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| la quatrième symphonie de Chostakovitch | |
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Auteur | Message |
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arnaud bellemontagne Gourou-leader
Nombre de messages : 25933 Date d'inscription : 22/01/2010
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Mer 16 Juin 2010 - 23:03 | |
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| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97916 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Mer 16 Juin 2010 - 23:04 | |
| Moi j'aime pas la 4 (trop de négativité), mais j'aime bien la 5, mon côté grand public sans doute. |
| | | Mélomaniac Mélomane chevronné
Nombre de messages : 28855 Date d'inscription : 21/09/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 20 Oct 2012 - 1:19 | |
| Si ça peut intéresser quelqu'un, voilà un parcours d'écoute du deuxième mouvement, osant une modeste description. N'hésitez pas à dénoncer les erreurs ou inexactitudes que vous rencontrerez dans ces lignes. Les minutages renvoient à l'enregistrement de Marriss Jansons avec l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise (emi). ******************************************************************************************************************************* Après l'éreintant psychodrame qu'a déployé le gigantesque premier mouvement pendant une demi-heure, ce Moderato médian constitue un interlude concis au sein de cette Symphonie n°4. L'esprit se veut aussi ludique qu'étrange, tout à tour lunatique ou grotesque. Bref plutôt mahlérien. Et typiquement chostakovien quand le sarcasme se mêle intimement à l'absurde. Hormis quelques saillies, la dynamique se maintient dans un registre feutré qui ne recourt jamais au plein effectif du tutti. Articulé sur un rythme ternaire 3/8, le tempo reste constant (croche à 144), ce qui établirait arithmétiquement une durée théorique de huit minutes vingt-quatre. La structure binaire répond à une alternance A - B - A' - B' - A" : PARTIE ALes altos introduisent sotto voce le thème principal formé de deux sections. La première (nommons-la « a ») semble une mystérieuse épigramme : deux groupes de quatre notes scandées trois brèves & une longue. Fa-ré-fa-laaa / fa-ré-fa-soool : un intervalle de tierce mineure (celui que cultive Debussy au début de La Fille aux cheveux de lin), qui chute d'abord en sixte puis en septième, mineures également. La seconde ( 0'06-0'20, nommons-la « b ») s'élance en une phrase ascendante, rapide, mélismatique. Les autres cordes viennent progressivement tramer le retour de la section a, exposée maintenant aux violons 2 (0'31-) puis, après un bref crescendo, aux violoncelles et contrebasses (0'49-). Les bois font leur entrée par la clarinette piccolo (0'57) qui chantonne b, bientôt contrepointée de promptes figurations au basson. Un hautbois caquète obstinément un mi (1'16) , entrecoupé par quatre acides glissandi aigus des violons. Une autoritaire intimation des cordes converge symétriquement (1'26). S'en échappent des moqueries de piccolo et xylophone, avant que la clarinette ne reprenne à son compte la section a (1'37-). Des sonneries de trompettes bouchées resserrent les rangs (1'56-2'10), a rugit en strette aux trombones. Le tuba puis les cors y joignent leurs mugissements. Des pizzicati à l'unisson excitent une tournoyante envolée des clarinettes (2'10), qui absorbe graduellement les autres bois et cuivres en crescendo. La tension culmine et débouche abruptement sur la... PARTIE BRé-fa# assénés aux timbales, un trémolo grave des clarinettes signalent un changement de décor. Entre 2'35-2'55, les violons exposent à découvert une nouvelle mélodie (désignons-la « B »), de profil descendant apparenté à la section a qu'elle semble gloser. Cette paraphrase est scandée par l'accentuation anapestique aux violoncelles (ut grave : deux double-croches, une noire), puis se décline (altérée et abrégée) sur le même tracé rythmique, étoffé par altos et contrebasses (2'55-3'06). Un cor solo reprend B, enluminé par piccolo et flûte (2'56-3'20). Piccolos, flûtes et basson par paires