Écoute comparée : Beethoven, Große Fuge (terminé)

ouf !

Globalement, ce sont des versions "longues" du premier "mouvement" de la fugue.

1. Des cordes acides, de la violence. Une version inconfortable qui ne ménage pas son auditeur. Agressive, jouant sur la dissonance, aucune concession au "beau son". Toute la douleur du monde… On pourra trouver ça horrible ou relever la modernité de cette version. Une version qui dérange, qui bouscule l'auditeur, d'une modernité assez bluffante. Exactement comme je les aime…

2. Début très lent et solennel, un peu artificiel. Version sage, un peu poussive. Pas assez d'agressivité pour moi. Je n'aime pas beaucoup. Cela s'améliore toutefois dans la seconde partie où la musique devient plus oppressante.

3. Bonne attaque. C'est très bien fait. Beau son, engagement des musiciens mais version trop sage encore une fois. Version du milieu, parfaite pour une approche de l'œuvre sans doute mais elle ne met pas en valeur la modernité de l'œuvre, du moins pas de façon assez sensible pour mes oreilles. Ce n'est pas assez angoissant, trop classique.

4. Version du côté obscur. Grande mélancolie rendue par le son sombre des cordes et la lenteur du tempo. Version classique qui ne met pas en valeur, à mon sens, la révolte qui se trouve dans ce début. C'est un peu mou, quoi, pas assez d'âpreté. Elle tire cette Fugue vers le romantisme, on y entend un mal être, une angoisse de l'âme. C'est intéressant et c'est beau. La modernité passe tout de même à la trappe…

Version 1
Loin derrière
Version 4
Version 3
Version 2

Laquelle ?

La deuxième sonne particulièrement familière à mes petites oreilles

C'est horrible, ce groupe A : il y a deux versions que j'aime beaucoup, et deux "internationales"

C'est lesquelles, celles que tu aimes enfin, laquelle avec la 2 ?

La 3 mais je lui trouve un défaut : trop chirurgicale. Le côté humain de Ludwig a disparu, mais c'est grand et beau. Les deux autres à côté… J'écoute encore une fois… 3° écoute

Groupe A
Version 1. Je trouve ça un peu froid, trop intériorisé. ça ne me touche pas du tout, je crois que je préfère les versions extraverties en général dans la fugue. Je n'entre pas dedans, ça me touche peu.

Version 2. La version que je connais peut-être le mieux… Comment être objective ici ? Un quatuor flamboyant qui prend à bras le corps l'œuvre et met en lumière sa modernité, dans un mouvement effréné, avec des cordes grinçantes quand il le faut mais humain au milieu de la dissonance, c'est tellement Beethoven, ça… Mon Beethoven en tout cas. Ce n'est tout simplement pas possible d'être à la fois si beau et si juste… C'est percutant, sans concession, et ça reste magnifique de bout en bout. C'est un quatuor qui respire, comme je les aime, rien d'étouffant ici, l'éblouissante clarté avec toute cette nostalgie, cette souffrance surmontées. Une version dionysiaque.

Version 3. L'urgence, l'oppression, la fuite en avant, le rythme hypnotique, tout y est ! Une grande version ! On pourra juste leur reprocher un petit côté chirurgical tant ça sonne parfaitement. Un petit manque d'émotion ou de grain de folie. Une version trop parfaite et du coup un peu désincarnée, désertée par l'humain, ce qui est le comble pour du Beethoven…

Version 4. Un début empreint de spiritualité. Il manque un peu d'énergie dans tout cela, cela n'est pas assez envoûtant. Rien ne ressort particulièrement hormis un magnifique mariage entre les instruments. Ce qui est déjà énorme mais ne me donne pas un discours neuf. Une magnifique version de découverte et qui devrait plaire à beaucoup de monde car rien ne heurte ici nos petites oreilles. Discours très harmonieux tout au long de l'extrait. C'est du beau quatuor mais au discours aseptisé.

Version 2
Version 3
Version 4
Version 1

Quelques commentaires à propos de l'extrait du groupe D. Pas facile d'écrire quelque chose de pertinent sur la base d'un seul menu extrait qui -- bien qu'il contienne l'Overtura de la Grande Fugue, donc tous les fragments thématiques du sujet dans la fugue en la bémol majeur d'abord, la variation utilisée dans le fugato en sol bémol majeur ensuite et le contre-sujet employé dans la fugue en si bémol majeur enfin -- nous frustre de toute une série d'aspects de l'œuvre (les transformations thématiques les plus radicales, qu'on trouve dans la fugue en la bémol majeur, et le lyrisme serein, ondoyant, immense et vénéneux, privilège de l'épisode fugato noté Meno mosso e moderato). Pas facile de lire non plus : tous les risques et périls d'une extrapolation à partir de l'extrait sont laissés au lecteur !

