La grande découverte du XXème siècle n'est pas la Relativité, ni le vaccin de la polio.
La grande découverte du XXème siècle c'est que la trompette a une âme.
Et ce n'est pas un Jazzman qui a trouvé ça; c'est Charles Ives, dans cette merveille métaphysique et profonde (peut-etre son chef d'oeuvre?) qu'est The Unanswered Question
(Qui sait si cela ne conforte pas l'opinion de ceux qui pensent que c'est le Classique qui influença le Jazz, et non pas le Jazz qui influença le classique?)
De très belles oeuvres semble dériver (consciemment ou non, je ne sais pas), de ce morceau: Le Grabstein fur Stephan de Kurtag, oeuvre torturée mais dont l'angoisse aboutit à un passage pour trompette, sublime dans la simplicité (ça dure moins d'une minute, il faut se concentrer!)
(Trois enregistrements de Grabstein à ma connaissance: celui d'Eotvos sur Col Legno, celui d'Abbado sur DGG, et mon préferé, celui de Zoltan Pesko sur Ricordi)
Si HK Gruber a des fans ils m'en voudront peut-etre de lui reprocher de trop faire le pitre; et sa tête de Peter Ustinov banalisé n'inspire pas confiance dans son génie. Mais Gruber a pourtant fait une grande oeuvre déchirante d'expressivité, AERIAL, et AERIAL est un concerto pour Trompette, qu'Eotvos et Hakan Hardenberger jouent fort bien (Collection 20/21 de DGG)
(Sur le meme CD une belle oeuvre d'Eotvos, Jet Stream, qu'il a aussi enregistré avec Markus Stockhausen)
Je m'autorise à mentionner ici une oeuvre de Lutoslawski, Interlude, quoique la partie pout trompette ne dure que quelque secondes: c'est que c'est une tres belle oeuvre, dans un esprit comparable à celui de The Unanswered Question - oeuvre tardive (1989), dans laquelle Lutoslawski revient à cette partie si eloignée de l'univers où il nous avait entrainé dans son Livre Pour Orcheste, mais un coin de l'univers subissant l'après-coup de Dieu sait quelle dévastation nucléaire: désolation!
(Lutoslawski a enregistré Interlude pour les New Music Concerts du respectable flutiste Canadien Robert Aitken: CD malheureusement difficile à trouver. Mais on peut compter sur l'enregistrement de Wojciech Michniewski (Accord/Polskie Radio).
Plus sobre est l'oeuvre de Berio, KOL OD (Chemin VI) - à première écoute! Quand on est habitué elle est enjouée! Plus j'écoute Berio plus j'apprécie ce compositeur mais il faut du temps pout reconnaitre son originalité et son imagination.
(Chemin VI est disponible dans le coffret Col Legno Donaueschinger Musiktage 1996, Gabriele Cassone a la trompette, Roland Kluttig au baton: deux tres bons musiciens!)
Bernd Alois Zimmermann est le grand méconnu parmi les modernistes. C'est que, si Satie est né trop jeune dans un monde trop vieux, Zimmermann, lui, est né trop vieux dans un monde rajeuni. Son Concerto pour Trompette se nomme «Nobody knows de trouble I see.» C'est une adaptation d'un travail nommé Métamorphose, dans lequel on reconnait une sorte d'orgue électrique, le genre d'orgue à bas prix qu'on entendait dans certains bals populaires des années 1960. Composé en 1954,, le Concerto appartient encore à la période neo-classique de Zimmermann, mais un Zimmermann qui tendait visiblement vers autre chose: qui eût deviné qu'il irait jusqu'au dodécaphonisme? Nobody knows est une oeuvre inspirée par le be-bop (forme de Jazz qui semble avoir été inventée par Charlie Parker, qui admirait Stravinsky). Elle doit plaire aux musiciens puisqu'il y en a trois enregistrements: Harjanne/Sarastre sur Finlandia (ils sont décidément partout, ces Finlandais!), Hardenberger/Gielen sur Philips, et ma version préférée, a cause du rhythme subtil qu'ils ont trouvés, Friedrich/Kitajenko pour l'excellente société Capriccio.
J'ai mentionné Markus Stockhausen Il a souvent joué les nombreuses oeuvres pour trompette de son père, le fameux gourou Karlheinz Stockhausen. Je recommande l'ouverture de son Opéra, Donnerstag Aus Licht, nommée Donnerstags-Gruss, surtout le second Gruss (Il y en a trois: Gruss I, Gruss II, Gruss III).
Zimmermann et Stockhausen nous éloignent quand même des profondeurs affectives et métaphysiques de Ives, Kurtag et Lutoslawski. C'est une opportunité de finir sur l'oeuvre divertissante de Jolivet, son second Concerto pour Trompette, oeuvre assez dérivée du Concerto Ebony de Stravinsky, mais un Stravinsky qui aurait abandonné le Swing pourl le Be-Bop et même le Free-Jazz. Quoique la version de Maurice André est bonne (Erato), celle d'Eric Aubier (Adda) me semble être la meilleure. Ce doit être une question d'âge.