Robert Schumann - Lieder

On peut aussi se reporter à la présentation générale du lied ici :
https://classik.forumactif.com/general-f1/a-la-decouverte-du-lied-mode-d-emploi-t1257-20.htm ,
mais je vais tâcher de détailler un peu.

3.4. Robert Schumann

Robert Schumann est le second compositeur le plus joué et le plus enregistré dans le lied, et je gage même que son Dichterliebe ("Amour(s) du poète", sur des textes de l'Intermezzo de Heine), adaptable à toutes les voix (sauf les basses), valorisant pour le pianiste, sur textes célèbres et de longueur moins exigeante, est sans doute le cycle le plus fréquemment exécuté au concert.

Pourtant, si l'époque et le style musical peuvent paraître, de loin, semblables à Schubert (car de loin, rien ne ressemble à un lied qu'un poème joué avec chanteur/piano - un lied), l'attitude de Schumann face à la mise en musique de ces textes est profondément différente.

A partir de Schumann (du dernier Schubert, en réalité), les formes strophiques ne sont plus utilisées - Fanny et Félix Mendelssohn seront les derniers à en faire un usage régulier.

A noter, pour Schumann, on compte avec les numéros d'opus, ce qui ne facilite pas toujours les choses, surtout lorsqu'il s'agit de groupes hétéroclites. Ils existent chez Schubert (et figurent seuls en tête des éditions Peters), mais ne sont que peu employés depuis l'élaboration du catalogue Deutsch.


1. Principes de la mise en musique chez Schumann

On parle souvent de l'émancipation du piano chez Schumann. Ce n'est pas faux, mais c'est inexact puisque, on l'a vu, il joue déjà chez Schubert un rôle déterminant : phénomènes d'introduction ou d'écho, suggestion du décor... Néanmoins, Schumann donne une plus grande autonomie à l'accompagnateur, à qui il confie une partie largement indépendante, plus virtuose, un peu sous forme d'un prélude pour piano seul. A la fin du Dichterliebe ou de Frauenliebe und Leben ("L'amour et la vie d'une femme", sur des textes de Chamisso), le piano procède à la "remontée" de thèmes antérieurs, et conclut seul, dans une coda autonome d'une minute environ.

L'écriture vocale, réclamant souvent une étendue moindre, est généralement assez sobre et lyrique, loin des ruptures schubertiennes. Schumann, très clairement, s'inscrit dans une visée de continuité du discours musical.

Le traitement du texte musical est également différent. On pourrait parler d'une certaine abstraction. Schumann traite le texte poétique dans sa globalité. Il n'est pas question d'individualiser les strophes (sauf besoin évident), de ménager des contrastes expressifs fulgurants : chez Schumann, le texte est une entité autonome, un monde à part, avec ses procédés et ses couleurs propres. Procédés qui la plupart du temps se maintiennent jusqu'à la fin de la pièce.
Schumann apparaît moins sensible au mot poétique qu'à son sens. Là où Schubert explorait le moindre recoin expressif du texte, jusqu'au décousu (dans sa jeunesse), Schumann s'empare d'un esprit d'ensemble, sur lequel il pose sa musique - le texte s'y fondra ensuite, sans réelle modulation expressive interne. Bien sûr, il y a de nombreuses formes ABA, mais guère plus.

Le piano joue donc sa partie, et le texte se déroule indépendamment, d'une traite, dans l'esprit choisi.

A cela, j'ajoute une capacité de nuanciation très subtile (qui ne s'entend pas toujours à l'oreille ingénue), refusant souvent la ressource du contraste et de splendides couleurs harmoniques, parfois assez osées, sans avoir l'air d'y toucher.

Une des caractéristiques du catalogue de lied de Schumann est que la plupart des lieder sont regroupés en grappes par opus, un peu comme les Nocturnes de Chopin. Et la qualité y est extraordinairement égale : plus l'on monte dans les numéros d'opus, plus la complexité harmonique s'intensifie, mais contrairement à Schubert par exemple, il n'y a vraiment aucun déchet (aussi parce qu'il y a peu de publications de prime jeunesse), et quelques sommets de même force.

Schumann a aussi très souvent utilisé le lied au sein de mini-cycles (souvent narratifs) sur des textes d'un même auteur, qu'ils soient de type liederspiel ou non. Je vais y revenir dans les prochains épisodes.