en répètent successivement des fragments à la quinte (3'25-3'37). Une vigoureuse scansion émanée des basses (3'37-3'49) entraîne un passage véhément où le thème se distord à divers pupitres, avant que trois notes frappées aux timbales n'achèvent ces grimaces, en nous amenant à la... PARTIE A'Elle reprend en fugue les sections a et b, d'abord entendues aux violons (3'58-), aux violoncelles (4'28-), aux altos (4'47-), puis s'enlacent en contrepoint de plus en plus pressant. Violoncelles et contrebasses martèlent a en crescendo opiniâtre (5'58) : cette obstination annonce le transfert du fugato aux bois (6'05-), dans l'ordre suivant : piccolo, flûte, clarinette, clarinette basse. Ces instruments ourdissent une polyphonie étroite, finalement augmentée par tous les bois, qui appelle un retour de la... PARTIE B'Le thème B fait irruption (6'48), clamé par quatre cors, scandé par l'anapeste des bois à l'unisson, puis par les cordes dans le registre grave (7'07-) tandis que hautbois et clarinette superposent un contrechant puissant et capiteux. Advient une autre exploitation polyphonique (7'41-), acclamée par piccolo, flûtes, hautbois, clarinette piccolo ; épaulée par contrebasses, tuba, contrebasson en valeur longue ; festonnée par cors et clarinettes basses en double-croches. L'intensité du climax décroît tandis que le basson solo marmonne un souvenir du même B (8'03-8'14) qui cède soudain place à une rémanence onirique de la première partie : PARTIE A"On rencontre deux principaux types d'ostinatos dans la musique de Chostakovitch. Ceux qui caricaturent l'acharnement d'une violence aveugle : l'épisode de l'invasion battu par les tambours dans le premier mouvement de la Symphonie n°7, la toccata à 2/2 du troisième de la n°8, les assauts de percussions qui déferlent pour illustrer la répression tsariste face au Palais d'hiver dans la n°11... Et ceux qui symbolisent une cinématique dérisoire : exutoire trivial et mécanique d'une condition brimée, une chorégraphie d'automates comme à la fin du Concerto pour violoncelle n°2 ou de la Symphonie n°15. Ce qu'on entend maintenant (8'14) se rattache plutôt à cette seconde catégorie. Un obsédant cliquetis de percussions ligneuses (caisse claire, castagnettes, wood-block), trois notes arpégées que pincent les contrebasses, un ré extrême-grave qui résonne sourdement de la harpe... Que cela signifie-t-il ? Un télégraphe enrayé ? Un tic-tac d'outre-tombe ? Un ruissellement caverneux ? Le trot claudiquant d'un cheval ? Un grondement de cavitation sous-marine ? Face au Cleveland Orchestra avec lequel il préparait cette oeuvre, Gennadi Rojdestvenski soumettait une surprenante hypothèse : on dirait le tapotement d'un prisonnier sur la tubulure du chauffage pour communiquer avec les détenus d'autres cellules... A chaque mesure, cette spirale d'horlogerie engrène une bourdonnante évocation du thème A que les violons murmurent dans un frémissant trémolo de triple-croches. Comme une rengaine qui s'insinue irrésistiblement dans une arrière-conscience. Une furtive réapparition des quatre notes monogrammatiques de la section a s'exhale à la flûte (8'39) et se suspend dans un abrasif flatterzunge. Un ultime sursaut effleuré au xylophone marque la fin de cette insolite ambiance, digne d'un surréaliste tableau peint par Giorgio de Chirico. ******************************************************************************************************************************* |
| | | arnaud bellemontagne Gourou-leader
Nombre de messages : 25933 Date d'inscription : 22/01/2010
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 20 Oct 2012 - 23:21 | |
| Passionnant!!! Si tu pouvais faire pareil avec les 2 autres mouvements ce serait génial! |
| | | Mélomaniac Mélomane chevronné
Nombre de messages : 28855 Date d'inscription : 21/09/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 20 Oct 2012 - 23:27 | |
| - arnaud bellemontagne a écrit:
- Passionnant!!!
Si tu pouvais faire pareil avec les 2 autres mouvements ce serait génial! Merci Pour le troisième mouvement, j'ai déjà un texte mais très long et décousu. Je dois le remanier. Pour le premier, je manque de courage...
