C'est vrai que Goerne, en me rapprochant, semblait (malgré des aigus qu'on sent plus serrés, je me demande vraiment pourquoi il a accepté Kurwenal prochainement, même s'il y est sublime !) beaucoup plus à l'aise, retrouver son expression ample et poétique naturelle.
¶ Sinon, un an et demi après l'Ensemble Pygmalion (très bien, quoique un peu mesuré, et un chœur qui a beaucoup perdu en typicité), quel plaisir de retrouver ce chef-d'œuvre absolu, surenchères de tuilages, de fugues, de réponses en imitation !
On croit que
Mendelssohn a tout donné, mais non, à chaque chœur, c'est une surenchère incroyable (un peu comme dans le Deutsches Requiem, avec ces fugues soudaines qui vous achèvent au sein de mouvements déjà très densément inspirés).
¶ Et côté interprétation, le disque n'a pas menti : certes, le volume orchestral est mince (ce qui met parfaitement en valeur les voix, solistes comme chœur), mais la typicité des timbres est extraordinaire, on entend vraiment l'orchestre de Gluck qui joue du Mendelssohn ! La couleur très ouverte des hautbois, la douceur des clarinettes en poirier, la chaleur des cordes… seuls les bassons passent moins bien la rampe qu'au disque (où ils sont très bien captés, et apportent un grain unique !).
Mention spéciale au deuxième contrebassiste
Simon Hartmann, assez possédé (et des contrebasses qui /attaquent/, ça change tout), échangeant des regards béats avec ses camarades Scotney et Stähle.
Et à
tous les altos (Saller, U. Kaufmann, Massadas, Chionchini, Parisot, menés – et comment ! – par
Annette Schmidt) avec un sens de la couleur inouï : dû vérifier à plusieurs reprises qu'ils n'étaient pas doublés par les bassons, tant les couleurs étaient profondes et chaleureuses !
Mais surtout, c'est la façon de jouer
ensemble, de ne faire qu'un, jusque dans les accords qui ponctuent les récitatifs et qui claquent sans une fraction d'hésitation ou de décohésion… qui enchante du début à la fin, dans une œuvre longue et exigente.
Quelle fugue liminaire !
¶ Grands chanteurs individuels du RIAS Kammerchor, avec quelque chose un brin pâteux, dans cet environnement, du côté des hommes (qui ne s'entend pas du tout dans les solos). Néanmoins, ils répondent superbement aux sollicitations d'Heras-Casado, tout est là.
¶ Car en plus du son totalement renouvelé, je suis saisi par la hauteur de vue du chef
Pablo Heras-Casado ; aucune épate dans les gestes, totale épure de chef de chœur, mais avec un charisme et une précision (utile) hors du commun : sans une parole, on voit l'indication des tenues, du degré de tension, de la nature des attaques… et, ce qui est décisif, on les
entend immédiatement.
Jamais vu un chef donc la gestuelle est à ce point connectée au résultat audible.
Et, ce qui est le plus important, tout est tendu et soigné dans les moindres recoins, de bout en bout, chaque portion d'accompagnement est à sa place dans le spectre, dans la couleur, et tous jouent vraiment, même les dernières chaises. Lecture électrisante et paroxystique, mais pas sans poésie.
C'est un renouvellement total des habitudes d'écoute, sans aucun effet spectaculaire (pas du tout les jolis effets de manche habituels des ensembles spécialistes). L'impression de toucher à l'essentiel de la musique.