[ Histoire que mon 1000e message ne se résume pas à un smiley en train de se rouler par terre de rire... ] Attention, attention : ceux pour qui « opéra du XVIIIe siècle » rime uniquement avec Haendel et Mozart peuvent passer leur chemin. – Guillaume
(edit: ou quel que soit ton pseudo à l'avenir...), tu es prévenu, ceci est de toute façon un topic interdit aux moins de 18 ans
(surtout s'ils ont tes lectures) !
Bon, étant donné la nature de l'œuvre, je ne vais pas faire un fil Général + un fil Disco. Je commencerai donc par un premier billet "généraliste" et on pourra enchaîner ensuite sur la discographie.
W. Hogarth, A Scene from the Beggar’s Opera (acte II, scène 5), 1731Quelques mots de présentationReprésenté pour la première fois en janvier 1728,
The Beggar's Opera (
L'opéra du gueux) est l'œuvre conjointe du poète John Gay et du compositeur Johann Christoph Pepusch, à partir, semble-t-il, d'une idée originale du grand Jonathan Swift himself. Avant de devenir au XXe siècle la source d'inspiration directe de Bertolt Brecht et Kurt Weil pour
Die Dreigroschenoper (
L'opéra de quat'sous),
The Beggar's Opera connut en son temps un véritable triomphe, mêlé de scandale, le clergé anglais notamment, évêque de Canterbury en tête, s'élevant en chaire contre l'immoralité de cette production à succès qui ne pouvait – comme d'habitude – que corrompre la jeunesse. Il faut dire qu'entre les brigands, les prostituées, les escrocs et les officiers de justice véreux, il n'y a dans l’ensemble – hormis peut-être Polly, qu'on pourra cependant juger peut-être un peu trop naïve (ce qui revient néanmoins à considérer que l'innocence est une tare au sein d’une société corrompue) – pas un personnage pour racheter l’autre, et il est bien souligné à plusieurs reprises qu'il n'en va pas autrement dans la haute société, parmi la noblesse, dont les agissements sont exactement similaires mais que sa position place "naturellement" hors de portée de la justice. L'action se situe dans les bas-fonds de Londres, à l’époque contemporaine de la création de cet opéra
(si l'on peut tout à fait le considérer ainsi, mais j'y reviendrais un peu plus loin). Son "héros" en est le "capitaine" Macheath, chef de gang et voleur de grand chemin, empêtré dans des affaires "sentimentales" qui pourraient bien lui valoir de finir la corde au coup, d'une façon ou d’une autre.
L'action s'ouvre chez Peachum, personnage louche dont on comprend qu'il officie tout à la fois comme avocat de la racaille, receleur, et mouchard appointé par la police (il livre de temps en temps ses "clients" contre récompense quand il estime qu'il n'a plus rien d'autre à tirer d'eux). Or, Polly, sa fille, a secrètement épousé Macheath, qu'elle aime éperdument, au grand désespoir de ses parents quand ils découvrent le pot aux roses: qu'elle ait fauté, passe encore, cela arrive dans les meilleures familles, mais l'épouser, quelle honte!
Peachum entreprend aussitôt de livrer son gendre à la justice, considérant que le gaillard aurait fini pendu un jour ou l'autre de toute façon, et qu'il vaut mieux que ce soit fait tant que Polly peut être regardée comme sa veuve et recueillir un héritage – c'est-à-dire avant qu'il ait disparu au loin, et/ou qu'il ait dilapidé au jeu toute sa (petite) fortune, et/ou qu'il en ait épousé d'autres parallèlement... Macheath étant beaucoup moins fidèle que le suppose Polly, qui le voit comme une sorte de héros de roman, il est bientôt alpagué dans un bordel avec la complicité des filles, et conduit à la prison de Newgate. Là il est retrouvé par Lucy, la fille de Lockit, le chef de la police (aussi corrompu que tout le monde, il va de soi): Lucy étant enceinte des œuvres de Macheath, il lui promet à son tour le mariage si elle l'aide à s'évader, ce qu’elle fait. Le ton monte entre Peachum et Lockit, chacun accusant l'autre de vouloir le doubler, et entre leurs filles, qui se considèrent chacune comme la vraie épouse de Macheath. Lucy essaie même d'empoisonner Polly mais le retour du capitaine en prison, escorté par Peachum et Lockit, interrompt l'entreprise. Sa tentative d'évasion vaut exécution immédiate pour Macheath, sort que de toute façon celui-ci préfère, tout bien pesé, à la perspective de devoir s'expliquer face à Polly, Lucy, et les quatre autres femmes qui se présentent avec des bébés: après avoir fait ses adieux aux membres de sa bande venus le visiter et leur avoir fait jurer de le venger, Macheath prend donc le chemin de la potence... Mais au dernier moment, de façon ouvertement irréaliste, l'auteur de la pièce (le "gueux" du titre) décide de sacrifier le dénouement "moral" au goût du public pour les fins heureuses, il gracie lui-même Macheath et lui fait épouser Polly!
The Beggar’s opera est né tout à la fois en réaction
- à une situation sociale : la corruption généralisée de la société anglaise au début du XVIIIe siècle, sous le "règne" du premier ministre Horace Walpole, plusieurs fois cité dans l'opéra sous son nom ou sous différents sobriquets (Robin of Bagshot, Gordon, Bluff Bob, Carbuncle (Escarboucle), Bob Booty, the happy clown...); les figures des truands sont inspirées de "célébrités" de la pègre, et des officines comme celle de Peachum, par exemple, existaient bel et bien, où l'activité de recel était officiellement tolérées par la police, et où les détroussés eux-mêmes pouvaient venir racheter ce qui leur avait été volé!
- et à une situation musicale : la domination musicale, à Londres de l'
opera seria et plus particulièrement de Haendel, directement visé ici lorsqu’on voit des coupeurs de bourse partir en chasse sur l'air de la Marche des Croisés de
Rinaldo; des passages obligés de l'opéra italien sont également parodiés, comme le ballet, dans lequel se lancent grotesquement les prisonniers entravés de Newgate, et l'
aria colorature, avec un long mélisme sur le mot...
dirt ("saleté"). A l'acte II, dans la prison, le duo d'abord courtois puis se transformant en crêpage de chignon entre Lucy et Polly serait également un clin d'œil à une rixe spectaculaire ayant opposé sur scène les deux grandes divas londoniennes de l'époque, Francesca Cuzzoni et Faustina Bordoni, au beau milieu d'une représentation d’
Astianatte de Bononcini.
The Beggar’s... se présente moins comme un opéra que comme un "opéra-ballade" (
Ballad Opera), genre qu'il mit d'ailleurs à la mode pour le reste du siècle en Angleterre. Le résultat s'apparente plus à du théâtre accompagné d'airs entrecoupant le texte parlé: il n'y a pas de récitatifs, les airs sont pour la plupart courts, limités à quelques couplets. De plus, ils sont "composés" à partir d'airs et de chansons populaires du temps; ceci explique sans doute que l'œuvre soit en général plutôt associée au nom du librettiste, John Gay, plutôt qu’à celui du compositeur, qui, sauf pour l’ouverture, joua surtout ici les arrangeurs. Du reste, seule ladite ouverture a été pleinement notée, l'orchestration des airs est perdue et toute nouvelle production est donc par la force des choses une adaptation, une re-création... avec des résultats, bien entendu, variables selon la personnalité de celui qui la dirige. Ce qui nous amène aux considérations discographiques proprement dites.
A suivre pour la Discographie...