Philharmonie - Grenade Al-Andalus - Savall - 23/05/18

La Capella Reial de Catalunya
Hespèrion XXI
Jordi Savall, direction
Waed Bouhassoun, chant, oud
Lior Elmaleh, chant
Driss El Maloumi, chant, oud
Moslem Rahal, ney
Hakan Güngör, kanun
Osman Yurdal Tokcan, oud
Haïg Sarikouyoumdjian, duduk
Dimitri Psonis, clochettes musicales, guitare mauresque, santur, cloches
Erez Shmuel Mounk, percussions
Manuel Forcano, récitant

Tu y étais ? C'était bien ?
J'avais vu ce concert dans le programme mais je craignais que l'acoustique généreuse de la grande salle se prête peu au répertoire et à l'effectif.

Oui, j'y étais !
Je ne connaissais pas du tout ce répertoire, donc je ne sais pas si je suis très bon juge.
J'ai passé un très heureux moment. L'acoustique faisait, c'est vrai, sonner les choses un peu large et ça manquait parfois de définition (c'était dans l'auditorium de la Cité de la musique). Et puis certaines voix étaient amplifiées, c'est la deuxième fois que je trouve que c'est mal fait à la Philharmonie (un son gris et assommant).
Les sonorités des instruments étaient magnifiques. Cela se présentait un peu comme un cours d'histoire (en fait, c'est le même programme que le CD de Savall qui s'intitule « Granada Eterna »), on suivait donc les différentes époques de l'histoire de Grenade en musique, dans des langues très diverses (tant parlées — un récitant a lu des textes d'époque en arabe et en espagnol — que chantées). Mon oreille inexpérimentée a trouvé que beaucoup de choses se ressemblaient et que les morceaux étaient un peu trop de forme AAAAAA, mais c'était loin d'être déplaisant à écouter. Après 1492, j'étais plus en terra cognita.
Avant le bis (une improvisation et une « chaconne du Nouveau monde » apparemment connue, mais je n'ai pas bien compris), Savall (avec une grande humilité) a pris la parole, dans un français quasi impeccable, pour attirer l'attention sur les correspondances possibles entre la succession des guerres et des exils qui ont parcouru l'histoire de Grenade et le présent (un peu maladroitement, il a parlé d'«histoire présente », mais je trouve la formule intéressante, car il y a une dimension « éternel retour »). C'était très émouvant.
C'était la première fois que j'entendais et voyais en vrai Jordi Savall, j'étais très ému, car c'est un artiste que j'aime beaucoup.

Adalbéron a écrit:

les morceaux étaient un peu trop de forme AAAAAA,

Adalbéron a écrit:

Oui, j'y étais !
L'acoustique faisait, c'est vrai, sonner les choses un peu large et ça manquait parfois de définition (c'était dans l'auditorium de la Cité de la musique).

Je m'étais figuré que ce serait dans la grande salle Pierre Boulez donc ma remarque sur la générosité de l'acoustique n'était pas forcément fondée.

Adalbéron a écrit:

C'était la première fois que j'entendais et voyais en vrai Jordi Savall, j'étais très ému, car c'est un artiste que j'aime beaucoup.

Je l'admire beaucoup, sa démarche, ses recherches, ses disques... Par contre, en tant que chef, il est du genre peu voire très peu démonstratif, ce qui peut dérouter.

DavidLeMarrec a écrit:

Adalbéron a écrit:

les morceaux étaient un peu trop de forme AAAAAA,

Qu'on ne se méprenne pas, je ne parle pas d'andouillette (il n'y aurait que 5 A).
D'ailleurs, je ne suis pas très honnête, puisque très souvent, si les morceaux ne sont que des da capo de da capo, l'effectif instrumental s'étoffe au fur et à mesure (un peu comme dans le Boléro de Ravel), donc il y a quelques menues variations, mais surtout des additions de couleurs.

Kir75 a écrit:

Je l'admire beaucoup, sa démarche, ses recherches, ses disques... Par contre, en tant que chef, il est du genre peu voire très peu démonstratif, ce qui peut dérouter.

Il est en effet d'une grande humilité. Il ne dirigeait pas au pupitre d'ailleurs ce soir-là, il était à sa viole (ou quelque chose d'approchant), à la droite de l'ensemble, mais parmi ses musiciens.

En plus des musiciens de l'Hespèrion XXI et de la Capella Reial, j'ai cru comprendre que les autres artistes étaient des invités. Ce concert réunissait donc des musiciens de pays très divers, un grec, un turc, un syrien, un marocain, etc., comme une recréation de l'idéale Al-Andalus, où tous les hommes, quelque soit leur origine et leur confession, vivaient pacifiquement ensemble.


