Tragédiennes 3 : Gens/Rousset, Opéra-Comique 10/04/12

Véronique Gens, Tragédiennes 3 : 10/04/2012

Opéra-Comique, Paris


Etienne-Nicolas Méhul :
Ariodant, Airs d'Ina : "Eh ! Qu'ai-je à craindre ?... Mais que dis-je ?"
Stratonice, Ouverture

Christoph Willibald Glück :
Iphigénie en Tauride, Airs d'Iphigénie : "Non, cet affreux devoir... Je t'implore et je tremble"

Antonio Salieri :
Les Danaïdes, Ouverture

François-Joseph Gossec :
Thésée, Récit et Air de Médée : "Ah faut-il me venger... Ma rivale triomphe"

Rodolphe Kreutzer :
Astyanax, Airs d'Andromaque : "Ah, ces perfides... Dieux à qui recourir"

Giacomo Meyerbeer :
Le Prophète, Air de Fidès : "Ah ! Mon fils"

Hector Berlioz :
Les Troyens, Entrée des Constructeurs
Les Troyens, Entrée des Matelots
Les Troyens, Entrée des Laboureurs
Les Troyens, Airs de Didon : "Ah ! Je vais mourir... Adieu, fière cité"

Luigi Cherubini :
Médée, Ouverture

Giuseppe Verdi :
Don Carlo, Air d'Elisabeth : "Toi qui sus le néant des grandeurs"

BIS :
Camille Saint-Saëns :
Henry VIII, Air de Catherine : "Ô cruel souvenir... Je ne te reverrai jamais"

Juan Crisóstomo Arriaga :
Herminie

Véronique Gens, soprano
Les Talents Lyriques
Direction : Christophe Rousset



Programme riche ce soir tiré du récital Tragédiennes III.
Déjà, un mot sur l'ambiance... On sent une grande complicité entre le chef et la chanteuse. Elle cherchant par moments du regard le soutien du chef et lui la rassurant lorsqu'elle ne semble pas contente d'elle... Et contrairement à ce que je pensais de Rousset, il est finalement plutôt sympathique à priori ! Son arrivée engoncé dans sa veste contraste avec sa façon de s'amuser à diriger !

La première partie est clairement marquée par la période Classique. Avec des oeuvres assez rares mis à part l'Iphigénie en Tauride, Véronique Gens campe des femmes bafouées et trahies, souvent vengeresses et violentes comme la Médée de Gossec par exemple. Si les passages déclamés et lents tombent parfaitement dans la voix de Véronique Gens, certains extrêmes posent légèrement problème et l'aigu plafonne vite. On notera par contre la très bonne diction, même si les "R" roulés posent un peu problème dans certains airs. Ainsi, l'introduction déclamées d'Ariodant est assez défigurée je trouve par ces "R"... Mais sinon, la diction est royale, permettant de saisir tous les mots chantés. Un vrai bonheur ! L'orchestre est parfaitement à son aise dans ce répertoire, donnant un peu de tranchant et un son légèrement sec, mais qui va parfaitement !
Mais c'est la deuxième partie qui, il faut bien l'avouer, m'intéressait le plus ! Étrangement, la voix semble beaucoup plus libre dans cette partie plus romantique. Ainsi, l'air de Fidès montre cet aigu facile et léger, la chanteuse se permettant même de varier vers l'aigu. Bien sûr, les graves ne sont pas très sonores, mais ils sont bien négociés. Et du coup, le grand personnage tragique prend forme avec une noblesse et un drame superbe. Sa Didon se drape elle toute entière dans sa dignité royale. La chanteuse n'oublie pas, dans ce monologue mortuaire, les grandes figures baroques et nous déclame cette mort avec un phrasé naturel sidérant. Ajoutons à cela un orchestre qui à certains moments manque un peu de rondeur dans les cordes, mais par contre, les cors par exemples donnent un son ancien et moins tranchants qui est superbe ! Les entrées des corporations par exemple montrent une belle articulation et de belles textures. Avec l'ouverture de Cherubini, l'orchestre semble toucher au parfait avec cette tension à couper au couteau, ces emportements violents... un vrai bonheur !! Et puis pour clore le programme, le grand air d'Elisabeth... Ah... j'avais des doutes... mais rapidement, la chanteuse enveloppe tout le monde dans une dignité sidérante. Elle hypnotise par la phrasé et les nuances... vraiment c'est impressionnant comme elle peut réussir à créer quelque chose de nouveau pour un air si entendu ! Bien sûr, la tessiture pousse Gens dans ses retranchements et heureusement que c'est un récital avec des instruments anciens. Mais quelle claque !!

