orchestre lui répondant avec de grands sourires... beaucoup de plaisir dans la fosse donc et on l'a bien entendu!
Niveau mise en scène,
Py et
Weitz sont parfaitement reconnaissables, allant piocher un peu dans tous leurs spectacles : les croix des
Huguenots, le défilement des décors des
Carmélites, les escaliers (dangereux!) de
Hamlet, le lit de
Tristan... mais c'est visuellement chouette et bien fait... il faudrait juste trouver d'autres idées

Tout en niveau de gris ou presque, avec de beaux tableaux et des jeux de lumières. Direction d'acteurs très fine et bienvenue. Une chouette mise en scène en tout cas.
Vocalement, c'est de bonne facture, mais pas forcément aussi prenant qu'on peut l'espérer.
Vincent Le Texier est un Ruggiero parfait de violence et de fanatisme. Après, c'est vraiment pas beau, mais ça fonctionne parfaitement!
Roberto Scandiuzzi est dans la lignée de Furlanetto, mais avec des moyens moindres tant vocaux que dramaturgiques. On reste dans une grosse voix de basse un peu empattée et un certain manque de noblesse. Le grave est impressionnant... mais il lui manque un peu de violence et de haine par moments. Et dans ses suppliques, il reste trop dans le souffle. Bon, en même temps mon rêve ce serait plutôt un Courjal en Brogni : enfin un chant direct et un style parfait...
Pour Leopold,
Enea Scala était souffrant et nous a bien fait souffrir pour la sérénade. Avec un volume très diminué, il nous a fait des transpositions très étranges :
Loin de son amie vivre sans plaisirs,
ne compter sa vie que par ses soupirs,
voilà de l'absence quelle est la souffrance,Tout ce qui est en rouge était transposé sacrément vers le bas... peut-être un octave, à vérifier... En même temps c'est haut et tendu. Mais bon, vraiment bizarre.
Par la suite, la voix prend du corps, le chanteur de l'assurance et finira de très belle manière, avec un très beau duo au deuxième acte, très investi et mordant. La voix reste un peu nasillarde, mais le style est là!
Eudoxie est traitée par Py comme une femme très hardie, un peu vulgaire et très portée sur la chose...
Sabina Puértolas semble très bien s'adapter à ce portrait pour le moins étrange. Il faut dire que son chant est parfaitement en accord : quelques chose de sensuel mais aussi un peu vulgaire dans les accents, une façon d’exhiber un aigu comme elle exhibe ses jambes... je dois avouer que j'ai eu du mal... car même après la malédiction, le chant ne gagne pas en subtilité et en sobriété. C'est vocalement pas mal, mais très loin niveau personnage.
Pour Rachel, on trouve un profil vocal assez étrange.
Rachel Harnisch donne une interprétation très fine et bien sentie du personnage avec forces nuances et un chant d'une belle probité... mais le soucis est qu'à force de faire attention, il lui manque la spontanéité ou au moins l'illusion de la spontanéité! L'aigu manque de puissance et de chaire, le grave est trop léger et la puissance reste limités (même si elle évolue au fur et à mesure de l'ouvrage). Du coup, c'est une Rachel qui manque d'emportement, trop sacrificielle... et moi, j'aime les Rachel qui se démènent sur scène, qui se jettent dans le feu! (Scaini ou même Antonacci qui ne s'économisait pas!)
Enfin
Nikolai Schukoff se montre impressionnant dans ce rôle affreux! Loin des vieux ténors qui font avec les moyens du bord (suivez mon regard!), il donne un portrait complet et nuancé du rôle, évitant la caricature ou le cri. La voix manque un peu de couleur et d'aigu (surtout au début mais petit à petit, il ose de plus en plus), la cabalette est coupée... mais le chant est sain, la voix puissante et le phrasé très beau. Cet Eléazar possède les différentes facettes du père et du religieux. C'est vraiment agréable d'entendre ainsi ce rôle trop souvent sacrifié par un organe trop faible.
Au final, une belle distribution... mais on pourrait rêver de mieux encore! Pour Eudoxie il y a moult sopranos françaises qui auraient donné un chant plus fin et délicat. Pour Brogni, Courjal ou Varnier bien sûr! Pour Rachel Gens ou Manfrino (j'en rêve

)... reste Eléazar... je voudrais bien un chanteur plus léger comme un Barbeyrac dans quelques années, mais je crains un peu pour la violence du chant sur la voix.
Par contre, très beau travail de diction pour tous les chanteurs! Chapeau!
Diffusion sur France-Musique le 7 mai...