Dans le cadre du Bruckner Casco Festival, qui s'est déroulé du 13 au 15 septembre 2024 au Muziekgebouw d'Amsterdam, le concert de clôture présentait la 9ème symphonie d'Anton Bruckner en réduction pour 16 musiciens arrangée par Sébastien Letocart spécialement pour cette occasion.
La Camerata RCO, entièrement composée de membres du prestigieux Orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam, a donné la première mondiale de cette symphonie sous forme de quatre mouvements, se terminant par le Finale, achevé par Sébastien Letocart en 2007/2008 et réarrangé pour 16 musiciens donc, en 2022/2023.
https://www.youtube.com/watch?v=zeRjUvFWt9g
Je trouve personnellement la Coda très émouvante, et certainement dans l'ensemble la tentative de reconstitution de ce Finale la plus réussie à ce jour.
Quelques mots de Sébastien Letocart sur ses travaux :
La réalisation d’un tel projet doit toujours être comprise comme un compromis inévitable – jamais pleinement satisfaisant, bien sûr, puisque personne ne peut remplacer Bruckner. Pour la coda, j'ai fait de mon mieux pour la rendre aussi crédible que possible en incorporant des concepts musicaux des 5e et 8e symphonies, ainsi que du matériel des mouvements précédents de la 9e elle-même. Comme la 5e et la 8e, je crois qu'il s'agit d'une « Symphonie finale », dont le centre de gravité se trouve dans le dernier mouvement, ce qui implique et exige fortement une conclusion particulièrement puissante.
Il existe aujourd’hui un récit dominant selon lequel le Finale inachevé de la Neuvième Symphonie de Bruckner, écrit au cours des deux dernières années de sa vie, n’était rien de plus qu’une « première ébauche », peut-être prête à subir une transformation substantielle ou n’existant que sous forme d’esquisses décousues et inintelligibles. Un examen méticuleux de la source primaire – le fac-similé du manuscrit – combiné à une compréhension de la méthodologie de Bruckner, glanée dans les manuscrits des trois mouvements précédents et des symphonies antérieures, révèle une histoire nettement différente.
Les lacunes de ce Finale inachevé résultent de parties qui existaient certainement sous la forme d’une partition orchestrale de 24 portées sur bifolios. Bruckner avait l’habitude de numéroter chaque bifolio, désignant même ceux entièrement orchestrés comme « terminés » (« fertig »). Malheureusement, certains de ces bifolios numérotés sont désormais manquants, pour des raisons qui ne peuvent être expliquées clairement et de manière fiable. Les personnes chargées de garder l’appartement de Bruckner et ses effets personnels étaient apparemment extrêmement négligentes.
L’examen des derniers mois de sa vie fournit suffisamment de preuves que Bruckner était dans la phase finale de la composition : l’orchestration. La coda était peut-être plus avancée qu’on ne l’a cru pendant plus d’un siècle. Le dernier bifolio existant de la partition est identifiable sous le numéro « 31E/32 » (fin de la récapitulation et transition vers la coda). Pourtant, l’une des esquisses fait référence à un « Bifolio 36 », suggérant que la coda a été rédigée jusqu’à ce point et au-delà. Il est probable que Bruckner ait commencé à la noter en partition complète, bien qu’il n’en reste aucune trace. Ces pages ont peut-être été perdues à jamais.
Ce qui reste consiste simplement en quelques esquisses, dont la plupart sont thématiquement et rythmiquement non caractérisées, à peine lisibles, rayées et donc ouvertes à une infinie interprétation. De plus, il n’est pas certain que certaines d’entre elles aient même été destinées à la coda (par exemple l’esquisse ÖNB 3194/3r, qui ouvre le début de la coda dans ma complétion, mais utilisée « par défaut »).
En gros, ce mouvement est complet à 40 % verticalement (orchestration) et à 70 % horizontalement, ce qui signifie que 60 % du mouvement est disponible, partiellement ou totalement orchestré, ou sous forme d’esquisses, compte tenu des cinq trous manquants dans l'exposition-développement-récapitulation, plus le 6e trou correspondant à la transition nécessaire menant au début de la coda inconnue. Avec ces trous plus ou moins reconstitués ou purement créés, nous avons environ 75 à 80 % de l’ensemble du mouvement, mais nous ne connaissons pas la forme et l’échelle de la coda elle-même.
Nous pouvons conclure que les récits qui prétendent, d’un côté, qu’il ne reste presque rien de ce mouvement et, de l’autre, que même la coda peut être presque entièrement reconstituée à partir d’esquisses existantes, sont tous deux sans fondement et donc faux. Toute affirmation alternative concernant le matériel disponible et son contenu réel doit être considérée avec la plus grande prudence et le plus grand scepticisme.
L’affirmation selon laquelle Bruckner aurait perdu ses capacités ou que ses idées musicales étaient incohérentes semble assez simpliste. Il ne souffrait pas d’un déclin cognitif complet, comme en témoigne la maîtrise affichée dans sa composition. Au contraire, il était aux prises avec une maladie grave qui altérait parfois fortement ses capacités. Cette condition, accompagnée de souffrances intenses, a probablement eu un impact sur son état mental. Cependant, l’écriture tremblante du compositeur témoigne de sa détermination inébranlable à achever sa symphonie ultime malgré les défis physiques et mentaux auxquels il était confronté.
Pour conclure sa Neuvième Symphonie, Bruckner a sans aucun doute conçu une œuvre musicale ambitieuse et magistrale, dont l’apothéose culminante devait probablement servir de zénith à son œuvre symphonique. Si certains peuvent trouver satisfaction dans l’Adagio en guise de conclusion à la symphonie, il ne fait aucun doute que Bruckner, jusqu’à son dernier jour, a envisagé sa Neuvième Symphonie non pas comme une œuvre en trois mouvements mais comme une composition en quatre mouvements.
Un autre lien pour approfondir : https://sites.google.com/site/letocartsebastien/Home-english/bruckner-9th-symphony-completion-of-the-finale?fbclid=IwY2xjawFfPWZleHRuA2FlbQIxMAABHYk0ZGaTq5Nswl_E13hx2vyKdx4IklMMrMEk956cfzlzJwcIIoKBXqvF3w_aem_8PXgy7aDNguo-R5zBle9ow