Opéra de Zurich : saison 2010-2011

Lors d'un séjour à Zurich, j'ai pu voir une reprise de La Juive, dans la production de David Pountney. C'est toujours un plaisir pour moi de revoir cette œuvre que je trouve décidément puissante et prenante. C'était rigolo de voir ça pas loin de Constance, où se déroule l'histoire.

Il m'a semblé qu'il y avait un peu moins de coupures qu'à Paris : je n'ai repéré que les choeurs n° 5 (les buveurs), n° 16 et la phrase finale, plus, évidemment, la cabalette d'Eléazar, et puis quelques phrases par ci par là.

Le spectacle est d'une cohérence appréciable, avec une utilisation habile du plateau tournant. La transposition pendant l'Affaire Dreyfus n'est pas bête, accentuant la soumission du Cardinal aux forces militaristes et nationalistes. Leopold est au 3e acte identifié à Dreyfus, Eleazar et Rachel apparaissant alors comme des incarnations de l'hésitation des juifs de l'époque entre assimilation et repli traditionaliste. A la fin, l'utilisation des caricatures antisémites de l'époque est saisissante.

L'exécution est plutôt satisfaisante, sans traits de génie toutefois. Malin Hartelius est la plus accomplie de tous, en Eudoxie. Osborne (Leopold) est presque aussi bien qu'à Paris, juste un peu froid dans sa sérénade d'entrée. En Rachel, Karine Babajanyan, que je ne connaissais pas, est tout à fait intéressante : un beau timbre (mais plutôt une mezzo il me semble, l'aigu n'est pas très agréable et guère prononcé), des phrasés soignés, un jeu un peu vieillot mais de la présence. Alfred Muff, en Brogni, est sympathique et prononce assez bien avec un accent à la Benoît XVI, mais ce n'est pas franchement la musique qui convient à sa voix rêche et fatiguée. Et puis Shicoff, comme on sait, c'est une performance spéciale, qui reste toujours impressionnante, même si ça n'a plus grand chose à voir avec le rôle en soi. Je ne lui pardonne quand même pas d'avoir salopé deux de ses plus belles phrases : "O dieu de nos pères" (début de la prière de Pâques) et celle sur les Macchabées (dans le duo avec Brogni au IV). Avec sa raideur invraisemblable de phrasé, il réussit aussi à mettre dedans le chef, Carlo Rizzi, qui est pourtant un vieux routier et qui mène bien son affaire. J'ai été un peu déçu, enfin, par l'orchestre de l'Opéra, qu'on entend mieux dans les DVD de Welser-Möst : les cors étaient plus souvent faux que justes, heureusement que les cors anglais se sont appliqués.

Une bonne soirée, et la salle est fort belle (les couloirs tout moches par contre) et très confortable sur tous les plans.

Le français de Hartelius est comment ? Je ne crois pas l'avoir entendue dans cette langue, et j'aime énormément ce qu'elle fait d'habitude (elle semble se diriger progressivement vers des rôles un peu plus larges et plus à sa mesure d'interprète ).

Pour le reste (à part Osborn), rien qu'à lire les noms, on frémit... Rizzi, Muff, Shicoff... Sois loué pour ton courage en plus de ton compte-rendu.

Le français de mme Hartelius m'a semblé très bon, sans fautes, avec très peu d'accent. Mais il faut dire que je connais quasiment l'opéra par cœur, alors je devine les paroles autant que je les entends. Elle joue bien aussi, ça aide.

Pour la distribution, bah, c'était pas vraiment pire qu'à Paris, au moins le spectacle était intéressant et rattrapait les laideurs que l'on inflige depuis longtemps à cet opéra maudit.

Je n'ai jamais dit que c'était satisfaisant à Paris.

Le problème est tout simplement qu'on nous inflige Shicoff à chaque fois, qui a certes pour immense mérite d'imposer cet opéra partout, mais qui le dessert dans le même temps. Il n'y a en plus aucun paramètre concret qui empêche de distribuer Eléazar à un format plus banal, à un ténor de format tout à fait moyen : l'orchestre est peu présent en même temps que lui, le centre de gravité est assez haut, et l'expression n'exclut pas du tout une forme de délicatesse. Je ne dis pas qu'il faille chanter "Dieu m'éclaire" en fausset, mais un simple lyrique, à la rigueur un peu aigu, conviendrait tout à fait, du type de ceux qu'on distribue en Léopold...

Oui, c'est bien ce que je me suis dit au cours de la soirée, c'est un rôle faisable. De toute façon ce que fait Shicoff, ça n'est plus la Juive, c'est une sorte de numéro d'acteur abstrait de tout contexte, comme Brando ou Alice Sapritch (entre les deux ?). Alagna pourrait bien faire les choses évidemment, même si moi aussi je verrais mieux quelqu'un de plus intériorisé.

Pour Alagna, je ne suis pas sûr qu'il pourrait si aisément, parce qu'il a tendance à grossir toujours pour faire le grand ténor, j'ai été assez édifié en réécoutant tout récemment son aubade de Mylio : les notes franches sont superbes et aisées, et puis il grossit régulièrement pour produire des effets qui se veulent larges. Donc s'il s'alourdit, Eléazar, ce peut être méchant.

Je ne dis pas qu'il y faudrait Yann Beuron, mais pas besoin d'un ultradramatique non plus. Casanova ou Leech, ce serait parfait, et on pourrait même aller chercher moins gros.

Kunde, par exemple ?

Casanova, c'est qui ? (à part un séducteur vénitien d'il y a quelques siècles)

Guillaume a écrit:

Kunde, par exemple ?

Il pourrait, c'est plus facile qu'Enée, même avec un orchestre léger.

Néanmoins, ce serait à la limite. Non, je verrais bien un Edgar musclé, Marc Laho par exemple, ce serait parfait

Citation :

Casanova, c'est qui ? (à part un séducteur vénitien d'il y a quelques siècles)

Francisco Casanova, un excellent chanteur lyrique grand format (il a fait le plus bel Henri des Vêpres, dans un style un peu leechien, à la fois héroïque et élégant).