Tristes apprêts ? Pâles flambeaux ? Certes pas pour ces derniers !
Mais petite
Biennale assurément ; au moins quant à la fréquentation :
Marchand de Venise très clairsemé ;
Cantates délaissées (nous étions... 5, moi compris, sur mon balcon ; parterre à peine comblé par les replacements/reclassements).
Pouvait/devait-on s'y attendre ?
Est-ce à dire, après le succès de l'édition 2012 (celle du
Mage) qu'il faut repenser le format de l'événement, sa programmation (mais Hahn, c'est déjà une ouverture ; fût-il ici au titre du préceptorat de Massenet) ? Sans doute le rythme des concerts y est pour beaucoup ; dilué pour occuper l'équipement (sans compter les dates en semaine ; il fallait que je veuille entendre les cantates et que j'aie un point de chute pour faire le déplacement un jeudi ; quant à faire un 3e séjour & aller/retour en 2 semaines pour aller entendre le prometteur programme de mélodies de Massenet/Hahn, j'ai renoncé !).
Malheureusement ces problèmes-ci masquent la qualité, la vraie belle qualité de la mise en oeuvre ; et forcément, on peut/doit le regretter.
Le Marchand de Venise, Reynaldo Hahn, http://www.operatheatredesaintetienne.fr/otse/saison-14-15/spectacles//type-lyrique/le-marchand-de-venise/s-334/
Opéra d'abord.
Et pas des moindres : sujet, d'abord (un "rare" Shakespeare vénitien en tapinois derrière
Otello et qui titille le
Volpone de Jonson) ; "énormité", ensuite, avec 3 heures de musique restant après "écrémage" de trois bons quarts-d'heure, nous dit-on.
Hahn qui se frotte à la grande forme pour l'Opéra, en 1935 (année de la
Schweigsame Frau de Strauss/Zweig ; Jonson, encore) ; oeuvre mûrie depuis le début du siècle (depuis des représentations mozartiennes à Salzburg, apparemment ; Hahn assumant ici, comme Strauss en passant, la dette envers le Salzbourgeois). Grande forme mais variété des affects, des climats. Quelque chose de sombre dans lequel poudroient des paillons de lumière ; une veine acide, bilieuse ("Je le hais" de Shylock, qui est d'une puissance rare, d'une violence qu'on imagine mal sous la plume parfumée du compositeur) dans laquelle se déverse une eau fraîche. On hésite à se prononcer.
De vraies trouvailles formelles (quatuor de voix graves au I) ; une veine mélodique exploitée en expert des voix ; un soin extrême porté à l'orchestration (le saxophone, la superbe musique nocturne après le procès qui anticipe celle du
Capriccio de Strauss... décidément), etc. Un ton mi-sérieux, mi-doux-amer, de vraies brèches de légèreté ; mais tout a plus ou moins l'air de babiller (sauf rares exceptions, cf. l'air Bassanio et celui de Shylock au I ; la belle scène de Portia au III). Problème n° 1, justement.
Problème n° 2 : le scénario lui-même. En 1935, l'oeuvre, avec son sujet qui peut être lu dans un sens comme dans l'autre (antisémité ou profondément humaniste) a pu paraître ambiguë ; l'est-elle moins aujourd'hui à l'heure des conflits de culture(s), de confessions, etc. ? Rien n'est moins sûr et la porter à la scène (au-delà des questions de forme purement musicale, qui ne comptent pas pour peu) constitue autant un défi qu'un pari (presque un pacte) avec le public.
En fait-on dire trop à l'oeuvre ; la charge-t-on de trop de sens ? Le metteur en scène dit vouloir proposer sans asséner ; voir. Au-delà d'une scénographie extrêmement légère en terme de moyens mais, cependant, facilement brouillonne (les cloisons mobiles qui se déplacent incessamment) et bruyante (les talons de ces dames, pitié ; les amoureux qui courent, courent et courent encore), inscrire l'oeuvre sous l'enseigne assez étouffante de tous les totalitarismes (Portia dans un environnement nazi, les princes étrangers qui défilent sous les effigies/grimages de Khadafi, Bokassa, etc.), utiliser des images du mur de Gaza, du conflit israëlo-palestinien et de la marche du 11 janvier, c'est peut-être pire qu'asséner, c'est suggérer ce à quoi on n'aurait pas pensé soi-même. Alors, Shylock en vieillard ridicule, contrefait, suant, éructant, comptant ses avoirs au centre de la projection d'une étoile de David ; le public a un petit rire (gêné, sans doute) et ça en dit long sur la réception du propos.
Et ça n'aide pas l'oeuvre dont l'accès m'a paru rien moins qu'aisé.
Malgré un bel orchestre (l'intonation du premier violon mise à part), très bien mené.
Malgré de très beaux choeurs, en coulisse et sur scène.