Dernière édition par Mélomaniac le Sam 20 Oct 2012 - 23:29, édité 1 fois |
| | | Zeno Mélomane chevronné
Nombre de messages : 4648 Localisation : Yvelines Date d'inscription : 05/04/2008
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 20 Oct 2012 - 23:28 | |
| Oui, tu pourrais aussi faire celles de Haydn, Mozart, Beethoven... bref, jusqu'à Henze, pour demain à l'heure du thé ? Laisse tomber Chausson si tu manques de temps, je ne voudrais pas que tu tombes dans les pommes non plus. |
| | | Mélomaniac Mélomane chevronné
Nombre de messages : 28855 Date d'inscription : 21/09/2012
| | | | Zeno Mélomane chevronné
Nombre de messages : 4648 Localisation : Yvelines Date d'inscription : 05/04/2008
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 20 Oct 2012 - 23:37 | |
| Je ne me moquais pas. Enfin si, mais certainement pas comme ton post semble le supposer. Sin-cè-re-ment. |
| | | Mélomaniac Mélomane chevronné
Nombre de messages : 28855 Date d'inscription : 21/09/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Dim 21 Oct 2012 - 16:23 | |
| J'ai un texte déjà ébauché pour le descriptif du troisième mouvement, mais ça nécessite élagage, relecture et surtout avis extérieur... Dans l'état actuel, j'en ai un peu honte pour le publier ici. Appel à volontaire : cherche quelqu'un à qui envoyer mon papier par message privé. Bonne plume qui connaisse l'oeuvre, qui puisse apporter un regard sur l'analyse musicale, et qui ne soit pas effrayé de mettre un peu d'ordre dans les idées et de clarté dans ma prose. |
| | | vinclec Mélomaniaque
Nombre de messages : 628 Age : 42 Localisation : Amiens Date d'inscription : 14/10/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Ven 26 Oct 2012 - 17:56 | |
| Alex, merci pour cet impressionnant message qui a initié cette passionnante discussion au moins aussi longue que la symphonie en question. Impressionnant !!!
Je suis fan de la première heure de la 4ème Sie (bien que je lui préfère parfois les 8ème et 10ème du même compositeur, disons... mmh... plus "équilibrées"). Une phrase toutefois a attiré mon attention dans ton post de 2006 (premier message de ce Sujet) : "Dans la quatrième symphonie de Chosta (...) contrairement au Mahler de la troisième symphonie, la composition ne perd jamais de vue son objet et aucune digression ne s'y fait gratuite."
Je ne suis pas tout à fait d'accord: c'est une question de goût personnel, mais il me semble que la 4ème de Chosta fait beaucoup de digressions "gratuites" en particulier dans les mouvements 2 et 3, mais ce sont précisément ces digressions/irruptions/éruptions qui en font l'intérêt, la trame, la philosophie... C'est une musique du surgissement, de l'improvisation contrôlée, cela fonctionne presque par "clusters", là où Mahler procède par un lent et puissant développement d'une complexité insondable.
La 3ème de Mahler, qui est certes un peu longue dans son ensemble, ne contient selon moi aucune digression "gratuite", mais au contraire une subtilité complexe et sensuelle que Chosta n'atteint que rarement. Il faut l'écouter mouvement par mouvement : chacun de ses mouvements est un chef d'oeuvre méconnu. Et il y a au moins autant d'invention et d'audace dans cette Troisième de Mahler que dans la 4ème de Chosta !!
Je pense aussi qu'il faut relativiser le "Staline vs. Chosta". L'une des raisons pour laquelle la 4ème n'a pas été jouée juste après sa composition est que, comme tu l'as écris toi même, "Chostakovitch a longtemps hésité sur la valeur de son oeuvre". Les relations entre le régime et Chosta étaient très ambiguës. N'oublions pas que peu après sa quatrième Chosta composait en l'honneur de Staline une cinquième triomphale !
Pour conclure: tu écris "la quatrième symphonie demeure peut-être le plus grand chef d'oeuvre symphonique de l'histoire, aux côté de la deuxième de Mahler et de la cinquième ou septième de Sibelius.", et bien je vois qu'on a absolument les mêmes goûts ! ! !
