"Dona nobis pacem" (Donne nous la paix), ainsi s'achève la monumentale Messe en Si de Bach. Et le chef argentin, Leonardo García Alarcón, ne se trompe pas en bissant ce passage à l'issue du concert triomphal qui a eu lieu le samedi 23 novembre 2019 à l’auditorium de Radio France. A la tête de l'Orchestre Philharmonique et du Chœur de Radio France, il est parvenu à trouver des équilibres parfaits tout au long des près de deux heures que dure cette œuvre. Mais plus encore que la musique, c'est le propos plein de sagesse qu'il a adressé au public à l'issue du concert qui nous marquera. En précisant que la culture est ce qui nous unissait et nous transcendait tous, en précisant par exemple que c'est au plus fort de la crise économique en Argentine qu'il se jouait le plus de pièces de théâtre à Bueno Aires. La ville était même devenue en 2001 l'endroit au monde où l'on jouait le plus de pièces, plus qu'à New York !
La Messe en Si est l’œuvre de toute une vie. Bach a commencé à la composer en 1724 pour l'achever plus de vingt années plus tard, à la fin de sa vie, en 1749. Paradoxalement, pour le fervent luthérien qu'était Bach, cette Messe en si est en latin, et non en allemand. Toutefois, le Kyrie et le Gloria sont bel est bien présents dans la liturgie luthérienne.
L'Orchestre Philharmonique de Radio France est un ensemble réputé pour son éclectisme. Ses programmes vont du baroque jusqu'au contemporain, et il entre dans ses missions d'être capable de jouer dans tous ces répertoires. Et lorsqu'on lui adjoint un spécialiste du baroque comme Leonardo García Alarcón, artiste en résidence cette saison, on a tous les ingrédients d'une soirée réussie.
Et dès le début, trotte le sentiment que quelque chose d'à part va se produire. Le concert commençant en effet dans une salle plongée dans le noir complet ! L'imploration du Kyrie gagne ainsi en mystère et en profondeur, on implore Dieu humblement dans l'obscurité avant que la lumière soit. Et comme il se doit, lorsque le Gloria commence, la lumière divine fait irruption. Une lumière qui se teinte de plusieurs couleurs selon la teneur des paroles, tantôt rouge, tantôt bleue, tantôt jeune. Il s'agit là d'un procéder efficace pour éclairer le texte.
Le Chœur de Radio France va exceller tout au long de cette soirée, avec une densité, une clarté et un engagement de tous les instants. Chaque pupitre gardant son équilibre et faisant vivre la polyphonie dans une aveuglante clarté. Alarcon n'a pas son pareil pour illustrer la merveilleuse horizontalité de la musique de Bach. Dans tous les moments glorieux offerts par cette partition, retenons la ferveur du Cum Sancto Spiritu ponctuant la première partie dans une lumière jaune irradiante. De la vie, du dynamisme et de la clarté.
Du côté des solistes, saluons également l'excellence. Tout d'abord de la Soprano Mariana Flores qui dès le Kyrie fait montre de toutes les couleurs de son timbre, de sa présence jamais démentie qui occupe la scène, et de son impeccable prosodie. La mezzo Marianne Beate Kielland se joint à elles avec ses graves profonds. Le contre-ténor Paulin Bündgen fait pour sa part profiter de son timbre haut perché mais tellement juste, notamment dans Qui sedes ad dexteram Patris, en duo avec le hautbois d'amour, puis dans un merveilleux Agnus Dei. Le ténor Julian Prégardien, se démarque quant à lui dans le Benedictus, chanté par cœur avec assurance et tact, offrant un parfait confort d'écoute avec son timbre chaud et son excellente prononciation. Le baryton-basse Andreas Wolf s'illustre enfin dans Quoniam tu solus sanctus. Beaucoup d'autorité, de profondeur. Un timbre assez chaud, une diction impeccable et un réel sens du rythme.
N'oublions pas enfin de dire du bien de l'Orchestre. Notamment dans l'immense fugue du Et resurrexit. L'accompagnement sans faille de bout en bout, avec des couleurs ornementales toutes plus belles les unes que les autres. Mais aussi, les interventions des divers solistes, avec en premier lieu Ji Yoon Park, le premier violon solo de l'orchestre.
Enfin, le chef, Leonardo García Alarcón, qui fait vivre cette musique comme une évidence révélée. Avec des tempi assez lents afin de laisser une véritable respiration et de permettre une réelle immersion dans la musique. Pas un instant, l'attention de l'auditeur ne se perd. Bien au contraire, à chaque seconde, le chef pointe quelque chose de fondamentalement passionnant dans cette musique et en révèle des beautés insoupçonnées. Il est tellement absorbé à sa tâche qu'on le remarque parfois lui aussi chanter !(Et apostolicam Ecclesiam). Dans certains passages, il expose la gloire transcendante de la musique sacrée. Dans d'autre, il émeut aux larmes (Crucifixus). Et en un mot, il apaise.
Le concert est disponible ici