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| Reimann: Lear (Luisi/Bieito/Skovhus), Garnier, 20.V-12.VI | |
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Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Reimann: Lear (Luisi/Bieito/Skovhus), Garnier, 20.V-12.VI Mar 24 Mai 2016 - 22:08 | |
| Depuis le 20 mai et jusqu'au 12 juin, l'ONP donne Lear d'Aribert Reimann à Garnier. Dans le rôle-titre, Bo Skovhus; avec aussi, entre autres Gidon Saks, Annette Dasch, Ricarda Merbeth. L'orchestre est dirigé par Fabio Luisi, la mise en scène est de Calixto Bieito. J'aime beaucoup cet opéra, que je connais par le disque (vinyle) enregistré après la création à Munich, en 1978 (avec DFD, Helga Dernesch, Julia Varady, direction de Gerd Albrecht). - Spoiler:
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L'œuvre s'inscrit tout à fait dans le style "avant-garde européenne des années 70" avec néanmoins quelques particularités qui justifient une reprise: - un livret assez efficacement narratif (c'est une adaptation plutôt fidèle du Roi Lear de Shakespeare en allemand, qui se contente simplement d'élaguer l'original, surtout dans la seconde partie), plutôt traditionnel au regard du "théâtre expérimental" qui nourrit les œuvres de la même époque ou de la même génération ( Licht, les "actions scéniques" de Nono...); - une musique certes "atonale post-sérielle" et tout ce qu'on veut mais qui se distingue par un orchestre assez beau (souvent travaillé en clusters) et une écriture très adaptée aux voix, non seulement en termes d'écriture vocale proprement dite (qui cherche plus à utiliser les ressources de la voix qu'à le mettre en inconfort) mais aussi parce que l'orchestre y est vraiment conçu dans un rapport d'accompagnement de la voix, et non de contrainte ou de concurrence; on sent là vraiment qu'Aribert Reimann est aussi un grand accompagnateur de lied. Deux ou trois choses m'intéressent en outre a priori dans cette production: Skovhus, dont l'énergie scénique et vocale m'avaient épaté dans les Meistersinger; la direction de Luisi, dont j'aime beaucoup le travail dans les grandes fresques postromantiques ou décadentes (de magnifiques Mahler, Bruckner et Schmidt avec Dresde) et que je suis curieux d'entendre dans du contemporain; la mise en scène de Bieito qui me semble se signaler par une direction d'acteurs assez serrée. (Et puis la Goneril de Merbeth doit être pas mal, dans un style un peu hystérisant...)J'irai ce dimanche, en matinée. S'il y en a qui y ont déjà assisté ou qui projettent de le faire, n'hésitez pas à en dire un mot. (Même si je crains d'être un peu seul sur ce fil, les contemporanistes les plus acharnés du forum n'étant pas forcément parisiens ni lyricomanes...)
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| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Reimann: Lear (Luisi/Bieito/Skovhus), Garnier, 20.V-12.VI Mar 24 Mai 2016 - 22:38 | |
| Je n’ai jamais écouté que de courts extraits de Lear, mais de manière générale j’estime beaucoup Reimann. En fait, c’est sur un fond sériel, mais je trouve ça pleinement dans la tradition du romantisme germanique tardif. Je veux dire, ce n’est pas du tout le style sautillant-bariollé à la Boulez qui est encore bien représenté aujourd’hui dans une certaine “école” (post-sérielle ou non) franco-italo-suisse. Reimann, c’est le plus souvent sinueux, tourmenté, très expressif. Je lui reprocherais même un côté “poussierreux”. Pas toujours, cela dit ; je trouve notamment les lieder avec piano très vivifiants (par opposition à ceux avec orchestre ou quatuor). Mais surtout, son sens mélodique est absolument fabuleux, dans l’écriture vocale bien sûr mais pas seulement, il y a aussi de magnifiques pièces pour instrument soliste. C'est dans les effectifs réduits que je le préfère, de toute façon, les orchestres tortueux c’est moins mon truc. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Reimann: Lear (Luisi/Bieito/Skovhus), Garnier, 20.V-12.VI Mar 24 Mai 2016 - 22:59 | |
| - lucien a écrit:
- Je n’ai jamais écouté que de courts extraits de Lear, mais de manière générale j’estime beaucoup Reimann. En fait, c’est sur un fond sériel, mais je trouve ça pleinement dans la tradition du romantisme germanique tardif. [...] Reimann (je parle du Reimann de maturité), c’est le plus souvent sinueux, tourmenté, très expressif. Je lui reprocherais même un côté “poussierreux”.