Enfin, dernière minute, je suis en train d'écouter le 3ème symphonie de Krzysztof Penderecki, et j'y vois des citations criantes de Chosta (3ème mouvement), voire même de la 4ème ! Simple écho ou hommage ?
Vinc |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 27 Oct 2012 - 19:57 | |
| - vinclec a écrit:
Je ne suis pas tout à fait d'accord: c'est une question de goût personnel, mais il me semble que la 4ème de Chosta fait beaucoup de digressions "gratuites" en particulier dans les mouvements 2 et 3 c'est ton opinion - Citation :
- Je pense aussi qu'il faut relativiser le "Staline vs. Chosta". L'une des raisons pour laquelle la 4ème n'a pas été jouée juste après sa composition est que, comme tu l'as écris toi même, "Chostakovitch a longtemps hésité sur la valeur de son oeuvre".
Absolument faux, DSCH n'a pas douté un seul instant de sa valeur. - Citation :
- N'oublions pas que peu après sa quatrième Chosta composait en l'honneur de Staline une cinquième triomphale !
Plus que faux, contresens total, scandale absolu! Chostakovitch n'a jamais rien composé en l'honneur de Staline, contrairement à prokofiev, Katchaturian et quelques autres. C'est regrettable, mais c'est un fait! |
| | | Zeno Mélomane chevronné
Nombre de messages : 4648 Localisation : Yvelines Date d'inscription : 05/04/2008
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 27 Oct 2012 - 21:47 | |
| Sud a totalement raison. Voir en la Vème un hymne à Staline, autant écouter Les Lieder de Schubert en pensant que ce sont des romances pour jeunes filles. |
| | | vinclec Mélomaniaque
Nombre de messages : 628 Age : 42 Localisation : Amiens Date d'inscription : 14/10/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Dim 28 Oct 2012 - 14:24 | |
| Certes Chosta été farouchement opposé au régime mais il a quand même signé de nombreuses musiques de films de propagande soviétique, donc toute la musique du film "La chute de Berlin" (1950) qui est l'archétype du film de propagande faisant une apologie totale de Staline et exagérant son rôle dans la résolution de la guerre.
D'ailleurs j'ai écouté de nombreuses fois cette partition méconnue (tapez The Fall of Berlin sur Amazon), c'est assez intéressant pour l'orchestration et certaines atmosphères mais on est à cent mille milliards de kilomètres de son cycle symphonique, bien sûr !!
Je voulais simplement dire que le mythe "Staline vs. Chosta" est à relativiser. N'oublions pas qu'il a reçu en grande pompe le Prix Staline pour sa septième symphonie... Et le Prix Lénine, plusieurs fois... Et même le titre de "héros du travail socialiste" ! Tout cela en étant globalement opposé au régime, bien sûr.
Enfin, ce qui concerne la 5ème, Chosta a lui même écrit dans le journal officiel du Parti que sa cinquième était une "réponse" aux "critiques justifiées" du Parti vis à vis de sa musique... Mais bien sûr c'était une feinte de sa part, pour pouvoir continuer à composer... Mais je n'ai jamais dit qu'il s'agissait d'un "hymne à Staline" ?!
V
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| | | Zeno Mélomane chevronné
Nombre de messages : 4648 Localisation : Yvelines Date d'inscription : 05/04/2008
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Dim 28 Oct 2012 - 14:29 | |
| Chosta a sauvé sa peau, c'était un exploit. Quand on voit tous ceux qui ont disparu, ne serait-ce que parmi ses proches... |
| | | vinclec Mélomaniaque
Nombre de messages : 628 Age : 42 Localisation : Amiens Date d'inscription : 14/10/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Dim 28 Oct 2012 - 14:32 | |
| [quote="sud273"] - vinclec a écrit:
Chostakovitch n'a jamais rien composé en l'honneur de Staline,
Ben, le Chant des Forêts (1949) fait son apologie, musique héroïque qui le qualifie de Grand Jardinier (au sens de Grand Leader), en réaction à quoi Staline, flatté, a nommé Chosta député !!! Relisez vos biographies. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Lun 29 Oct 2012 - 11:40 | |
| c'est encore une fois faux: la candidature de Chostakovitch pour l'élection au Parti a été annoncée en 1960 pat la Pravda, et c'était une manoeuvre destinée à le discréditer et à le brouiller avec les autres artistes. La version originale du chant des forêts contient bien quelques vers sur le Grand Jardinier (supprimés après la mort de Staline) mais l'ensemble vise à célébrer la liberté artistique, en réponse au jdanovisme -toujours la double attitude DSCH qui composait en même temps les mélodies juives. Je ne sais pas quelle biographie tu lis, mais ce n'est sans doute pas la bonne.... |
| | | Mélomaniac Mélomane chevronné
Nombre de messages : 28855 Date d'inscription : 21/09/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Lun 4 Fév 2013 - 20:16 | |
| - vinclec, in Playlist du 04 02 2013, a écrit:
- Vinocuakosecomeakikinsky a écrit:
- Symphonie n° 4 bis de Chosta ??? Argh ! Mais où trouves-tu donc toutes ces perles ?!