Après un triomphe, Gens revient... pour le grand air final de Catherine d'Espagne dans Henry VIII. Houla... on avait atteint des sommets avec Don Carlos, et on reste sur les mêmes hauteurs. A croire que la dignité sombre convient parfaitement à la chanteuse. Depuis le récit du début jusqu'au récit final superbe en passant par le cantabile central, la reine se trouve magnifiée et j'ai été saisi par la réalité de la chose... splendide ! Juste un peu trop de rapidité par moments du côté du chef par contre...
Et puis un deuxième bis, avec la cantate Hermine d'Arriaga … On revient dans les personnages de la première partie, mais la voix est chauffée à blanc semble-t-il puisque si la première partie restait un peu calme, on est là totalement bluffé par la tension. Une bien belle fin !!

Au final, un superbe récital qui ne me donne qu'une envie : plonger dans le disque que je regarde depuis des mois sans vouloir écouter avant le concert !
Sinon, j'avais entendu parlé de la fameuse robe très échancrée... et en effet !! Elle a provoqué son petit effet dans la salle...

Ah, j'en reviens aussi ! Et effectivement, le premier bis de Saint-Saëns était superbe, comme le reste du récital d'ailleurs.
Je pense également que je vais acheter le disque...

Je l'ai depuis quelques semaines! Donc je vais m'écouter ça sans tarder!

Petite question (presque hors sujet, j'en suis désolée) : pourquoi ne pas avoir écouté le disque avant le récital, ce que j'aurais spontanément fait si j'avais été en sa possession à temps ?

J'ai longtemps hésité (je voulais l'acheter à sa sortie) et je me suis dis que ce serait mieux d'avoir la découverte en salle... et vu que je l'ai trouvé en occasion il y a quelques semaines, je l'ai acheté et mis de côté!

Magnifique récital! Un replacement heureux m'a permis de profiter d'autant mieux d'une deuxième partie sublime, quelques réserves ci et là sur le choix des airs pour mezzo (dernier air de la 1ere partie, airs de Didon), mais en effet une dignité et une tenue, un phrasé, une musicalité, une tension inoubliables ; les talents pas forcément parfaits mais offrant de très beaux moments en fin de chaque partie.

Les deux bis m'ont scotché! Le premier, Catherine d'aragon by St Saens, étant bien sûr d'une beauté imparable, et totalement sur mesure pour V Gens, on se prend à rêver d'une VC au comique ou au TCE...

Gogogo cd à trouver

Très bien, Polyeucte.

On peut signaler, pour ceux qui n'auraient pas pu être ce soir à Favart (et pour ceux qui y étaient aussi, bien sûr !), que le même concert a été donné à Venise l'an dernier, et qu'il est encore visible un petit mois sur ARTE Live Web.
http://liveweb.arte.tv/fr/video/Tragediennes___Heroines_Romantiques_par_les_Talents_Lyriques/
(Je sais bien qu'il y a un fil consacré à ARTE Live Web, mais ma foi, ça rentre dans le sujet ici aussi !)

Entre Antonacci en février et Gens maintenant, j'aurai passé de très beaux moments à l'Opéra-Comique cette année. Il faudrait que j'y aille plus souvent, et pas que pour les récitals...

Sur ce, je m'en vais commander le CD sur Amazon !

En total accord, jusque dans le détail des "r" roulés, avec les propos de Polyeucte, je ne vais pas m'étendre. Très beau récital qui a culminé dans Berlioz, Verdi et Saint-Saëns. Quel bonheur d'entendre Gens en récital, une telle intelligence de l'expression, de la diction, un tel naturel, et de frémir à l'écoute de sa Didon et de son Elisabeth que l'on n'entend que trop rarement en français.

Sur Rousset et son orchestre, je suis plus réservé, de belles choses dans le détail, de la petite harmonie notamment, une ouverture de Cherubini réussie dans le genre vif et tonitruant, mais dans l'ensemble tout cela est décoratif et sans intérêt, jusqu'à tomber parfois dans le travers sautillant des orchestres sur instruments d'époque : dans Don Carlos, c'était à la limite du contresens ridicule par moments, tant ça semblait enjoué, champêtre et festif...

