Très belle soirée hier à Bastille
Direction Alain Altinoglu
Don Giovanni Erwin Schrott
Leporello Adrian Sâmpetrean
Elvira Marie-Adeline Henry
Anna Tatiana Lisnic
Ottavio Stefan Pop
Zerlina Serena Malfi
Masetto Alexandre Duhamel
Commandeur Liang Li
Metteur en scène : néant… Il s’agit d'après l'ONP d’une production "selon une mise en scène" de Michael Haneke.
J’ai beaucoup aimé la mise en scène "d’après" Haneke, très intéressante et efficace, très fidèle à la noirceur et la crudité (on dit ça ? crudité ?) du livret. La transposition fonctionne bien, ce qui est assez rare. Les récitatifs (malgré quelques coupures) sont bien travaillés d’un point de vue dramatique et ajoutent à l’épaisseur des personnages. Le côté fanfaron désespéré de Don Giovanni est vraiment réussi, odieux et désinvolte y compris face à la mort. Dans la scène finale, avant d’accepter l’invitation du commandeur, il prend dans ses bras Elvira puis Leporello, dans un geste tendre, comme s’il voulait les consoler d’avance de sa mort. Puis il chuchote à l’oreille du commandeur, dans une dernière provocation, "ho già risolto". J'ai trouvé cela admirable, un regard nouveau sur ce personnage tellement énigmatique.
L’orchestre était très bien. Altinoglu a d’abord pris l’ouverture à un tempo extatique, avec un son merveilleux. Par la suite, plusieurs airs ont été au contraire pris très rapidement (en particulier Mi tradi quell’alma ingrata, et Ah pietà signori miei). L’orchestre semblait très engagé, comme contaminé par la nervosité de la scène.
Pas vraiment de maillon faible chez les chanteurs.
C’était la première fois que j’entendais Schrott. Très belle voix, mais j’ai trouvé qu’elle bougeait parfois un peu trop. Il est tout le temps audible, et révèle de temps en temps dans un fortissimo énorme la puissance de sa voix. C’est un excellent comédien également.
Au passage, d’après operabase, ce garçon a 6 rôles à son répertoire, et encore, dans 4 opéras (Figaro, Almaviva, Don Giovanni, Leporello, Dulcamara et Mephisto) ! 7 peut-être car il chante peut-être les Mephisto de Gounod et de Berlioz, je n’ai pas vérifié.
J’ai trouvé Adrian Sâmpetrean très bien en Leporello, très bon comédien également, notamment dans le récitatif amoureux avec Elvira.
Très bon Masetto de Alexandre Duhamel.
J’avais déjà entendu Stefan Pop (Ottavio) dans Rodolfo de la Bohème, j’ai été moins convaincue dans Mozart, les vocalises étaient assez pâteuses.
Côté femmes, j’ai trouvé que les trois voix étaient un peu trop semblables, des voix assez larges et plutôt "en arrière", très couvertes. Je ne pense pas que c’était un choix particulier car lors des autres reprises de cette production, les trois rôles étaient plus caractérisés. En tout cas, elles ont été toutes trois excellentes. Marie-Adeline Henry, qu’on avait déjà vue à l’ONP dans de plus petits rôles, est une magnifique Elvira, très touchante et investie. Sa voix est à la fois libre et très précise. (et elle a un répertoire très étendu, elle, je l’ai même déjà entendue chanter Brünnhilde à l’auditorium de Bastille dans l’excellent "Ring light" qui sera repris ce printemps). J'ai bien aimé l'Anna charnue de Tatiana Lisnic (je parle de sa voix bien sûr) et la Zerlina charnelle de Serena Malfi.
Un gros regret toutefois, les décalages ayant été importants tant par leur ampleur (le chef faisant attendre l’orchestre la baguette en haut avant que tout le monde se retrouve…) que par leur nombre. C'était prévisible pour une première, d’habitude j’attends que les spectacles soient plus rodés. Là, les décalages étaient je pense aggravés par la mise en scène très mobile et nerveuse, ne laissant guère aux chanteurs la possibilité de suivre le chef.
Pour avoir une petite idée de l’ampleur du problème, ci-joint une vidéo (publiée par l’ONP lui-même, donc autorisée je pense) montrant Mattei totalement décalé par rapport à l’orchestre, lors d’une reprise de 2006-2007 je crois. La mise en scène a été sensiblement modifiée depuis : hier Schrott a chanté presque tout l’air debout sur la banquette, face au chef. Et c’était nettement plus en place…
https://www.dailymotion.com/video/xpf8ts_don-giovanni_creation, à partir de 2'40
La représentation a été précédée d’un discours de Lissner (touchant mais un peu fourre-tout : la liberté de la presse, le terrorisme, la culture, les jeunes à l’opéra, la Philharmonie) et du chant des hébreux de Nabucco très bien chanté par le chœur de l’ONP.