J'espère ne pas te décevoir, mais ce n'est pas son nom officiel. Il s'agit de cinq "fragments" symphoniques (fragments parfaitement entiers, du reste), que Chostakovitch a écrit en plein milieu de l'écriture de sa mythique quatrième... C'est, ce qui me concerne, l'un des trucs les plus démentiels que j'ai écouté récemment, non pas pour le contenu, mais pour le contenant. Chostakovitch était donc en train d'écrire sa Quatrième sous le coup de la censure, et, en sachant qu'elle ne serait pas jouée, il en fit l'une de ses partitions les plus personnelles... Or, en plein milieu de cette activité créatrice, Chosta s'arrête et réunit 5 "fragments" qu'il a composé en même temps, sans que l'on ne sache vraiment à quoi ils étaient destinés, il les compile, leur donne un titre, "5 fragments pour orchestres", et même un numéro d'opus (42), et les conserve soigneusement sans jamais cependant y revenir... C'est une sorte d'O.M.N.I. total ! ! ! Et, sur le plan conceptuel, c'est une véritable Inachevée achevée (puisque c'est à la mode d'écrire de l'inachevé)...
Cela s'appelle donc "Five Fragments" et ça dure près de 15 minutes (?).
Le mouvement lent est particulièrement pur, il fait penser à Sibelius (si, si !), les autres fragments sonnent plus comme du Chosta typique, mais plus libre.
A cela s'ajoute le "premier début" de la quatrième symphonie de Chosta, d'environ 6 / 7 minutes, composé avant qu'il ne décide de tout recommencer à zéro et d'entamer sa Quatrième d'une manière diamétralement opposée. Très sympathique aussi... J'avais découvert cet opus 42 dans l'interprétation de Vladimir Ashkenazy / Royal Philharmonic (Decca). A mon humble avis, y a pas de quoi se relever la nuit. |
| | | vinclec Mélomaniaque
Nombre de messages : 628 Age : 42 Localisation : Amiens Date d'inscription : 14/10/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Lun 4 Fév 2013 - 20:28 | |
| - Mélomaniac a écrit:
- J'avais découvert cet opus 42 dans l'interprétation de Vladimir Ashkenazy / Royal Philharmonic (Decca).
A mon humble avis, y a pas de quoi se relever la nuit. Non ! Si ! Mais du moins, il y a de quoi ne pas se coucher !!! |
| | | Mélomaniac Mélomane chevronné
Nombre de messages : 28855 Date d'inscription : 21/09/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Ven 2 Aoû 2013 - 2:37 | |
| Voilà un parcours d'écoute du troisième mouvement, osant une modeste description. N'hésitez pas à dénoncer les erreurs ou inexactitudes que vous rencontrerez dans ces lignes. Les minutages renvoient à l'enregistrement de Marriss Jansons avec l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise (emi). ******************************************************************************************************************************* Ce vaste troisième mouvement (presque une demi-heure) scénographie une succession d'épisodes contrastés où l'on peut tenter de déceler, comme dans les deux précédents, une structure A-B-A'-B'-A" Toutefois, A & A' / B & B' partagent une communauté d'esprit plutôt que de contenu thématique.
