[PP] Elgar – The Dream of Gerontius – OP, Harding

Une autre soirée à écouter ma musique de vieux habituelle, cette fois mettant en sons l'histoire de Géronte.


Jouer du Elgar avec cette qualité de transparence, seuls Oramo-Stockholm l'ont proposé ! Ça évite tout empâtement, dans une œuvre peu variée (vraiment de l'extatique sulpicien) où l'orchestration n'est qu'empilement de doublures innombrables ; mais cela occasionne paradoxalement de très beaux moments, comme l'unisson initial alto-clarinette-basson, ou mieux encore, lorsqu'un instrument se retire (les trombones quittent les cordes dans I see not those false spirits, le hautbois quitte les flûtes à la fin de Thy Judgement) : des rémanences qui créent des transfigurations de son très étonnantes, avec des moyens si rudimentaires. C'est aussi le charme d'Elgar, assez peu d'informations, un sens mélodique fort mais qui ne se donne pas si facilement.

Globalement, le peu d'intérêt du livret (si prévisible et stéréotypé, avec des bouts de liturgie dedans comme dans les yaourts) et l'homogénéité de la veine douce-extatique ne sont pas sans longueurs ; pas sans beautés non plus : les deux préludes, les élans de l'Ange, ou cette entrée étagée du Kyrie, écrite sur mesure pour la grâce du Chœur de l'Orchestre de Paris (dont les choristes s'émerveillement régulièrement des grands noms qu'ils croisent, mais les chefs doivent aussi crever de bonheur d'avoir un tel chœur symphonique !).

Et puis des solistes très caractérisés – bon sang, Kožená est toujours moins tchèque (le plus beau son vocal du monde, fin, pointu, antérieur focalisé), tirant vers le mezzo léger russe, avec une volupté, une projection, et toujours cette couleur particulière. Staples superbe bien sûr, même si d'où j'étais, le texte passait mal (pas sa faute, vraiment une belle articulation, que j'ai déjà entendue à l'œuvre et qu'on devinait de loin) ; beaucoup moins fan de la gros voix-cluster de Relyea, mais le fait est que c'est impressionnant pour camper un rôle dans les quelques secondes qui lui sont imparties.

Dans le même genre planant un peu uniforme, j'aimerais bien entendre un oratorio de Perosi, jamais entendu à ce degré de finition (ou Marie-Magdeleine de Massenet, avec son ineffable apparition du jardinier).

J'aime bien Elgar, mais je ne connaissais pas cet oratorio. J'ai failli mourir d'ennui. C'est insipide du début à la fin, même les moments censément grandioses tombent à plat. Je n'ai entendu aucune mélodie accrochant l'oreille, rien de bien excitant à l'orchestre, c'est un magma grisâtre du début à la fin. Le programme indiquait un entracte, et pour une fois je regrette qu'il n'ait pas eu lieu, je serais parti et aurais moins perdu mon temps. Bref, mon pire souvenir d'ennui dans une salle de spectacle...

Je t'ai aperçu, mais tu es parti très vite, je n'ai pas pu te faire coucou. (j'étais un peu étonné de t'y voir, en effet )

Stolzing a écrit:

J'aime bien Elgar, mais je ne connaissais pas cet oratorio.

C'est réputé son meilleur et son moins sirupeux, justement.

J'aime bien The Kingdom aussi.

Ce n'est pas grand, oui (en effet la fin est totalement ratée – une spectatrice non loin paraissait carrément choquée qu'il ose terminer comme ça), et ce ne sont pas forcément les moments de bravoure qui sont les plus réussies, mais il y a de jolies choses, surtout dans la première partie, les introductions, le Kyrie, puis les alléluias de l'Ange…

Il faut vraiment voir ça comme un flux contemplatif, il n'y a rien de majeur là-dedans. J'aime beaucoup en fond ; en salle, je n'ai pas été magnétisé, mais je trouve chouette d'avoir la possibilité de découvrir d'autres univers – l'an passé, c'était la Péri, certes nettement mieux, pas un haut chef-d'œuvre non plus, qu'on ne joue guère en France. Je suis preneur d'un oratorio édifiant d'une autre nation (je disais Perosi, mais je n'ai rien contre du tchèque ou du finnois si Harding veut bien se lancer…) pour la saison prochaine.

Citation :

Bref, mon pire souvenir d'ennui dans une salle de spectacle...

