- olivier le normand a écrit:
- Une question?
Tous les ans, la chaîne franco-allemande Arte retransmet les concerts de Claudio Abado donnés dans le cadre du Festival de Lucerne.
Est-ce qu'un des membres du forum sait si cette année encore, nous aurons le droit à ce privilège?
Et si oui, quels concerts seront retransmis (j'espère beaucoup le 1er de Brahms avec Lupu, je me rappelle d'une version donnée en 1996 à Lucerne de ce concerto avec les mêmes interprètes, et ce concert m'avait fortement marqué)?
Merci beaucoup d'avance
A mon avis, s'il n'y a pas eu de retransmission de ce concert, c'est à cause de Lupu. On connaît son aversion pour tout ce qui est médiatique ; je le soupçonne donc d'avoir accepté de remplacer Hélène Grimaud (dont la collaboration avec Abbado s'arrête pour cause de "différences artistiques" a-t-on pu lire sur le site du Festival de Lucerne, apparemment à cause d'un choix de cadence dans des concertos de Mozart qu'ils devaient enregistrer pour DG) à condition que le concert ne soit pas filmé. Du reste, il y avait bien des caméras pour le concert d'ouverture (auquel j'ai assisté), mais pas aux 2 suivants. Je pense que les caméras servaient uniquement à filmer pour l'écran géant en dehors du KKL et pour l'adagio de la 10e symphonie de Mahler.
D'ailleurs, j'en profite pour faire une petite critique de ce concert qu'on m'avait offert pour mon anniversaire. Un bien joli cadeau étant donné que je rêvais depuis 4-5 ans de voir Abbado en concert et que les occasions se font rares.
Je vais y aller par étapes
1ère chose : la ville de Lucerne est magnifique, mais horriblement chère. Jamais vu çà
En voiture, il faut se garer à + de 30 minutes du centre-ville si vous ne voulez pas payer aussi cher le parking que votre place de concert ! (pas un souci, ça fait du bien de marcher, surtout que la ville n'est pas grande et qu'on peut se promener le long du lac pour rejoindre le centre). Il n'y a que des voitures, des hôtels et des restaurants de luxe. Pour vous dire, ma dulcinée et moi avons dû nous résoudre à aller manger dans un kebab (qu'il était assez incongru de retrouver là) à 10 francs suisses le döner... Mais je le répète, la ville est vraiment charmante, il y a de jolis ponts en bois qui surplombent la rivière, de la place au bord de l'eau pour s'y installer...
Le Kultur und Kongress Zentrum est ultra moderne mais s'inscrit bien dans le paysage, je trouve. Bâtiment noir et transparent au bord du lac, qui abrite aussi un musée. La salle de concert est bien entendu magnifique. J'étais certes placé au 3e balcon, mais pile au milieu. Et très facilement identifiable, puisque j'étais le seul spectateur a ne pas être en costard...
Sur le concert en lui-même, puisque c'est que qui vous intéresse peut-être !
Petite déception dans le 1er concerto de Brahms. Je possède une vingtaine de versions de ce morceau, que je trouve proprement grandiose. De par sa longueur, sa difficulté (les octaves...), les émotions qu'il me fait ressentir (la puissante délivrance dans les 2 dernières minutes du finale...) Eh bien je dois dire que Radu Lupu ne m'a pas transporté autant que je l'attendais. Remarquez, je devinais avant le concert que son interprétation ne serait pas identique à celle que j'aurais voulu entendre. J'avais déjà entendu l'animal à Lyon dans les 5 concertos de Beethov, et déjà sa démarche m'avait frappée : une vision très chambriste, presque introvertie des morceaux. Cela passait du reste très bien dans ces concertos-là.