La PARTIE A est notée Largo (4/4, noire à 69)
...ce qui permet une lente procession, comme un hommage aux Trauermarsch mahlériennes. Mais le climat funèbre se mêle ici à un ton ironique. Timbales et contrebasses induisent un balancement (ut-fa#) qui recueille la déploration du basson, bientôt rejointe par la clarinette basse : désignons cette mélodie par « a1 ». Observons-y d'emblée les trois premières notes (do, ré, mi bémol) car elles exerceront une fonction capitale dans tout ce Finale. Epaulé par le contrebasson, un second basson se joint au convoi et répète ce thème avec son compère (0'49-). Les trois notes liminaires sont maintenant écartelées par le hautbois (0'57-) : do-fa-si, soit un intervalle de septième majeure qui jouera un rôle prépondérant dans la Coda. Désignons par « a2 » cette idée. Ce sont maintenant deux clarinettes qui reprennent les trois notes d'incipit (1'28) et invitent la flûte à dérouler sa propre variante de la complainte, amorcée par un autre intervalle de septième (fa-si bémol-mi). Violoncelles et contrebasses reprennent le thème introductif (1'51), brodé par le piccolo.
Les violons en sourdine esquissent une transition vers un « thème b » (2'10), énoncé par deux clarinettes, puis façonnent avec les altos un vigoureux ruban de double-croches (2'40-2'55) qui propage la marche funèbre aux cuivres, précédée par un roulement de caisse claire. La tierce mineure ascendante de a1 devient descendante dans le motif (do-si-la) clamé par les trompettes, qui redisent ensuite b à découvert (3'09-). Un crescendo aboutit à un tutti fff où les cuivres portent a1 en triomphe (3'25-). Ce climax se délite rapidement par une douce figuration qu'effilochent violons 2 et altos, sur laquelle les violons 1 déploient une mélodie dérivée du matériel thématique principal. Soudain : bassons et contrebasson marmonnent l'incipit sur lequel hautbois puis clarinette viennent tramer en canon (4'30). Contrebasses et timbales réintroduisent le balancement initial (5'18) pour accompagner le retour de a1 aux violoncelles. Mais cette mélopée s'interrompt par un signal d'alarme (5'28) engrené crescendo, alternativement par deux hautbois, augmentés des clarinettes à (5'55). Des interjections raclées aux violoncelles et contrebasses aiguisent ce climat d'urgence. Quand flûte et piccolo amplifient cette stridente sirène (6'05), on attend l'imminence d'un événement. En effet, une prompte descente arpégée aux violons et altos nous propulse dans un tournoyant...
... Allegro (PARTIE B, 6'12-)
Les deux dernières notes (mi-ut#) de la chute arpégée activent une véloce toccata à 3/4 (blanche pointée à 84 souhaitée pour le tempo). Cet intervalle de tierce mineure (encore un !) va amorcer diverses attaques au sein d'un contrepoint serré qu'ourdissent les cordes. On retrouvera ce type d'ostinato dans le troisième mouvement de la Symphonie n°8, le deuxième de la n°11... Un palier est atteint (6'58) : un bref unisson grave des cordes (scandé par cors, hautbois et clarinettes) s'enivre de triolets aigus aux violons 1 et piccolo (7'01-7'06). Une ascension des trombones puis des cors confie le sardonique scherzo aux bois (7'10-). Puis l'on atteint un nouveau palier (7'18) : flûtes, hautbois, clarinette piccolo hurlent une série de triolets auxquelles répondent sitôt des accroches de violoncelles et contrebasses (-7'43). Ces saccades vont jouter en deux équipes : violons 1 & altos / violoncelles & contrebasses. L'immixtion des cors à contretemps (8'08) traduit l'essoufflement de ces réparties qui connaissent un répit (8'32) : hautbois et clarinettes apportent une première diversion qui dédramatise le propos, même si perdure la respiration haletante. Quatre cors imposent une nouvelle phrase (8'45) dont l'énoncé en valeur longue (blanches pointées) se dégage du tumulte et se voit rejoint progressivement par tous les bois et les violons 1 (divisés) à mesure que la mélodie se fluidifie. La tension se relâche, l'humeur s'éclaire et exulte soudain sur un clash de cymbales (9'11). Les timbales scandent une radieuse saillie aux violons et bois qu'illumine le glockenspiel. Les cuivres participent à la liesse générale (9'18). Mais les trombones daignent s'opposer, attirant la réprobation de tout l'orchestre (9'34-9'45). L'intervention grandiloquente des cordes réclame alors la fin des turpitudes (9'51) : un raffut de trois notes martelé par les timbales se réitère diminuendo, pendant que ronchonnent encore le tuba puis les cors qui se taisent à regret. Seul l'un d'eux maintient un mi bémol à l'extrême grave de son registre, d'où émergent subrepticement clarinette basse et piccolo (10'17) : sur un rythme à 2/4 (noire à 126), dans le silence général, ces joyeux drilles viennent danser une intrépide polka, comme deux farfadets au clair de lune. Les tintements des harpes mettent terme à leurs ébats (10'33), en amenant la...
