- aurele a écrit:
- Le DVD de la production de Bondy avec Mireille Delunsch en gouvernante, le même orchestre et le même chef est à voir me semble-t-il.
Réédition de la version de Colin Davis en disque à venir : http://www.amazon.de/The-Turn-Screw-Donath/dp/B008255TGU/ref=sr_1_3?s=music&ie=UTF8&qid=1339585064&sr=1-3
Cela existe également en film mais cela n'a jamais été publié en DVD.
Connaissez vous cet enregistrement?
Que pensez vous pour ceux qui les connaissent des versions de Britten et de Bedford?
Y a-t-il, dans la discographie de Britten, d'autres oeuvres autant enregistrées et pour lesquelles les versions "modernes" (si tant est que l'adjectif veuille dire quelque chose pour des oeuvres récentes) s'imposent à égalité avec celles laissées par le compositeur lui-même ?
Je ne reviens pas sur
Britten lui-même ; forcément, il a dans la baguette tout ce qui "fait"
Le Tour d'écrou (la machinerie diabolique des enchaînements, la virtuosité à l'orchestre et la manière sans concession d'exposer les voix, cf. Pears qui s'élève à des hauteurs allégoriques).
Je préfère, de loin, la version dvd pour la
production de Bondy. Simplement parce que Delunsch me paraît bien supérieure à Joan Rodgers (elle, plus proche de Deborah Kerr dans
Les Innocents mais sans la beauté froide, inquiète et inquiétante ; pour le coup, elle aurait méritée d'être captée en vidéo, cf. Genève avec Tate, plus bas). Chez Delunsch, le personnage est architecturé, en quelque sorte, par sa névrose ; détourré par ses peurs ; à la fois réservée et curieuse ; extrêmement mobile ; distanciée aussi (la qualité du timbre même enlève au personnage de sa compassion et crée une sorte de barrière autour d'elle dans un rapport mouvant au fantasme et à la réalité). Difficile à expliquer dès lors qu'on est privé de l'impact de la vision en salle qui était tétanisante. Aujourd'hui, j'aimerais voir/entendre Delunsch dans le rôle de Miss Jessel.
Colin Davis est exceptionnel ; et dans le même temps absolument à l'opposé de Harding ou de Britten (c'est aussi le cas pour son génial
Peter Grimes avec Vickers). Son orchestre melliflue est capiteux ; tordu comme une liane ; graphique, intensément coloré. Chez lui, l'horreur naît de l'étreinte de cette substance orchestrale dense, densifiée, étouffante/ominprésente. Et les chanteurs sont excellents ; notamment Donath, assez inattendue dans ce rôle mais parfaitement adaptée à cette vision puissante, j'ai envie de dire symphonique, dans laquelle (
a contrario de Delunsch) elle déboulle avec fraîcheur, lumineuse avant de sombrer dans l'horreur (le monologue de Mrs Grose qui est un basculement ici). A cette sauce, l'apparition de Miss Jessel, aussi onirique que vipérine est un sommet ! Le film, en lui-même, est une expérience ; beaucoup ont glosé sur l'exposition charnue/charnelle du thème de la pédophilie. Sur le luxe kitsch, aussi, d'une image qui tire du côté des séries B de la Hammer, etc. Sur la bande son de Harding (même de Britten), le hiatus aurait été complet ; ici, l'unité esthétique partagée avec Davis redouble au contraire l'irruption de l'horreur au milieu du
tea time. Très efficace, dès lors qu'on veut bien dépasser la post-synchro des voix et le doublage des chanteurs par des acteurs.
Je n'ai pas entendu la récente version de Glyndebourne avec Tilling ; j'en ai lu beaucoup de bien (et Tilling pourrait assez m'intéresser, ici, si elle sait reproduire la narration incroyable de galbe et, dans le même temps, d'objectivité qu'elle avait à "Prinsessen" de Grieg en récital à Aix ; presque annonée, je n'en suis pas encore vraiment revenu).
Bedford est peut-être ma version de chevet (à concurrence de Davis, en fait). D'abord parce que le chef sait resserrer les vis/vices d'un chambrisme coloriste où passent toutes les émotions voulues par le compositeur et le librettiste (l'ascèse "didascalique" du prologue, l'enflure du monologue de Mrs Grose, les scintillements des scènes nocturnes, etc. ; beaucoup de parentés, je trouve, avec ses versions écorchées de
Phaedra et de la
Sinfonia da Requiem). Ensuite parce que son plateau impose au moins deux figures majeures : la Gouvernante de Lott (un personnage suivant des linéaments parallèles, opposés, voire concurrents ; entre compassion, présence féminine maternante et, dans le même temps, rejet, absence presque) et le Quint de Langridge (pas loin de faire de l'ombre à Pears ; investissement intime du rôle, du mot, l'instrument en plus). Nadine Secunde en Miss Jessel vaut son pesant de sucettes (présence sulfureuse, large voix d'opéra jetée au milieu de l'épure ; de là le personnage prend à la gorge).
En 2003, le Grand Théâtre de Genève avait proposé une version incroyablement mise en sons (c'est vraiment l'impression que j'ai eue) par
Jeffrey Tate. Sur le plateau Joan Rodgers, beaucoup plus efficace qu'au disque, dans mon souvenir, Kobie Van Rensburg, étonnant Quint avec des grâces de marquis et toute une gestuelle envoûtante (je ne crois pas qu'on puisse vraiment aller plus loin dans le registre de la séduction prise au pied de la lettre), Emma Bell en Miss Jessel et Della Jones impressionnante en Mrs Grose (figure tutélaire, un peu popote et très énergique en même temps ; à la fois présente et discrète ; toujours là et sachant tout, son monologue reste, pour moi, un moment de théâtre en musique extrêmement puissant). Une diffusion avait eu lieu. Il mériterait d'être récupéré comme l'
Elektra du même Tate (au même endroit et avec Jones, Mrs Grose jamais captée d'ailleurs, je crois).