Tu n'as pas vu quelques créations bien épaisses (intellectuellement, je veux dire) ? Quelques seria ou belcantistes bien insipides ? Ou même simplement des soirées de routine pénibles ?

J'aurais bien d'autres candidats à citer.

Quitte à jouer du pudding pour grosses masses, autant jouer la première de Vaughan Williams non ?
(C'est bizarre, mon pire souvenir de concert, c'est aussi du Elgar... La 2ème symphonie)

2 décembre dernier à la Philharmonie : concerto pour violoncelle d'Elgar. Je me suis ennuyé comme jamais...

Elgar est-il ennuyeux per se?

Etant peu familier du corpus du bonhomme, je pose la question.

C'est surtout qu'Elgar écrit de façon opaque pour l'orchestre (des unissons partout !), tout sauf le miroitant comme tu l'aimes… Pas vraiment un ami du contrepoint non plus, tout est très vertical.

Moi j'aime bien… et le concerto pour violoncelle est, de l'avis général comme du mien, de loin ce qu'il a fait de mieux. (je le trouve assez exaltant, tout de même, une veine mélodique qu'on ne retrouve pas forcément dans ses autres œuvres)

C'est évidemment plus frustrant dans la musique de chambre, mais il n'en a pas écrit beaucoup.

Moi j'ai passé une excellente soirée grâce aux interprètes mais aussi aux beaux moments mentionnés par David que comporte l'oeuvre elle-même.
La direction de Harding fonctionne à merveille dans ce genre de morceaux, il allège beaucoup, au risque d'être un peu sec parfois, mais c'est toujours tendu, et l'orchestre et les choeurs étaient superbes.
J'ai trouvé Kozena magnifique, mais beaucoup d'amis qui y étaient le vendredi sont au contraire sortis déçus, bizarre. Staples super également.

Je vous rejoins sur le concerto pour violoncelle, mais je préfère encore les Enigma !

Stolzing a écrit:

J'aime bien Elgar, mais je ne connaissais pas cet oratorio. J'ai failli mourir d'ennui. C'est insipide du début à la fin, même les moments censément grandioses tombent à plat. Je n'ai entendu aucune mélodie accrochant l'oreille, rien de bien excitant à l'orchestre, c'est un magma grisâtre du début à la fin. Le programme indiquait un entracte, et pour une fois je regrette qu'il n'ait pas eu lieu, je serais parti et aurais moins perdu mon temps. Bref, mon pire souvenir d'ennui dans une salle de spectacle...

Très bizarrement, alors que j'aime plutôt Elgar, je me suis aussi ennuyé à mourir. Et pourtant, je connais l’œuvre que j'ai en CD (mais j'avoue n'avoir jamais réussi à l'écouter intégralement, tellement c'est ennuyeux et répétititf). Le plus perturbant dans cette affaire, c'est que je connais pas mal de personnes qui ont au contraire adoré et qui avaient les larmes aux yeux, surtout des Britanniques ! Question de culture, d'imprégnation ? D'autres l'ont écoutée sur CultureBox et l'ont trouvé merveilleuse ; alors, était-ce simplement que je n'étais pas dans un bon jour, ou que la salle de la Philharmonie ne m'a pas paru le cadre idéal pour cette œuvre.
Le meilleur de la soirée fut l'avant-concert donnée par un octuor de musiciens de l'orchestre, qui a joué la Cavatine du 13e quatuor de Beethoven, si profonde, si moderne déjà, puisqu'elle annonce les mouvements lents de Wagner, Mahler ou d'Elgar justement, dont ils ont aussi donné la toujours magnifique variation Nemrod.

Je crois qu'il y a effectivement une question de réceptivité à cette forme d'homogénéité d'une bonhommie un peu épaisse…

Comme lorsqu'on s'émerveille devant les audaces harmoniques de Charpentier ou Vivaldi, et que l'amateur de Stravinski hausse le sourcil comme si on était sévèrement aliéné.

Effectivement, j'ai croisé aussi les réactions les plus contrastées, des bouleversés aux interloqués. En ce qui me concerne, j'étais très content de l'entendre quoique pas totalement convaincu que ce soit une très grande œuvre – mais ça fait du bien, aussi d'écouter de la musique du rang qui ne soit pas aussi géniale et intense que la Cinquième de Beethoven ou L'Oiseau de feu…