PARTIE A' (10'34-)
Elle juxtapose trois sections disparates, comme une galerie de vanités :
1) Un rythme ternaire (3/4) dévide une valse lente aux violoncelles, puis flûtes et violons. Le style diaphane s'affecte de quelque préciosité, comme un hommage au siècle galant. Mais l'accompagnement très dépouillé, les bizarreries d'instrumentation (des trilles insistants) accusent une certaine incongruité. Des roucoulades échangées entre flûte et piccolo (11'52) déclenchent un cri aigu de tous les pupitres de flûtes, hautbois et clarinettes (12'00), lui-même absorbé par un grognement ut# des contrebasson et contrebasses (12'06). De calmes appels de cors et d'altos, harangués par les serinages du piccolo, incitent la mélodie de valse à se reformer timidement. Jusqu'à ce qu'une escalade arpégée aux violoncelles (12'57) n'émoustille tous les pupitres de cordes dont le pouls s'accélère.
2) A 13'07, violoncelles et contrebasses s'emparent de cette excitation et embrayent une scansion anapestique (deux croches une noire) tandis que le rythme devient binaire (2/4). Sur ce galop, le basson s'élance dans une chorégraphie goguenarde qui parodie la marche funèbre et s'entrecoupe par une autoritaire ritournelle des cordes (13'32-13'36). Même scénario jusque 14'00. Puis c'est au tour des flûtes, piccolo et xylophone d'exhiber leur numéro de saltimbanque, sous les huées des deux tubas. Nouvelle ritournelle des cordes (14'22) puis voilà le trombone solo qui entre en piste pour fanfaronner. Le basson revient à croupe (14'58) en caracolant sur le piccolo.
3) A 15'14, le rythme redevient ternaire pour une valse rapide (noire à 184) pincée par des pizzicati, menée par clarinette, flûte et basson, ce que vient perturber le trombone en goguette (15'54). Imperceptiblement, sans transition, le rythme redevient binaire pour la...
PARTIE B' (2/4, noire à 100), 16'46-
Dans le même style de libre toccata que la partie B, violons & altos continuent de dévider des bribes insignifiantes, enfermées dans un ambitus restreint et terne, susurrées sur les saccades des violoncelles & contrebasses. La dynamique prend du volume (17'15), le trombone revient narguer quelques paroles de plus en plus éparses (17'27), tandis que la scansion se clairseme (deux brèves) puis se réduit à une simple impulsion de croches à l'unisson des archets (17'48), soutenue par une pédale harmonique des clarinettes & du cor. Hautbois et basson solo viennent y greffer un vestige de rengaine dont les violons répètent en écho la désinence (18'08-), ensuite singée par violoncelles et altos. Sans crier gare, une flûte désinvolte (18'45) réintroduit l'accroche de la partie B (mi-ut #) au gré d'une nouvelle valse qui s'insinue furtivement. Depuis quelques minutes, on sent que le matériau se raréfie, les idées s'appauvrissent, se cherchent une contenance et une substance. Violoncelles & contrebasses enclenchent une mécanique inertielle (19'10), où viennent luire de longues et lugubres phrases aux violons 2 et aux altos en sourdine, qu'illumine bientôt un sol aigu des violons 1 (19'40-) tel un reflet surnaturel. Ces lueurs agonisent fixement, s'éteignent dans une nuance morendo. L'inspiration semble tarie, prostrée, à bout de course, à bout de force. La symphonie pourrait s'arrêter là, échouée dans cette apoplexie. Seules les basses remuent encore par un ultime réflexe nerveux. Quand soudain surgit...