En effet, si je devais le rapprocher d'autres compositeurs, je le situerais plutôt du côté de Cerha (enfin de certaines périodes de Cerha), voire de certaines choses de Holliger. Enfin surtout pour les lieder que je connais (ceux du disque Orfeo): cet ancrage dans le romantisme germanique tardif est peut-être un peu moins marqué dans Lear, qui irait davantage vers des esthétiques un peu hybrides (plutôt du côté du Ligeti des années 70). - lucien a écrit:
- Pas toujours, cela dit ; je trouve notamment les lieder avec piano très vivifiants (par opposition à ceux avec orchestre ou quatuor). Mais surtout, son sens mélodique est absolument fabuleux, dans l’écriture vocale bien sûr mais pas seulement, il y a aussi de magnifiques pièces pour instrument soliste. C'est dans les effectifs réduits que je le préfère, de toute façon, les orchestres tortueux c’est moins mon truc.
Si tu as des références de pièces pour effectifs réduits, je suis preneur (ici ou sur un autre fil). |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Reimann: Lear (Luisi/Bieito/Skovhus), Garnier, 20.V-12.VI Mar 24 Mai 2016 - 23:14 | |
| - Benedictus a écrit:
- En effet, si je devais le rapprocher d'autres compositeurs, je le situerais plutôt du côté de Cerha (enfin de certaines périodes de Cerha), voire de certaines choses de Holliger. Enfin surtout pour les lieder que je connais (ceux du disque Orfeo): cet ancrage dans le romantisme germanique tardif est peut-être un peu moins marqué dans Lear, qui irait davantage vers des esthétiques un peu hybrides (plutôt du côté du Ligeti des années 70).
oui, c’est bien possible. J’avais écrit maturité, mais en fait je me suis fait la réflexion que ce n’est pas si facile de périodiser. Dès le début des années 60 il y a des choses très romantiques, mais aussi d’autres beaucoup plus froides (on croirait presque entendre la suite pour piano de Schönberg, parfois). Et un peu plus tard, en particulier du côté de l’orchestre, il y a des choses très "frontales" avec des dissonances aggressives, c’est probable qu’il y ait de ça dans Lear. C’est aux années 80 que j’associe le plus le trait "orchestre tortueux", mais ce n’est pas forcément correct. - Benedictus a écrit:
- Si tu as des références de pièces pour effectifs réduits, je suis preneur (ici ou sur un autre fil).
Pas énormément, malheureusement, mais il y a notamment un cd Wergo harpe-violoncelle-piano, et le Capriccio avec Widmann. si jamais tu avais le Orfeo C 663 061 A... |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Reimann: Lear (Luisi/Bieito/Skovhus), Garnier, 20.V-12.VI Lun 30 Mai 2016 - 1:46 | |
| J'y étais donc cet après-midi: c'était tout à fait conforme à mes attentes, et même un peu au-delà. L'œuvre est vraiment très impressionnante, d'un impact physique presque excessif - c'est à la fois violent, dense, tendu...
Un mot déjà sur l'orchestre, en écho à ce que disait Lucien: en effet, il y a bien un côté très "postromantique allemand", particulièrement sensible dans les interludes orchestraux et dans l'atmosphère raréfiée de la fin. L'orchestre est magnifique (déjà sous Jordan dans Berlioz et Wagner, je l'avais trouvé somptueux): Luisi met, comme je l'attendais, bien en évidence la grande richesse de coloris (sombres) et l'énergie des grands agrégats, mais sait aussi donner à l'image orchestrale une grande lisibilité (en particulier dans les solos de bois et dans les passages de quatuor à cordes qui accompagnent le Fou), et une précision impressionnante (rythmique, en particulier).