En attendant que je complète, je me permets d'attirer votre attention sur quelques ensembles :

=> Déjà, pour ceux qui ne l'ont pas encore fait, le Liederkreis Op.24, pour sa fraîcheur et sa grande inspiration mélodique. Il en existe beaucoup d'enregistrements, même si ce n'est jamais donné en concert.

=> Le raffinement extrême des Mignon Op.98a, bien sûr, pour ceux qui n'auraient pas essayé (c'est ce qui précède le Requiem pour Mignon, en fait).

=> Les trois liederspiele (Op.74, Op.101, Op.138), qui comportent des ensembles vocaux extraordinaires.

=> Les Jagdlieder Op.137 pour choeur d'hommes et quatuor de cors. Ce n'est pas pompier du tout, c'est plutôt méditatif, et très beau.

=> Les Quatre Duos Op.34, des duos d'amour avec amant qui tape à la porte, assez savoureux.


Et pour les débutants en chant ou piano, les lieder célèbres ET faciles du corpus schumannien :

Spoiler:

(pardon si ça empiète sur la discographie, mais le coffret Fischer-Dieskau / Eschenbach chez DG est-il une bonne affaire pour qui voudrait découvrir les Lieder de Schumman [il doit y avoir un livret traduit en plus] ?)

DFD n'y est pas au sommet de sa forme, il me semble. Je laisse la parole à David.

Les opus 37, 42 et 48, pour moi (mais je n'ai pas tout écouté)

Si tu as voulu, en même temps, faire un recensement des Lieder (à une ou deux voix), il manque plusieurs séries, dont l'op 27, les 4 Gesanges op 142, les deux ballades Belsatzar op 57, et Der Handschuh op 87, ainsi que les 11 Lieder repris dans le WoO 21.

Guillaume a écrit:

(pardon si ça empiète sur la discographie, mais le coffret Fischer-Dieskau / Eschenbach chez DG est-il une bonne affaire pour qui voudrait découvrir les Lieder de Schumman [il doit y avoir un livret traduit en plus] ?)

Zeno a écrit:

DFD n'y est pas au sommet de sa forme, il me semble. Je laisse la parole à David.

Je vous réponds en disco, il y a un fil sur le sujet.

joachim a écrit:

Les opus 37, 42 et 48, pour moi (mais je n'ai pas tout écouté)

On n'a rien en commun en tout cas (j'aime beaucoup ces ensembles, mais parmi les célèbres, ce sont ceux que j'aime le moins, justement...).

Citation :

Si tu as voulu, en même temps, faire un recensement des Lieder

Pas du tout, Schumann, comme je le disais, à quasiment tout composé par groupes, et il y en a beaucoup que je n'ai pas cités. La liste complète doit faire, peu ou prou, trois fois ce que j'ai cité. Je me suis limité aux plus célèbres et aux plus originaux.

Citation :

les deux ballades Belsatzar op 57,

A moins d'une nouveauté musicologique capitale, il n'y en a jamais eu qu'une.

Frauenliebe-und-Leben et Dichterliebe, que j'aime beaucoup, sont tellement connus qu'ils sont presque hors concours et forcément gagnants au sondage. Regardons les résultats des autres.

Je vénère l'ensemble des lieder de Schumann que j'ai entendus (je ne les connais pas tous mais un grand nombre quand même). Et j'ai une tendresse particulière pour les Kerner, les deux Liederkreis et les Stuart.

Hippolyte a écrit:

Frauenliebe-und-Leben et Dichterliebe, que j'aime beaucoup, sont tellement connus qu'ils sont presque hors concours et forcément gagnants au sondage. Regardons les résultats des autres.

Les Liederkreis Op.39 aussi sont très connus et relativement souvent donnés. Quant aux Stuart-Lieder, ils sont très enregistrés. Mais ce ne sont pas forcément les plus célèbres qui m'ont le plus touché, à part bien sûr les deux Liederkreis qui sont réellement fantastiques.

Ce sont plutôt dans les drames miniatures comme Tragödie, Mignon ou les trois Liederspiel que je trouve la plus grande hauteur d'inspiration chez lui.

C'est pas pour autant que le reste est mauvais.


S'il fallait relever quelques déchets, qui sont en effet peu nombreux, je citerais quelques morceaux pour voix grave, comme les chants du harpiste ou certaines ballades (le Contrebandier, le Chasseur de trésor qui est un véritable massacre du poème d'Eichendorff). Mais ça reste l'exception, au pire, c'est un peu plus anodin, mais pas vraiment de pièces faibles.

