#ConcertSurSol n°1
récital français Florian Sempey & Jeff Cohen
Énigmatique apparition d’un récital imprévu (et gratuit), à peine à annoncé par la maison dans les derniers jours d’août… il s’est évidemment trouvé rempli d’habitués, ouvrir une si petite jauge, gratuite, sans prévenir personne, c’est le meilleur moyen de ne servir que des gens comme moi. (Tant mieux pour nous, tant pis pour la Cause de l’opéra auprès des masses…).
Meyerbeer, Dinorah « Ô puissante magie »
Wagner, Les deux Grenadiers
Gounod, Roméo & Juliette « Maab, la reine des mensonges »
Thomas, Hamlet « Ô vin, dissipe la tristesse »
Thomas, Hamlet « La tristesse alourdit mes pas […] Comme une pâle fleur »
Massenet, Manon « À quoi bon l’économie »
Saint-Saëns d’après Massenet, extrait de la Paraphrase sur des thèmes Thaïs
Poulenc, Banalités
Poulenc, Mélancolie pour piano
Aboulker, Les Quatre Saisons
Bis 1 : Rossini, La chanson du bébé
Bis 2 : Rossini, Le Barbier de Séville (cavatine de Figaro), en italien
Bis 3 : Schubert, Wandrers Nachtlied II, en allemand
Je n’aime pas du tout la technique de base de Floran Sempey : haute impédance (la voix rebondit énormément dans les résonateurs avant de sortir, très peu libre), couverture très forte qui nivelle la couleur, les dynamiques, les voyelles, avec un résultat parfois étouffé et (parfois simultanément) exagérément sonore. Mais ça, c’est mon opinion sur la bonne technique – on produit un son beaucoup plus efficace avec une émission plus libre, moins contenue à l’intérieur du corps, et cela permet simultanément beaucoup plus de netteté dans la diction et de souplesse dans l’expression.
Cette limite s’entendait assez nettement dans la chanson à boire de Hamlet et l’invocation d’Hoël dans Dinorah : tout en force, peu intelligible.
CEPENDANT. Ce fut un excellent moment, pour trois raisons.
1) Programme vraiment excitant, avec quelques-uns des plus beaux airs français qu’on n’entend pas souvent en récital (Mercutio de Gounod, Hamlet de Thomas), l’atypique mélodie française de Wagner (la seule qui vaille l’intérêt d’être écoutée, au demeurant), le rarissime et exaltant air du fiancé maléfique de Dinorah (hélas sans le court récitatif qui aurait permis au public de comprendre le contexte !). Et même une très jolie création d’Aboulker, écrite pour Sempey lui-même il y a quelques mois, où se tisse l’amour avec les saisons – jusqu’à l’extinction en même temps que le feu de l’âtre – moment de poésie réussi.
2) Sempey a depuis quelques années vraiment réformé sa technique : le fondement reste le même, mais il s’autorise beaucoup de variations de couleurs, de textures… et lorsqu’il chante sans métal, voire en mixant légèrement (« Hôtel » des Banalités, la déploration de Hamlet…), tout devient soudain intelligible, l’interprète se dévoile, et la précision des intensions, la beauté de la voix font immédiatement mouche. Très prenant dans ces moments.
3) Même lorsque l’émission vocale me plaît moins, l’engagement vocal et scénique du chanteur emporte la bienveillance, voire l’adhésion pleine, au delà même des opinions esthétiques.
Jeff Cohen, accompagnateur intelligent et sensible, était un peu prudent vu la difficulté des traits dans les opéras – sa spécialité est plutôt l’accompagnement de mélodies, où il excelle sur un répertoire immense, avec cette sorte de réserve propre à son positionnement. C’est un métier complètement différent de soliste sur une poignée de concertos – même s’il existe aujourd’hui des chefs de chant ou des petits jeunes qui sont capables d’endosser les deux spécialités (je ne sais pas comment ils font !).
Il a été accueilli très chaleureusement par le public dans ses deux solos, où il montre sa compréhension intérieure de la musique… et dans des choix de répertoire une fois de plus atypique, gloire à lui. (Il fait aussi un très bon travail comme professeur et comme zélote de la mélodie et du lied, un acteur incontournable de la musique de notre époque.)
Beau début de saison assurément !