J'ai par ailleurs été très sensible à la tension, constitutive de cette musique, entre ce que les notes de programme appelle "le fil et la pelote", c'est-à-dire entre la ligne dépouillée qui traverse l'œuvre (recto tono de Lear, homophonie et homorythmie des ensembles, quatuor à cordes déjà mentionné) et sa tendance aux grands agrégats, aux clusters, aux saturations.
Très belle écriture vocale aussi qui, plus que dans mon souvenir discographique, creuse vraiment toutes les potentialités de la parole chantée (du parlé au chant lyrique, en passant par toutes les nuances du Sprechgesang, du recto tono...) Très intéressant aussi, et mis au service d'une grande efficacité dramatique, le jeu sur la voix libre et le falsetto dans le rôle d'Edgar.
Beau dispositif scénique, plastiquement austère mais dramatiquement efficace, avec ces espèces de grandes claies de bois qui enferment la première scène pour se disjoindre et se disloquer; mise en scène très réussie, avec une direction d'acteur assez paradoxale, tantôt franchement statique tantôt axée sur de grands gestes violents, mais toujours d'une grande précision, d'une grande rigueur scénographique. La "transposition" (mais en est-ce vraiment une, s'agissant d'une tragédie aussi atemporelle, couplée à une musique aussi évidemment contemporaine?) est simple mais efficace: costumes de bourgeois des années 50 pour les personnages au faîte, haillons de SDF pour les déchus. (De toute manière, rien n'aurait pu être pire que l'espèce d'heroic fantasy bayreuthienne de carton-pâte de la mise en scène de la création par Ponnelle...)
Les côtés un peu "transgressifs" du travail de Bieito sont ici parfaitement en situation compte tenu de l'œuvre: la sexualité perverse liée au pouvoir (qui y est surtout suggérée par des jeux de scène), l'obsession du corps vieillissant très explicite en revanche (entre le Fou torse nu, l'apparition d'un vieillard nu fantomatique, les images projetées pendant la seconde partie et la dénudation progressive de Lear), la violence, qui ne passe elle aussi que par des geste scénographiques (l'énucléation de Gloucester)... Tout cela est de toute manière déjà thématisé chez Shakespeare.
Magnifique distribution, d'un engagement scénique exemplaire - à commencer par Skovhus dont le jeu corporel très physique, très tendu m'avait déjà frappé dans son Beckmesser et sur qui repose en grande partie l'énergie de la mise en scène. Vocalement aussi, le plateau est assez reamarquable, avec des voix pas forcément belles au sens glotto du terme (souvent un peu rauques et denses en harmoniques - en particulier Skovhus), mais avec beaucoup d'énergie dans la diction et d'impact dans la projection, et de sens de la ligne. Sunnegårdh et Merbeth idéalement hystériques; Scheibner, Colvin et surtout Conrad excellents dans la jactance veule; Watts passionnant dans son double registre de tenor/falsettiste (malgré les limites intrinsèques à cette voix); Saks, Dusseljee et Vasar très bons dans un style "noble" un peu forcé; et j'ai adoré la diction du comédien Ernst Alisch, dans le rôle du Fou. Seule relative réserve: Annette Dasch, dont la voix semblait avoir un peu de mal à se projeter (mais une belle Cordelia scénique, en particulier les expressions du visage).
Bref un spectacle âpre, dur, exigeant, mais aussi beau, et que j'ai énormément aimé.
Seule vraie réserve: l'inconfort des sièges et surtout la chaleur de la salle (au point d'envier Skovhus qui finit en caleçon). |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Reimann: Lear (Luisi/Bieito/Skovhus), Garnier, 20.V-12.VI Lun 13 Juin 2016 - 22:31 | |
| J'avais supprimé mon message pour faire quelques corrections, le revoici.
Comme j'en ai parlé sur CSS et que ça ne se bouscule pas sur le fil, le résultat de mon expédition.
