Reprise de la production de Willy Decker déjà éprouvée dans de belles distributions : Iveri-d'Oustrac-Pirgu, Gerzmava-d'Oustrac-Vogt, et cette saison une alternance Majeski-d'Oustrac-Vargas et Kurzak-Crebassa-Spyres.

Après avoir patienté 18 ans pour revoir la
Clemenza di Tito, en voici deux en 3 mois ! Dans une version rétro (orchestralement en particulier).
Peut-être l'opéra que j'aime le plus de Mozart (et de très loin le meilleur seria de tous les temps), tant de finesses musicales là-dedans, de choses qui nous disent pourquoi Mozart et son propre étalon… http://carnetsol.fr/css/index.php?2015/02/01/2619-d-ou-vient-l-emotion-pourquoi-mozart-est-il-aussi-different
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Plateau miraculeux, même en collectionnant toute la disco et les bandes, on n'en a pas mille comme ça :
Aleksandra Kurzak capiteuse (cette densité sur toute la tessiture, ces graves nourris !),
Marianne Crebassa épique et glorieuse (ça claque tout le temps !),
Michael Spyres clair et rond (tellement facile), Angela Brower délicate (et très lumineuse pour une mezzo)… même la Servilia sombre, de type « dramatique »n de
Valentina Naforniţa, séduit à sa manière, en envoyant ses coups de glotte inattendus !
(Quand on vous dit qu'il faut choisir les distributions B !)
Le profil vocal sombre de Naforniţa est d'ailleurs très congruent avec la merveilleuse mise en scène de Decker, belle et prodigue en détails psychologiques : Servilia y est libre et volontaire, soumise à l'amour seul.
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Je redoutais beaucoup l'orchestre (après deux
Così ternes, ou une
Iphigénie pâteuse et à la limite de la désinvolture), et
Dan Ettinger dirige tout très lentement (de loin, la houppe et même les gestes évoquent Karajan), dans une esthétique très
rétro de Mozart moelleux et aimable. Pourtant,
Ettinger est vraiment impliqué, donnant toutes les départs, indiquant beaucoup de nuances pour une soirée de répertoire en milieu de série. Et soudain surgissent des réalisations riches de clavecin (
Tardi s'avvede), des reprises en changeant le tempo (trio de l'arrestation), des diminutions laissées à la discrétion de Spyres, des bizarreries aussi (le duo d'amour dont les débuts de phrase sont étirés). Le tout fonctionne assez bien en fin de compte !
Il faut dire que, bien que peu célèbre en France, il a été
kapellmeister à l'Opéra d'État de Berlin, et ces dernières années directeur musical à l'Opéra d'Israël, au Nouveau Philharmonique de Tokyo, au Théâtre de Mannheim et au Philharmonique de Stuttgart, et a fait les principales maisons.
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La mise en scène de
Willy Decker, en plus d'être belle (ses costumes pseudo-XVIIIe, ses grandes courbes, ses toiles poétiques, son buste personnellement progressivement achevé et finalement de dos), regorge de détails qui éclairent les psychologies tout en s'en tenant au texte :
→ matérialisation de l'opinion publique ou du moins des Patriciens, avec cette foule qui chasse Bérénice, qui l'appelle à venger les outrages, etc. ;
→ le marbre central qui se change en buste fait écho au temple en l'honneur de Titus, mentionné par Annius ;
→ l'intronisation de Servilia se fait devant la Court, que Titus renvoie dès qu'elle prononce « mais… » à la fin de ses remerciements, bel effet dramatique ;
→ cette petite, accessoire dans le livret, devient très confiante et assurée, elle fait même la nique à la Cour…
→ l'erreur de victime lors du meurtre commis par Sextus est montré sur scène (très bien fait, on ne voit pas le visage, le public glapit d'effroi) ;
→ Titus, après son monologue où il envie le pauvre dans sa masure qui connaît ses amis de ses ennemis, retire sa couronne pour parler en ami à Sextus ;
→ la traîne violette de Vitellia crée une petite langue, comme une queue reptilienne à la Mélusine. C'est très discret, mais à mon avis pas fortuit ;
→ et par ailleurs, le variété du plateau qui tourne, du buste qui se fait mais reste de dos évite toute monotonie visuelle.
Après toutes ces reprises, la production de Decker n'a pas vieilli – et les distributions sont aussi de plus en plus belles…
En fin de compte, bien plus intéressant que la version Currentzis, vocalement comme orchestralement, même si c'était tout à fait hors-style…