C'est tiré d'une notule plus large, mais je pense que ça peut intéresser, il reste deux dates en mars, c'est rare, c'est gratuit, et c'est très bien !
Concept-troupe
La nouvelle troupe Les Bavards, issue de l'excellent ensemble amateur (de haut niveau) Oya Kephale, a un concept particulièrement séduisant : en format réduit (orchestre à un par partie, et un piano pour remplir un peu), ils proposent ainsi une opérette rare de cinquante minutes, dans une production scénique particulièrement vivante, qui tourne à travers divers lieux d'accès plus populaires à la culture (mairies du IIIe, du XIVe, du XVIIIe, mais aussi le Centre Paris Anim' Dunois dans le XIIIe), pour des représentations gratuites.
L'occasion d'élargir notre répertoire ! Je connaissais l'œuvre (il existe une très belle version discographique, pas très largement diffusée, avec les fulgurants Ghyslaine Raphanel et Éric Huchet !), mais l'avais trouvé peu marquante à l'écoute seule. La production de l'Opéra de Barie avait le mérite d'exister en ligne (et très bien chantée !), mais avec piano seulement, et une direction d'acteurs bien plus chiche. En salle, l'œuvre prend toute sa saveur dans cette version mise en scène de façon très animée par Thierry Mallet (un des fondateurs de la troupe ; également le Savetier).
La réalisation instrumentale n'est pas parfaite, mais chaleureuse et pertinente (ça vaut largement mieux que n'importe quel grand orchestre en pilotage automatique !), tout transpire l'amour de cette musique et de ce théâtre, sans s'excuser de jouer de la musique simple ou des plaisanteries du XIXe siècle. Et je suis très sensible aux couleurs avivées dans cette version pour orchestre réduit.
Les chanteurs sont en outre excellents – Audrey Maignan déjà admirée en Robin Luron du Roi Carotte au Conservatoire du XIIe et dans Les Brigands, Thierry Mallet applaudi dans Barbe-Bleue ou Les Brigands avec Oya Kephale, Thibaud Mercier, Paul Le Calvé.
L'occasion pour moi de remarquer quelques détails dans l'œuvre.
--
Détails dans Le Financier & le Savetier
1) « En pincer » est déjà attesté, dans ce livret. Je n'aurais pas été certain que ça remonte si loin (1856).
2) La propension d'Offenbach à utiliser des fragments de mots répétés pour effet drolatique (et faciliter la mise en musique malgré la prosodie) réussit ici un très joli coup avec « Il faut qu'un Savetier save save save save son métier ».
3) Le meilleur moment musical, c'est l'exploitation, dans un court trio conclusif, de la musique de la chanson de la captivité de Richard Cœur de Lion (Sedaine / Grétry), un tube des années 1780 qui a été une sorte d'hymne officieux de résistance sous la Révolution et qui a repris en popularité – notamment comme « timbre », c'est-à-dire comme mélodie pour les textes des vaudevilles et des chansonniers – sous la Restauration.
Je parle de cette romance Une fièvre brûlante dans la notule consacrée au genre.
4) Dans les dialogues, « Je bois aux sultanes » évoque très fort le livret (de Scribe) d'Haÿdée d'Auber (1847), un grand succès de l'époque – dans la scène de somnambulisme de Lorédan (une des plus incroyables scènes de solo de tout le répertoire français), il livre cette réplique pendant son toast imaginaire, entre deux remords : « je bois à vos sultanes ». Une parole d'autant plus emblématique qu'elle sert de refrain et point culminant. (Merci, de ce fait, aux artistes d'avoir conservé les dialogues d'origine pour profiter de ces pépites.)
Le lien n'est pas tout à fait gratuit : le nœud de l'intrigue d'Haÿdée repose sur un jeu d'argent où l'on mise tout ce que l'on a – jusqu'à, comme dans ce Financier & Savetier, sa propre maison.
--
Action de grâces
Une fois de plus, le salut provient des petites institutions, voire des amateurs : tandis que l'Opéra de Paris rejoue pour la millionième fois Giovanni et Traviata, ou l'inutile damnation, le répertoire est documenté par les compagnies qui auraient besoin de jouer des tubes pour vivre (œuvres suffisamment connues pour être appréciées même en version « dégradée » par rapport à nos disques préférés, de toute façon). Merci à ceux qui se livrent à ce sacerdoce – pour nous autres spectateurs tellement salutaire !
À cela s'ajoute l'excellent livret de salle (gratuit lui aussi) qui inclut l'argument, la Fable d'origine, l'équivalent monétaire des sommes évoquées, un récit de la création avec des citations de critiques d'époque, et enfin un glossaire très riche sur les expressions – « alêne » et « empeigne » pour l'artisanat chaussural, mais aussi « jeter du persil » pour exprimer l'idée d'empoisonner le voisin, lié à la toxicité supposée du persil sur les perroquets !
Vraiment, Les Bavards, vous avez fait carton plein !
Il reste deux dates, que vous retrouverez dans l'agenda officiel de Carnets sur sol.
(pour le reste de la notule → http://carnetsol.fr/css/index.php?2024/03/03/3374-offenbach-auber-le-financier-le-savetier-haydee-les-bavards-compiegne )