Aribert REIMANN – Lear : réussir l'opéra sans musique Le titre résume à peu près toute l'expérience. Première écoute du disque de Gerd Albrecht issu de la création de 1978 (Fischer-Dieskau, Dernesch, Várady, Paskuda…), il y a dix à quinze ans. L'impression d'une écriture contrainte, qui cherche à faire moderne, et ne trouve d'autre voie pour y parvenir que de faire moche. Seconde écoute du disque cette année : intéressé par le potentiel dramatique de l'œuvre, dotée d'une déclamation assez naturelle (c'est finalement surtout Fischer-Dieskau, dans sa mauvaise période, qui articule et nasalise exagérément). C'est donné à Garnier, dans des conditions exceptionnelles : Bieito met en scène, Luisi dirige, et le plateau est particulièrement luxueux – Andreas Conrad, Bo Skovhus, Ernst Alisch, Ricarda Merberth, Annette Dasch. Je décide donc de lui donner sa chance à la scène. Fait l'avant-dernière représentation. Les deux impressions s'y conjuguent. Je suis assez convaincu : le verbe y paraît libre, comme de la déclamation brute, certes préparée sur papier à musique, mais secondant toujours une prosodie assez naturelle ; même les mélismes ou les intervalles difficiles semblent couler de source. Sur un tel sujet, de la déclamation d'opéra par de très grands interprètes, c'est très impressionnant. En revanche, il ne faut pas en attendre de la musique : l'impression d'entendre en permanence le même tapis de cordes, sorte de cluster sériel (la série principale est très facile à repérer, et semble ne jamais muter), légèrement tendu, mais jamais intense ni dramatique (malgré l'investissement impressionnant des musiciens). À comparer aux agrégats de cordes aiguës des scènes de tension de série B : on crée un nuage un peu menaçant sur lequel se pose le texte – mais il n'y a pas réellement de discours musical qui mérite d'être suivi. Et pourtant, on l'entend nettement (en particulier dans les parties de cuivres, savamment décalées), les rythmes notés doivent être très difficiles – cependant depuis la salle, on croit percevoir un discret choral bien homophonique en agrégats (des accords réguliers et dissonants, pour le dire plus simplement). Rien dans la mélodie (même vocale) ou dans l'orchestration qui apporte un relief particulier, tout repose sur le texte et les aptitudes des chanteurs. On en retire tout de même des moments de bravoure, comme le (doublement double) solo de timbales le plus difficile de tous les temps (je me demande comment il est physiquement possible de passer avec le bras droits de la deuxième à la cinquième timbale, et par-dessus le gauche qui passe de la quatrième à la troisième, à ce tempo…), très long – un vrai plaisir lorsqu'on est sensible à l'instrument –, et bien sûr l'implication des chanteurs. Le roc Bo Skovhus, que le temps semble n'avoir pas le moins du monde effleuré, le prince Andreas Conrad (timbre libre, clair, varié, et très expressif), le savoureux vétéran Ernst Alisch, fin et tranchant… [J'ai en revanche trouvé Bieito un peu à l'économie, pas beaucoup de choses à voir sur scène, et encore moins de point de vue neuf, radical ou surprenant.] En fin de compte, réellement convaincu, mais je me suis tout de même interrogé : aller voir de l'opéra sans musique, ne serait-il pas plus logique d'aller voir la pièce originale bien jouée ? Certes, pas évident de voir des comédiens de ce niveau sur une scène de théâtre, même à Paris, surtout si l'on veut de la VO ou à tout le moins une bonne traduction… Mais tout de même, tant d'effort pour composer un opéra sans réel contenu musical ? Corollaire : passé les trois premiers quarts d'heure, l'impression que le temps s'est suspendu (dans le sens de la répétition plus que de la grâce) et que seule l'action progresse. Étrange sentiment. Formulé moins gentiment : si vous n'êtes pas tolérant à la musique amélodique et/ou dissonante et si vous n'allez pas à l'opéra pour le théâtre, courez, fuyez tant qu'il en est encore temps. Croisé une dame, d'âge pourtant respectable, complètement traumatisée, n'ayant « jamais rien vu d'aussi noir et affreux ».Sûr que si on vient d'ordinaire à Garnier pour Giselle ou Cenerentola, ce doit être rude. |
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| Sujet: Re: Reimann: Lear (Luisi/Bieito/Skovhus), Garnier, 20.V-12.VI | |
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| | | | Reimann: Lear (Luisi/Bieito/Skovhus), Garnier, 20.V-12.VI | |
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