- Pipus a écrit:
- Ce n'était pas exactement le sens de mon interrogation, Bémol.
Il est vrai que je n'ai pas été limpide. Disons-le autrement :
Hormis la raison, les mécanismes conscients par lesquels j'aborde musique et cinéma sont très différents.
De par sa nature évocatrice, voire évocatoire, la musique, m'est avis, a vocation moins à démontrer qu'a invoquer. Si les pensées musicales des compositeurs ont toujours et nécessairement été influencées par l'esprit de leur temps, elles n'en n'ont pas moins produit des œuvres inintelligibles à l'oreille avide de sens.
Mettrait-on le plus sagace des mélomanes face à un
Pierre et le Loup inconnu, pour la première fois, le privant et du titre et du texte, il nous
rendrait conte, si on devait l'y avoir poussé, d'un récit étranger à celui de
Profofiev.
Le même mélomane, tout à la musique qu'il est, imaginons-le ainsi, ignore tout du cinéma. L'installerions-nous devant un film muet, par exemple
L'Aurore de
Murnau, ne lui soufflant mot ni du synopsis ni du titre, il saurait en fin de projection nous livrer un résumé parfait de l'œuvre.
Il est question, plus haut, d'œuvres narratives et déjà l'on note à quel point la musique et le cinéma requièrent des mécanismes distincts en l'intelligence. Le rapport au temps, dans les deux disciplines, est à cet égard très intéressant, puisqu'en musique le temps qui passe est le temps qui est quand le cinéma a recours aux ellipses, aux ralentis, aux accélérations ainsi qu'aux ridicules
flash-back. Les modifications de tempo, de rythme, sont du temps de la musique, au cinéma ils sont du temps de l'action ou recul sur elle.
Il est courant, au cinéma, d'entendre le dialogue nous signifier le propos du film, tandis qu'en musique, si prosodique soient telles arpèges où prosaïques tels
crescendi, ils n'en demeurent pas moins inefficaces à dire la pensée de leur auteur avec précision.
Bien sûr, la tonalité générale d'une œuvre musicale ne nous est pas nécessairement incompréhensible, bien sûr, la musique use d'astuces formelles, bien sûr, le compositeur, parfois, sait appuyer son propos ponctuellement, jouer de citations et de références, mais l'on fait difficilement des traités en musique. Si des philosophies ou des mystiques sont intelligibles, il n'en demeure pas moins que les seuls lieux communs et mécanismes brutaux sont susceptibles d'être compris et orientés ainsi qu'ils sont ourdis. Une esthétique est plus bavarde qu'une mesure si la mesure tient d'une cohérence esthétique avec celles qui la précèdent et les autres qui la suivent.
Et comme je dois y aller, j'ajouterai juste que les formes musicales, si elles ont leurs racines dans des dispositions dialectiques ou rhétoriques, n'en sont pas plus des constructions linéaires et didactiques, excepté là où le compositeur a décidé de ne plus faire de musique.
On use d'analogies pour dire la musique, et on le fait rarement en chantant.