Kilban a écrit:

Je fais du piano depuis 6 mois et un copain a commencé le chant il y a un peu plus d'un an (avec déjà des bases venant d'une pratique rock pour ne pas dire métal ). Nous voulons jouer ensemble et j'ai réussi à retrouver ce classement très utile que tu avais fais en page 1 de ce topic pour le Winterreise. Cependant, penses-tu que nous devrions nous mettre à Schumann, plutôt? As-tu fais cette liste, finalement? Merci d'avance.

Chouette projet !

Non, je n'avais pas fait cette liste, mais je l'ai faite pour toi.

Voici :

(Je l'ai reproduite dans le deuxième message du fil, sous spoiler, ce sera plus facile à retrouver si tu veux t'y reporter plus tard.)


Liederkreis Op.24 - Heine
1. Morgens steh' ich auf und frage (piano facile, chant facile)
3. Ich wandelte unter den Bäumen (piano facile, chant avec ambitus important, faisable en version baissée)
4. Lieb' Liebchen (très facile dès qu'on a réussi à mettre en place les syncopes pas si évidentes)
8. Anfangs wollt ich fast verzagen (piano facile, chant facile)

Liederkreis Op.39 - Eichendorff
n°1 In der Fremde (piano très facile, chant facile)
n°2 Intermezzo (piano facile, chant très facile ; seule difficulté, des syncopes permanentes)
n°3 Waldesgespräch (piano accessible, chant accessible si on utilise la version alternative des aigus à la fin)
n°4 Die Stille (piano très facile, chant facile)
n°5 Mondnacht (piano facile, chant réclamant une bonne longueur de souffle, mais faisable en version baissée)
n°7 Auf einer Burg (piano extrêmement facile, chant extrêmement facile)
n°8 Wehmut (piano accessible, chant plutôt facile)
n°10 Zwielicht (piano facile, chant facile)
n°11 Im Walde (piano facile, chant très facile)

Frauenliebe und Leben Op.42 - Adelbert von Chamisso
1. Seit ich ihn gesehen (piano très facile, chant facile avec quelques aigus aisés à envoyer en récitatif)
3. Ich kann's nicht fassen, nicht glauben (piano facile, chant facile)
4. Du Ring an meinem Finger (piano assez facile, chant assez facile mais pas facile à timbrer)
6. Süßer Freund, du blickest (piano facile, chant accessible - voyelles difficiles)
8. Nun hast du mir den ersten Schmerz getan (piano très facile, chant très facile)

Dichterliebe Op.48 - Heinrich Heine
2. Aus meinen Tränen spriessen (piano très facile, chant très facile)
4. Wenn ich in deine Augen seh' (piano très facile, chant très facile)
6. Im Rhein, im schönen Strome (piano facile, chant facile mais peu commode à timbrer)
7. Ich grolle nicht, und wenn das Herz auch bricht (piano très facile, chant accessible si on choisit la version alternative sans aigus)
10. Hör' ich das Liedchen klingen (piano facile, chant facile ave un peu de longueur de souffle)
13. Ich hab' im Traum geweinet (piano très facile, chant très facile)
14. Allnächtlich im Traume seh' ich dich (piano facile, chant facile)

Autres Lieder
- Harfenspieler I,II,III (piano facile, chant assez facile)
- Blondels Lied - Seidl (piano facile, chant facile)
- Die beiden Grenadiere - Heine (piano facile, chant très facile)
- Die Löwenbraut - Chamisso (piano facile, chant un peu tendu)
- Die Soldatenbraut - Möricke (piano facile, chant facile)
- Meine Rose - Lenau (piano accessible, chant accessible mais réclame beaucoup de délicatesse)
- Tragödie II - Heine (piano très facile, chant très facile)

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Je te conseille bien sûr d'utiliser des versions baissées (par rapport aux originaux pour ténor, à moins qu'il ne soit un ténor vraiment aisé). Il existe des recueils généreux à prix abordable chez Peters, ou sinon CDSheetMusic, collection incroyable si tu es disposé à imprimer toi-même.

Considérez aussi les traductions françaises, ça peut aider le chanteur au début (mais elles ne sont pas forcément bonnes, l'idéal est de les faire soi-même ).

Waouh, merci beaucoup, ça nous aide bien!

Bon bah je vais soumettre tout ceci à mon pote, et puis on viendra faire un retour ici-même. Dans quelques temps...