Que pensez-vous du 2ème concerto pour piano et orchestre de Tchaïkovski et quelles interprétations aimez-vous ?
Tchaïkovski a écrit 3 concertos pour piano et orchestre (même 4 si on ajoute la fantaisie de concert op.56). Mais si le 1er concerto est très vite devenu un best-seller, joué par la plupart des grands pianistes, le 2ème concerto est toujours resté dans l'ombre de son glorieux ainé. Tchaïkovski était très déçu par cet état de fait car il le considérait comme une de ces meilleures œuvres et a même écrit dans une lettre à Siloti qu'il l'aimait beaucoup plus que le premier (Voir à ce propos l'excellent site en anglais dédié à Tchaïkovski http://en.tchaikovsky-research.net/pages/Piano_Concerto_No._2).
Alors pourquoi ce second concerto est-il mal aimé et si peu joué ? est-ce le fait qu'il soit si différent du premier ? Brahms, par exemple, a composé 2 concertos pour piano fort différents mais tous deux sont considérés comme des chefs- d'œuvre et autant joués l'un que l'autre.
Alors qu'en est-il exactement ? œuvre mésestimée ou secondaire ?
D'abord on ne peut que constater que le nombre d'enregistrements du premier concerto dépasse largement celui du second, et que beaucoup des grands pianistes qui se sont illustrés dans le premier (Horowitz, Rubinstein, Arrau, Richter, Van Cliburn, Argerich, Ashkenazy,...) n'ont jamais joué le second.
Certes il n'y a pas le côté épique du premier concerto, avec ses épisodes dramatiques qui lui donnent un caractère presque narratif. Pourtant il y a de très bonnes choses dans ce concerto, qui possède un lyrisme fervent et passionné, des thèmes remarquables, mais aussi un excès de cadences voire une surabondance de traits virtuoses qui peuvent lasser.
Si on commence par le dernier mouvement, qui est un Allegro con fuoco comme celui du 1er concerto et d'une durée à peu près équivalente, on retrouve le côté danse russe mais il y a un caractère noble dans les thèmes du premier concerto qui fait place ici à un côté plus populaire, plus danse villageoise. C'est très entraînant et d'une écoute agréable mais d'une construction moins originale que pour le premier concerto.
Le deuxième mouvement Andante non troppo, une sorte de triple concerto, est certainement le plus réussi. La mélodie est superbe et le discours vraiment poignant par sa simplicité et son émotion. Il n'a rien a envier à l'Andantino simplice du premier concerto. Il est aussi beaucoup plus long (environ 16 minutes). A noter que c'est ce mouvement qui a été le plus défiguré par Siloti dans son édition posthume du concerto (larges coupures et redistribution des thèmes au piano).
Le premier mouvement est un Allegro brillante e molto vivace, d'une durée équivalente au premier mouvement du concerto n°1 (autour de 20 minutes). C'est sans aucun doute ce mouvement qui est le plus désorientant quand on le compare avec le concerto n°1. Il débute sans introduction par une sorte de marche triomphante et d'emblée la suprématie du piano est actée. Le piano n'a pas à lutter pour s'imposer, chaque fois qu'il se lance dans des épisodes d'accords alternés crescendo on s'attend comme pour le concerto n°1 à une confrontation violente avec l'orchestre, mais il n'en est rien, la tension retombe très vite avec le piano qui s'apaise en reprenant le thème lyrique du début. Le caractère brillant indiqué par Tchaïkovski est concrétisé par une écriture pianistique très virtuose avec une avalanche d'accords et d'octaves en tous genres à grand renfort de fortissimos quand ce n'est pas des fortississimos . Autant les trais virtuoses du concerto n°1 étaient parfaitement intégrés au discours musical, autant pour le concerto n°2 on a parfois l'impression de remplissage ou d'une profusion uniquement pour que le pianiste puisse briller sans véritable objet musical.
La première cadence est intéressante car il y a une similitude avec celle de l'introduction du premier concerto. Dans le n°1 le thème était répété avec des arpèges ascendants, dans le n°2 le thème est répété avec des gammes descendantes. Le résultat est cependant beaucoup plus musical dans le cas du n°1. Cela fait beaucoup plus exercice par la répétition dans le n°2.
La deuxième cadence, très développée, commence magnifiquement avec une mélodie chantante et passionnée qui fait penser à Chopin, puis fait place à un martèlement d'accords rageurs suivi d'un apaisement qui précède un passage comme une toccata à la fois légère et très vive pour s'achever à nouveau par un déluge de traits et de trémolos fortississimo qui conduisent à la reprise du thème triomphant par l'orchestre.
Malgré tout, ce mouvement est assez fascinant. Il y a une opulence dans la virtuosité, une exubérance très russe qui une fois acceptées font de ce concerto au lyrisme éperdu, un parfait exemple du grand concerto romantique virtuose. Après tout on apprécie pas avec les mêmes critères la luxuriance de la cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-Sang-Versé de Saint-Pétersbourg et la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Pour moi, en conclusion, le premier concerto reste le meilleur, mais le deuxième malgré ses excès a plein de qualités et mérite d'être plus connu qu'il n'est jusqu'à présent.
Tout le problème est de trouver les interprètes suffisamment inspirés pour ne pas sombrer dans une démonstration assommante de virtuosité musclée.
Parmi les interprétations marquantes de ce concerto, essentiellement joué par les Russes, j'apprécie beaucoup la version très musicale de Tatiana Nikolayeva avec l'orchestre symphonique d'état de l'URSS dirigé par Anosov.
Emil Gilels (avec Maazel ou Svetlanov), en a donné des versions magistrales, malheureusement dans la version tronquée de Siloti.
Shura Cherkassky, lui aussi dans l'édition Siloti, avec le Philharmonique de Berlin dirigé par Kraus, évite le piège de la virtuosité tapageuse dans le premier mouvement et joue le troisième mouvement avec un entrain irrésistible.
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