Je n'ai pas vu de fil, alors qu'il y avait plusieurs membres dans la salle…
C'était mercredi 15 novembre 2017 et le jeudi suivant (où j'étais).
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La
Symphonie n°104 de Haydn est évidemment une merveille, tous ces échos et transitions au I (sommet formel, du moins avant les surdéveloppements des périodes suivantes), ces ruptures incroyables au II (variation avec petite harmonie solo, silences, fanfares épiques soudaines), assez au delà de ce qui se produisait (à part en France…) dans la langue classique européenne ! J'ai été étonné d'y reconnaître (en 1795) un art de l'orchestration que je ne croyais pas vraiment axister avant Beethoven et les Variations orchestrales sur la Follia de Salieri (1815).
D'ailleurs, l'usage proéminent du basson comme soliste dans le II est une véritable innovation (et un délicieux enchantement), quasiment du niveau
de ce que fait Beethoven !
Le dernier mouvement évolue moins par nature, jouant sur son thème populaire croate (comme
Gott erhalte Franz den Kaiser, d'ailleurs), à façon du final de la Deuxième de Tchaïkovski !
… je ne croyais pas que l'
Orchestre de Paris fût capable de jouer comme cela ! Avec
Hengelbrock, c'est une netteté incroyable (sans vibrato), digne des spécialistes (avec un effectif pourtant pas malingre : 4-6-8-10-12), tout est très finement articulé, joueur, spirituel. Flûte solo (Prats), bassonistes et timbalier (petit jeune, jamais vu) possédés.
Remarque de mon voisin au sien, sur un ton assez docte, pendant la seconde qui sépare la dernière note du silence : « c'est trop répétitif ».--
Puis la
Troisième Symphonie de Beethoven. Moins de dix ans après la 104, mais plus qu'une génération, c'est clairement un monde qui les sépare.
Jamais fanatique du premier mouvement (je crois qu'il fonctionne mieux pris au tempo ultra-rapide du faux métronome de Beethoven), mais tout de même, je reste conditionnel des sections intermédiaires ineffables du II (la première mélodie lumineuse comme les deux grands fugatos !), le trio cornu du scherzo, le final sur une bête contredanse transfigurée, d'une jubilation inextinguible !
La première mélodie intermédiaire de la Marche funèbre, la petite gamme clarinette-hautbois, dans l'une des dernières variations du final me mettent toujours par terre (et très réussies jeudi). Vous pouvez retrouver ça avec le son dans le fil sur les
moments ineffables.
Moins enthousiaste sur l'interprétation que pour Haydn :
Hengelbrock choisit une lecture assez apaisée ; tout à fait musicologique et informée, mais les attaques sont sur le même plan que les tenues, tout est à la fois sans vibrato et assez legato, une sorte de côté étale, surtout dans le premier mouvement. Il joue beaucoup de la précision de l'acoustique, allégeant les cordes qu'on entend avec une netteté hallucinante malgré la taille de la salle et la distance (je suis le plus loin possible), entonnant ses thèmes avec douceur : superbe, assurément, mais un rien frustrant si on espérait un peu forcer sur la sauce épique.
Ça s'emballe à partir du scherzo, les accents sont plus marqués, et superbe final (même si la coda m'a paru inutilement pressée – c'est si beau, pourquoi s'en débarrasser sans en goûter le détail ?).
Altos superbes (cordes en formation 6-8-10-11-14), bassons aussi, timbalier toujours en transe. Et tout au-dessus de tout reproche, c'est que personnellement j'aime les discours baroqueux aérés et contrastés (quitte à avoir des trous dans le spectre) plutôt que ceux qui aiment les tenues un peu égales. Hogwood, ainsi que Norrington avec les London Classical Players, ont ce type de son de cordes, mais le premier est totalement furieux dans son intégrale Beethoven, le second ose des couleurs beaucoup plus typées, avec des trous dans le spectre tout à fait béants… (pas forcément plus convaincu par le second que par Hengelbrock, mon propos est de souligner que ces attaques étales n'impliquent pas du tout cette forme de douceur surprenante par lui défendue)
À la fin du premier mouvement, le même voisin : « c'est trop bavard, tu vois ».--
Superbe concert – ce n'est que ma seconde Héroïque de toute façon, et du Haydn joué comme cela, ce n'est pas tous les jours ! (Un brin en-dessous du feu d'artifice des Lauréats du CNSM la semaine dernière, mais aussi d'une finition supérieure.)