L'ordre de présentation dans l'Overtura est donc l'inverse de celui déployé dans l'œuvre entière (et pour cause) et les durées y sont comprimées au maximum. Ce ne sont que des fragments éclatés, épars, un sac de vipères toutes plus menaçantes les unes que les autres. Durant la seule Overtura, au fil de ses vingt-neuf mesures, les interprètes doivent changer d'attaque, de masse, de grain, de texture, de nuance, de phrasé, de rythme à huit reprises au moins. Un point d'orgue ponctue chaque fragment (M2 après la prise de possession de l'espace sonore déployé sur quatre octaves, M10 après le sujet violent et barbare de la fugue en la bémol majeur et sa cadence compressée en un trille sur une seule noire, M13 et M16 après les deux fragments de danse qui modifient de manière thématique le sujet de cette fugue en la bémol majeur, M25 après l'allusion déjà évanescente à l'épisode Meno mosso e moderato, M30 après le fantôme perforé de silences sur les temps dits forts du contre-sujet de la fugue en si bémol majeur). Ce doit être un maelström thématique (sur un cycle des quintes), l'auditeur doit y être déboussolé, jeté hors de lui-même. Les références à tout autre art doivent y être pulvérisées, proscrites. L'entrée de la première fugue (M30) doit lacérer, zébrer l'air comme la foudre.

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D1. Excellentes nuances et demi-nuances (simple forte, puis fortissimo, enfin sforzando). Compression vertigineuse de la cadence (M9-M10). Les trois premiers points d'orgue qui tombent sur des silences (ceux de M10, M13 et M16) pourraient être plus abrupts et plus longs, mais ils ne sont pas aidés par une prise de son très réverbérée... Les triplets de mesures « de danse » (M11-M13 puis M14-M16) ont déjà un élan prodigieux, rompu de manière abrupte. L'évocation du fugato est délicieuse, avec de très beaux phrasés longs et un dialogue qui s'établit entre les quatre parties ; la ligne de violoncelle, assez discrète pourtant, est solide. J'adore la manière de phraser les lambeaux striés de silences du contre-sujet de la future fugue en si bémol majeur, au premier violon (phrasé à mi-chemin entre les deux croches tenues et répétées sans nouvelle attaque sur la seconde croche) ; elle me rappelle, mais en plus direct et univoque quand même, une de mes trois interprétations préférées de l'opus 133. Le début de la première fugue proprement dite est râpeux, sans concession, mais tout cela dans le contexte d'une sonorité instrumentale qui reste belle.

D2. Des sonorités plus charnues, rondes, massives. Beaucoup moins de relief dans les nuances, les masses, les textures, les tempos. Le dialogue dans l'écriture en quatre parties est moins poussé (dans le Meno mosso e moderato, surtout entre le violoncelle et l'alto puis entre celui-ci et le second violon). Ce sont aussi les tempos qui me gênent ; par une extrapolation hasardeuse (Overtura et première fugue réunies), on s'achemine vers une Grande Fugue de dix-huit minutes, ce qui me laisse souvent dubitatif a priori, quand on voit la densité en allegro et l'absence de tempo plus retenu que moderato. La sauvagerie polyrythmique de la première fugue et la barbarie thématique de la deuxième requièrent quand même, je trouve, des tempos plus vifs.

D3. Dans les mesures M1-M16, centrées sur le sujet de la future fugue en la bémol majeur, presque pas de rapports de nuances, de demi-nuances, d'attaques. Du coup, une Overtura trop unie et amenuisée, pas assez pulvérisée. Meno mosso e moderato beaucoup plus retenu de tempo, en revanche, jouant volontiers sur les timbres, surtout aux deux voix intermédiaires, mais avec un ample rallentendo en fin de phrase (M24-M25) que je trouve assez déplacé. Contre-sujet de la fugue en si bémol majeur presque indifférent, orné d'un autre rallentendo intempestif. Au total, bien que ce ne soit pas l'interprétation la plus rapide, tout y semble compact, ramassé, dans un temps musical épais qui ne respire pas beaucoup. L'entame de la première fugue est « élégant » ; j'espère que la catégorie du beau conventionnel finira par y être dépecée quand même (parce que, si ce n'est pas le cas dans cette fugue en si bémol majeur, ça ne le sera pas avant longtemps).

D4. Une manière de jouer « à l'ancienne », avec des aspérités gommées durant les dix premières mesures consacrées au sujet de la future fugue en la bémol majeur. Pour autant, cette interprétation déploie des rapports de nuances et d'accentuation qui, s'ils restent discrets, sont pourtant bien présents. Du coup, un contraste assez vivifiant, ou du moins étonnant, avec les six mesures suivantes (M11-M16) -- leurs phrasés piqués, leurs textures allégées --, mais il reste à prouver qu'il est pertinent de donner à cette variation thématique du sujet un tel caractère primesautier. Meno mosso e moderato méditatif, dont les phrasés ne me convainquent pas tout à fait (par exemple les rapports de phrasé entre le second violon et le premier aux mesures M23-M24). Le contre-sujet de la future fugue en si bémol majeur est aussi assez indifférent, moins cependant que dans le cas de D3. Incipit de la première fugue bien émoussé.

Pour le moment, derrière D1 je suis bien perplexe... Sur cet extrait de l'extrait, disons [EDIT] D1 >> D4 > D3 > D2 [/EDIT].

Classement:
4 > 3 > 1 > 2

Très belle version 4, avec un parfait respect de la partition (notamment des croches liées qui, si elles forment effectivement une noire, doivent bien faire entendre la liaison interne), un bel engagement et des sonorités agréables. J'aime beaucoup la manière dont le thème qui passe de l'alto, au second violon et au premier violon est finement enchainé et surtout bien joué. Cet enchainement, mal joué, sonne terriblement maladroit et presque ridicule dans les versions 1 et 2. Belle version 3 mais avec un peu moins de ferveur et de souplesse. La version 1 est très typée, un peu lourde avec des sonorités agressives. La 2 souffre d'une mauvaise prise de son et d'un manque de clarté dans les intentions et la technique instrumentale.