Concert d'ouverture du 3 juin à la basilique, mes impressions:
La Symphonie Résurrection de Mahler ne peut pas laisser indifférent. Elle se divise en cinq mouvements, fait intervenir le chœur dans son final, et traverse des atmosphères diverses et variées dans une longue réflexion métaphysique. Elle commence par la Totenfeier, initialement poème symphonique composé en 1888 avant de devenir le premier mouvement. Elle s'achève en apothéose sur le texte Die Auferstehung de Klopstock, accompagné d'une musique composée bien après, en 1894, après une révélation lors des obsèques d'un éminent collègue du compositeur. Dans cette symphonie, Mahler commence également à puiser abondamment dans le Knaben Wunderhorn, ce qu'il continuera à faire pour ses symphonies suivantes jusqu'à la 5ème.
Dès les premières notes du premier mouvement en ut mineur, on perçoit une difficulté dans la salle. La Basilique de Saint Denis est un cadre magnifique, majestueux. Mais la contrepartie, c'est qu'elle a du mal à contenir le son tant elle est vaste. Pas de réverbération, peu de résonance, le son devient alors très fuyant. Un peu comme lorsqu'il s'agit de chauffer un espace très vaste. La source de chaleur peut être aussi puissante que vous voulez, il y aura toujours des pertes. Et pourtant, le maestro Chung s'en accommode sans trop de difficulté. Tout d'abord en abordant cet Allegro maestoso avec un tempo modéré qui lui permet de construire un phrasé net, et clair. Le son est véritablement sculpté, et par conséquent, même s'il est éphémère, il ne perd pas en charme et marque immédiatement l'auditeur. Le chef dompte littéralement l'acoustique de la salle et s'en fait une alliée plutôt qu'une contrainte. Les ruptures de ton sont traitées de manière fracassante et abrupte, cela permet d'intensifier l'effet dramatique immédiat. Cela s'entend bien dans le second mouvement noté Andante moderato, où le discours est ciselé, tout en ménageant chaque passage bucolique. On admirera ce passage en pizzicato aux cordes où le geste du chef ajoute un petit quelque chose de piquant. Et ce piquant demeure dans le fameux Scherzo en III, intitulé In ruhig fliessender Bewegung. Même si les coups de timbales initiaux se perdent un peu dans le vaste espace de la basilique, l'intensité de l’interprétation offre un instant saisissant. Une petite harmonie au timbre impeccable, grinçant juste comme il faut. Un tempo démentiel, des ruptures de ton violentes, une tension omniprésente avec le vibrato des cordes et même une once de brutalité avec certains marcatos. Egalement une admirable première violon, Ji Yoon Park, dans ses solos. On obtient bien le sentiment de confusion résultant du prêche aux poissons de Saint Antoine de Padoue dont s'inspire ce mouvement. Et rien de mieux qu'un prêche dans un lieu de culte ! Après autant d'étonnement, l'irruption de la voix humaine dans le Urlicht ramène un peu de quiétude. Et disons-le d'emblée, la contralto Claudia Huckle apporte totalement satisfaction dans ce passage. Le timbre parfait, sombre et chaud, les consonnes parfaites, et même oserons-nous mentionner sa robe qui était également parfaite. Le charme de son chant, de ses attaques, des ses r percutants, et surtout sa manière de vivre le texte "Ich bin von Got und will wieder zu Gott" (je viens de Dieu et veux retourner à Dieu). Les interventions des solistes du philhar ne gâchent rien à l'ensemble, notamment celles du hautbois d'Olivier Doise, et de la flûte de Magali Mosnier, qui semblent chacun être né pour jouer cette musique. Le monumental final quant à lui est le passage le plus réussi de la soirée. L'acoustique de la basilique étant ce qu'elle est, il est inutile de se retenir sur les fracassants fortissimos requis. Notamment dans l'usage des percussions. Mais la subtilité de l'interprétation est également appréciable, notamment avec l'effet de spatialisation induit par la fanfare située dans la coulisse et qui répond parfaitement à la scène. Mais le plus remarquable, ce sont ces tuilages entre ce que chante admirablement le chœur, succédé parfaitement par les solistes qui prennent le relais. Notamment lorsque la Soprano, Lucy Crowle, qui plus que de s'élever au dessus du chœur, l'accentue lorsqu'elle prend la parole, comme par exemple sur "Wird, der dich rief, dir geben" (Te donnera la vie éternelle). Le chœur quant à lui offre de belles nuances et une belle compacité, notamment dans sa manière de phraser précisément. Ainsi, le final était emprunt de clarté et d'équilibre, à l'orchestre, à l'orgue et au chant et ce, malgré l'acoustique de la salle.
En résumé, nous avons assisté à une exécution impeccable de ce monument du répertoire, dans un cadre magnifique, mais qui se doit d'être dompté. Un petit regret toutefois, on n'ose à peine imaginer ce que cela aurait pu donner à la Philharmonie de Paris, mais après tout, il s'agit du Festival de Saint Denis !