Quelle unanimité, et que de beau monde dans la salle ce soir-là ! Nous aurions dû nous organiser quelque chose après...

Et je joins ma voix au concert de louanges : c'est un délice d'entendre Véronique Gens. Elle est une bonne Donna Elvira à Bastille en ce moment, mais c'est décidément en français que son talent s'épanouit le mieux : il y a chez elle une intelligence et une intelligibilité rares du texte, magnifiées par la technique. Car sa voix sonne vraiment naturelle, et c'est encore plus surprenant en salle. Du coup je me suis rendu à ce concert comme à une représentation théâtrale. Pour le plaisir du texte, ce qui permet de pardonner les aigus faux et les graves parfois trop bas pour elle : Gens est consciente de ses limites, particulièrement dans la deuxième partie, et elle en joue pour construire ses personnages de femmes écorchées vives.
En revanche, complet désaccord avec vous, Polyeucte et Hippolyte, sur la question des [R] roulés. Non seulement je suppose qu'ils étaient nécessaires dans les passages déclamés pour se faire entendre et comprendre jusqu'au fond de la salle, mais en plus ils ont un aspect artificiel tout à fait plaisant : tragédienne, tout en elle appelle ce mot, de la noblesse de son phrasé jusqu'à son port altier – en passant par les robes, moi j'ai préféré la première.

Quant aux Talens Lyriques, bon... Ils sont sympathiques, mais c'est quand même particulièrement grisâtre, même si on peut en effet souligner la grande complicité entre la chanteuse et l'orchestre !

J'avais entendu le disque et les commentaires sont intéressants. Gluck, Gossec et Kreutzer selon moi n'ont rien à faire dans ce programme consacré aux héroines romantiques. Rousset a fait n'importe quoi. En dehors de cela, il est vrai que le disque est intéressant. Je ne doute pas qu'en salle, vous ayez pu être captivé.

aurele a écrit:

J'avais entendu le disque et les commentaires sont intéressants. Gluck, Gossec et Kreutzer selon moi n'ont rien à faire dans ce programme consacré aux héroines romantiques. Rousset a fait n'importe quoi. En dehors de cela, il est vrai que le disque est intéressant. Je ne doute pas qu'en salle, vous ayez pu être captivé.

Comme si Gens n'avait pas eu son mot à dire sur le programme . Sinon, c'est passé plusieurs fois sur mezzo en mars et c'est vrai que Gens m'a bien surprise; je ne la connaissais que dans Hyppolite et Aricie qu'elle a enregistré il y a quelques années sous la direction de Minkowski avec Fouchécourt , Fink, Smithe ...

aurele a écrit:

J'avais entendu le disque et les commentaires sont intéressants. Gluck, Gossec et Kreutzer selon moi n'ont rien à faire dans ce programme consacré aux héroines romantiques. Rousset a fait n'importe quoi. En dehors de cela, il est vrai que le disque est intéressant. Je ne doute pas qu'en salle, vous ayez pu être captivé.

Moi aussi j'avais un peu entendu le disque, ce qui aurait pu être une mauvaise idée vu que le programme du concert était identique... Mais il vaut l'achat en effet, il est bien plus consistant que le volume précédent.
Mais si, ces trois airs-là ont tout à fait leur place ici: ils font la transition avec le disque précédent, et puis ils annoncent le romantisme. Ne serait-ce que, considérés isolément, par leur texte. Il est même rare d'entendre des récitals au programme aussi cohérent !

Maintenant, on attends le quatrième! Au programme : Massenet, Gounod, Bizet et pourquoi pas pousser plus loin encore avec Chausson, Dukas, Poulenc... (vous imaginez, Gens en Carmen! )

Mais sérieusement, j'aimerai bien qu'elle continue dans le genre en se centrant pour le volume suivant sur ce qu'elle a amorcé avec Verdi, Berlioz, Saint-Saëns et Massenet!

Gens et Rousset n'ont jamais envisagé de faire un deuxième et un troisième volet. Rien ne dit qu'il y aura un quatrième volet mais cela peut être intéressant bien évidemment. Gens en tout cas veut se diriger vers ce répertoire puisqu'elle aimerait faire Didon notamment.

Moi z'aussi j'y étais !
Magnifique concert, une vraie leçon d'histoire de la musique !