Malgré de bons chanteurs, individuellement et collectivement (peut-être une Portia qui blanchit un peu dans l'effort ; peut-être un Bassanio un peu trop baryton-Martin pour son air qui est, j'allais : "de toute façon", flétri
in petto par la vieille cire de Singher, le créateur ; peut-être un Shylock un peu "raccourci" quand on a, là aussi, Pernet ou les extraits par Fondary sur YT). N'empêche : équipe formidable de présence(s) et formidablement soudée ; idéalement prononcée au point qu'on peut suivre mot à mot sans sous-titre (
Gonçalvès exemplaire, de ce point de vue) ; juteuse de ton et de timbre (
Druet).
Bref, tout ce qu'on pouvait mettre sur la table comme cartes pour suivre le banco.
Cantates profanes, Massenet, http://www.operatheatredesaintetienne.fr/otse/saison-14-15/spectacles//type-Symphonique/cantates-profanes/s-317/
Massenet à l'opéra, on connaît ; Massenet à l'orchestre, aussi (et souvent par la ténacité de personnalités "transversales, cf. Bonynge). Massenet dans ses cantates, c'est une autre affaire. D'abord parce que certaines sont perdues (celle de son Prix de Rome, en tout cas pour le moment ; ce qu'on doit regretter) ou incomplètes (
Louise de Mézières, justement, complétée pour son final par G. Condé) ; ensuite parce qu'on ne s'y est intéressé que par/pour le truchement de personnes/personnalités (Crespin, Caballe pour
la Vierge, plus près de nous) sans les inscrire durablement au répertoire.
Il y a pourtant beaucoup à tirer de ces oeuvres concises dans lesquelles le compositeur n'abdique jamais ni sa sève généreusement épandue, ni sa science de l'orchestre (les oeuvres fussent-elles orchestrées dans un second temps comme ce fut le cas de
Biblis). Voir, ici, pour une vision plus large (et plus profonde) du corpus : http://www.forumopera.com/actu/massenet-profane-massenet-sacre .
Assurément, le matériel varie de la (bonne) production de (bon) élève tellement nourri de références (Gounod, Halévy, Meyerbeer) qu'on a du mal à y discerner quelque personnalité (
Louise de Mézières que je laisse personnellement de côté ; à ceci prêt que le-futur-Massenet est déjà dans les parages, cf. le futur menuet de
Manon), à la superbe musique d'un maître reconnu (
Biblis). La chronologie parle d'elle-même : on va ici de 1862 à 1887, et dans le sens d'un accroissement des moyens adossé à un resserrement du "temps"/tempo musical (le compositeur gagne, nécessairement, en métier théâtral).
Un rôle se taille la part du lion dans chaque partition : c'est Louise, c'est Narcisse (très belle partie de ténor), c'est Biblis. Je laisse les deux premiers de côté (malgré
Manfrino, malgré
Berry ; les deux supérieurement phrasés/prononcés, absolument exemplaires et exemplairement engagés/engageants au service des deux oeuvres) et je m'attache à
Biblis seule qui a été une révélation pour moi.
La partition s'intercale entre
Le Cid et
Esclarmonde ; et c'est la plus originale du bouquet présenté. Si des récitatifs, airs, ensembles sont parfaitement identifiables, ils sont aussi subtilement fondus, sans rupture. Chapeau au chef de tenir, comme le faisait Campellone pour la scène sur la montagne du
Mage, que j'imagine très bien détachée du "grand oeuvre" et gagner une autonomie comme ici, la tension pendant 20 minutes qui culminent sur un final (harpes, célesta, flûtes) qui démarque très intelligemment celui de
Walküre sans tomber dans la pastiche. Gloire au plateau, également :
Christophe Berry, encore, lumineux (et quelle articulation solaire, presque crue à force de rayonnement) ; Aimery Lefèvre, belle voix sombre (peut-être un peu en-dessous de ses partenaires, un peu fébrile aussi et c'est sensible dans
Louise de Mézières quand il s'agit d'affronter le resasc de Manfrino/Berry, de jouer au pompier parmi les pompiers dans l'incendie du final) ;
Marie Kalinine, sculpturale dans son long "chiton" noir, aussi sculpturale de voix, modelée en pleine pâte dans un matériau dense, vibrato fruité (peut-être une toute petite réserve sur l'élocution, un peu brumeuse ; n'empêche, quel galbe, quelle ligne, ce sens qui dit parfois plus que les mots seuls). Pour elle, assurément, le temps des grands emplois dramatiques (berlioziens en plus de ceux qu'on lui connaît chez Massenet ?), le temps des grandes figures est venu ! Cassandre d'abord ; Didon un jour ? Et chez Massenet, celui des héroïnes forgées pour le fier/sulfureux tempérament de Lucy Arbell ?
Voilà pour "ma"
Biennale ; certainement pas une déception (la qualité est bien, toujours, au rendez-vous), malgré les questionnements que la forme suscite/doit susciter à mon avis. Dans les deux cas, le Palazetto Bru Zane était en embuscade ; dans les deux cas, des micros allant à mon avis au-delà de la simple captation pour les archives
in loco étaient sur scène ou dans la fosse. Un enregistrement à espérer (un volume "romain" pour Massenet comme pour Debussy, Saint-Saëns, etc. ?)
.