Voici le programme complet :

ÉPOQUE ZIRIDE
1013 Fondation du royaume de Grenade par Zawi ibn Zirí sur l’ancien emplacement de la Garnata al-Yahud, la Grenade des juifs.
1066 Persécution et tuerie des juifs de Grenade (décembre). Invocation Qamti be-Ishon Layla – Cantique des Cantiques (inspiré du Cantique 3, 1-4)
1086 Bataille de Sagrajas : les Almoravides triomphent d’Alphonse VI de Castille.
Taqsim instrumental et danse mauresque (ney)

ÉPOQUE BERBÈRE : LES ALMORAVIDES
1090 Les Almoravides retraversent le détroit et s’emparent des taïfas andalouses.
Mowachah Billadi askara min aadbi Llama – tradition d’Al-Andalus
1092 Imposition d’un Islam sévère et rigoureux. Grenade, siège du pouvoir almoravide d’Al-Andalus. Départ pour l’exil de nombreux poètes et philosophes de Grenade comme Abu Hamid et Moisés ibn Ezra. Les mozarabes de Grenade perdent leurs églises et leurs évêques.
Preces : Penitentes orate – anonyme mozarabe (xie siècle)
1094 Le Cid Campeador fait la conquête de Valence et repousse les Almoravides.
Ductia (instrumental) – Alphonse X le Sage (Cantiga de Santa María, CSM 123)
1110 Judá Ha-Leví rencontre à Grenade les poètes Moisés ibn Ezra et Abraham ibn Ezra, avec lesquels il restera lié sa vie durant.
Sionida : Yefe Nof – Judá Ha-Leví (1075-1141)

ÉPOQUE ALMOHADE
1144 Désintégration des domaines almoravides d’Al-Andalus. Deuxième période de taïfas.
Taqsim – Mowachah : Ya gosan naqa – Abou Bakr Ibn Zohr (Séville, 1073-1162) – tradition d’Al-Andalus
1148 Maïmonide se déplace à Almería devant l’avancée des Almohades. Fragment de l’Iguéret ha-shemad, lettre
sur la conversion forcée (chapitre IV)
Las Estrellas de los cielos (instrumental) – anonyme séfarade
1157 Les Almohades prennent Grenade. Danse moresque (instrumental)
1188 Mort du roi Sancho III de Castille.
Lamentation : Plange Castella misera – anonyme (Codex de las Huelgas, f. 160, xiie siècle)
1212 Bataille de Las Navas de Tolosa. Danse d’initiation (instrumental)
Les unités chrétiennes d’Aragon, de Castille et de Navarre battent les Almohades.
Lamentation hébraïco-andalouse : Dror yiqra – Dunas Ben Labrat (xe siècle)

ENTRACTE

ÉPOQUE NASRIDE
1238 Muhammad ibn Nasser al-Ahmar (« le Rouge »), premier sultan nasride de Grenade (1238-1273). Début de la construction de l’Alhambra.
Poème sur pierre de l’Alhambra de Grenade, écrit dans la salle des deux sœurs, sur les beautés de l’Alhambra. Texte de Ibn Zamrak
1280 Victoire de Moclín : les unités de Muhammad II battent les troupes castillanes. En expédition punitive, l’infant Sancho, fils aîné d’Alphonse X le Sage, ravage la plaine de Grenade.
Pero que seja a gente – Alphonse X le Sage (Cantiga Santa María, 181)
1368 Blocus de Baeza (gouvernée par don Enrique), par le roi maure de Grenade et son allié don Pedro.
Romance de la Frontière : Cerco de Baeza – anonyme (Cancionero musical de Palacio, 106)

LA DYNASTIE DES MUHAMMAD
1362 Muhammad VI se rend à Séville avec 300 cavaliers pour demander à Pedro I l’arrêt des hostilités. Pedro I assassine le roi nasride dans le quartier sévillan de Tablada.
Plainte : Le chemin – L’angoisse - Improvisation arabo-andalouse
1410 L’infant Ferdinand de Castille prend Antequera. Yousouf III récupère Gibraltar.
Propiñan del Melyor (instrumental) – anonyme (xve siècle)
1464 Moulay Hassan accède au trône de Grenade. Avec la sultane Aisha, il a un fils, Boabdil.
Villancico : Aquella mora garrida – Gabriel (Cancionero musical de Palacio, 254)

FIN DU ROYAUME NASRIDE DE GRENADE
1492 Boabdil capitule le 2 janvier devant les rois catholiques. Fin du royaume nasride de Grenade (250 ans). Boabdil s’enfuit au Maroc.
Villancico : Viva el Gran Re Don Fernando – Carlo Verardi
1492 Décret d’expulsion des juifs et des musulmans en Castille et
en Aragon.
Romance : El pan de la aflicción – prière séfarade en ladino
(mars)
1492 Découverte de l’Amérique.
(octobre) Journal de bord de Christophe Colomb, nuit du 11-12 octobre 1492
Villancico : Xicochi Conetzintle – Xochipitzahuatl – Gaspar Fernandes / anonyme nahuatl

DOMINATION CASTILLANE
1500 Naissance de Charles V.
Villancico : Todos los bienes del mundo – Juan del Enzina
1502 Conversion forcée de tous les musulmans du royaume de Grenade. Chronique des rois de Castille – Chap. CXCVI
Plainte arabo-andalouse : Maqam Hijaz – Ibn Zeydoun (1003-1071)

Adalbéron a écrit:

D'ailleurs, je ne suis pas très honnête, puisque très souvent, si les morceaux ne sont que des da capo de da capo, l'effectif instrumental s'étoffe au fur et à mesure (un peu comme dans le Boléro de Ravel), donc il y a quelques menues variations, mais surtout des additions de couleurs.

Oui, bien sûr, mais « de forme AA'A''A'''A''''A''''' » aurait été un peu chargé à écrire. C'était en tout cas amusant (parce que très vrai).

Citation :

il était à sa viole (ou quelque chose d'approchant), à la droite de l'ensemble, mais parmi ses musiciens.

Ce doit être inscrit dans le programme, mais considérant les dates, sans doute plutôt de la famille du rebec, non ? (l'ancêtre, de toute façon)