Dans Brahms, j'avoue que cela m'a moins plu. Bien sûr, l'adagio avait quelque chose d'assez exceptionnel en ce sens où Lupu effleurait littéralement les touches, les caressait. Il y obtient des pianissimo à peine croyables. Mais cela collait assez mal à la fin du 1er mouvement, qui d'habitude me hérisse le poil. J'avais presque l'impression que Brahms avait écrit l'oeuvre entière pianissimo ! Idem pour le 3e mouvement, que j'attendais plus brillant, plus grandiose. D'autant plus que l'orchestre avait démarré fort dès les coups de timbale du 1er mouvement. Je sais qu'Abbado aborde beaucoup d'oeuvres dans une perspective chambriste maintenant, mais il faisait vraiment bien sonner son orchestre. C'en était d'ailleurs très impressionnant, d'autant plus que j'étais quand même assez haut dans la salle.
Ensuite au niveau technique, je sais bien que cela n'est pas forcément le critère principal pour juger de la qualité de telle ou telle interprétation, mais j'ai trouvé qu'il y avait vraiment beaucoup de fausses notes ! Pourtant, Lupu a pris un tempo plus que lent, comme s'il ne voulait prendre aucun risque. Et malgré cela, dans tous les passages un peu plus virtuoses que les autres, ça tapait à côté à chaque fois. Je ne sais pas si c'est parce qu'il était dans un mauvais jour ou le poids des âges, mais je trouvais que ça faisait un peu désordre. Par exemple, Barenboim dans sa version musclée avec les Berliner et Rattle à Athènes, a beau souffrir dans les octaves, il ne triche pas avec le tempo (ce qu'il fait pourtant dans Chopin ou Liszt), sait donner de la force quand il en faut et ne tape presque pas à côté.
Quoiqu'il en soit, cela reste du très beau travail, et je chipote. Mais je m'attendais vraiment à la perfection (vu le prix des places et mon admiration pour Abbado), cela explique peut-être ce petit goût d'inachevé. Le bis offert par Lupu, chaleureusement applaudi, n'en demeurait pas moins somptueux : le 1er intermezzo de l'opus 11, miraculeux, joué du bout des doigts.
Après l'entracte (tiens, je passe sur les trois discours d'ouverture proprement assommants, qui ont fait démarré le concert avec 1 heure de retard sur l'horaire prévu et qui a même donné lieu à un entracte avant le début du vrai concert
), le prélude de l'acte I de Lohengrin puis, quasiment enchaînés, l'adagio de la 10e symphonie de Mahler. Ne connaissant pas du tout l'oeuvre (pour le prélude) ou très très peu (l'adagio), je n'ai aucun élément de comparaison, et à ce titre je n'ai pas été déçu : j'ai trouvé cela magnifique. J'ai lu dans des critiques qu'Abbado avait pris des tempi très lents pour le prélude. J'ai trouvé l'orchestre insurpassable, avec des solistes qui se couvraient de gloire à chaque intervention, notamment dans Mahler. Le trompettiste solo m'a paru monstrueusement fort. Masse orchestrale impressionnante, avec des passages déchirants (Mahler), des notes qui s'étirent, presque insoutenables (Mahler encore).
Paradoxalement, j'ai donc été beaucoup plus impressionné par Wagner et Mahler que par Lupu dans Brahms. Je ne sais pas si cela aurait été mieux avec Hélène Grimaud, mais j'ai un enregistrement de grande qualité de la pianiste avec la Staatskapelle Berlin et Sanderling à la baguette. J'aurais préféré, je le répète, que Lupu fasse plus de nuances plutôt que de rester dans le recueillement et l'intimité du début à la fin. Je ne parle pas d'une démonstration exubérante à la Lang Lang ou à la Yuja Wang, mais peut-être un peu plus comme Pollini...
Voilà, désolé d'avoir fait si long, mais j'en avais vraiment envie, pour un 1er post !
Et j'attendais ce concert depuis un petit moment, ça m'a vraiment fait bizarre de voir le grand Claude en vrai !
L'an prochain, il termine son cycle Mahler à Lucerne par la 8e... Je vais essayer d'avoir une place, même si ça devrait être pris d'assaut et être horriblement cher...