PARTIE A'' (19'55-)
Au fond de la salle, grosse caisse et timbaliers trépignent, enflent un raz-de-marée. La digue explose (20'05) : les cuivres vocifèrent un choral poussif sur la cavalcade des mailloches qui charrient les débris emportés par ce déferlement. Cette catastrophe terrorise et pourtant assume une purge cathartique, au goût amer : au milieu des remous (21'13), les bois persiflent une transposition de a2 (sol-ut-fa#). Gonflé par la percussion, le tsunami reprend vigueur et tourne à la tragédie (21'31). Car tout l'orchestre expulse maintenant une plainte hideuse, déchirée par de douloureux quartolets, criée à toute force vers le ciel, jusqu'à une nouvelle clameur du choral (22'18). Ce déchirant tutti est aspiré par la bonde d'un vertigineux decrescendo (fff>ppp entre 22'24-22'30) : un roulement de caisse claire & cymbale & grosse caisse avale toute matière comme une étoile qui s'effondre en trou noir. Ne subsiste qu'une ponctuation qui va désormais scander toute la...
CODA (22'30-)
Consternation. La tierce mineure qui formait l'incipit de a1 serpente aux bois graves. Ce fuligineux tableau d'apocalypse fait rétrospectivement comprendre que le désultoire scénario de ce troisième mouvement de la Symphonie (hétéroclite alternance de marche funèbre, valse, galop et autres rengaines) était la façade d'un monde en sursis. Derrière les masques arrachés apparaît à nu le pessimisme du compositeur, qui laisse prémonitoirement sourdre la déréliction d'un homme face aux absurdités d'un régime despotique. La symphonie suivante, la n°5, saura se dissimuler dans l'ambivalente facticité qui dupera les censeurs. Les dernières minutes de la Quatrième s'accablent d'une prise de conscience et résonnent comme une aporie désespérée.
Dans ce cimetière de ruines et de cendres rôde le spectre de a2 au cor (22'48), à la flûte (23'07). Face au désastre, quel autre refuge que l'indicible ? Des suspensions blêmes qu'étirent violons et altos se replient vers les sphères les plus intimes (23'42-) où ne vibrent que la pulsation des contrebasses & harpes, les frissons spasmodiques de la grosse caisse, le souffle navré des flûtes & clarinettes. Les cordes en apesanteur (25'22) se figent dans une immuable contemplation de l'espace infini, la pulsation se transfère à la timbale, le célesta égrène un motif énigmatique (25'27). Une trompette en sourdine invoque a2 par deux fois (26'01, 26'19). La timbale se tait (26'39). Le célesta perpétue son cristallin rituel qui ne déroge finalement que pour gravir un fa aigu (27'05). Les cordes s'amuïssent, ferment les yeux devant le néant, résignées dans la quiétude de l'intériorité silencieuse.
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Dernière édition par Mélomaniac le Lun 5 Aoû 2013 - 1:27, édité 3 fois |
| | | Zeno Mélomane chevronné
Nombre de messages : 4648 Localisation : Yvelines Date d'inscription : 05/04/2008
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Ven 2 Aoû 2013 - 10:27 | |
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Ven 2 Aoû 2013 - 10:54 | |
| Merci Melomaniac, c'est un beau travail. |
| | | arnaud bellemontagne Gourou-leader
Nombre de messages : 25933 Date d'inscription : 22/01/2010
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Ven 2 Aoû 2013 - 11:00 | |
| Mélomaniac! |
| | | hammerklavier Mélomaniaque
Nombre de messages : 589 Date d'inscription : 30/01/2007
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Ven 2 Aoû 2013 - 20:40 | |
| C'est impressionant. j'crois que je me suis trouver une occupation pour ce soir. J'ai rarement fait ça de suivre la musique avec un "parcours d’écoute". Il me semble que Cololi avait fait la même chose sur le premier mouvement de la troisième de Mahler, ça m'avait bien aidé a recevoir ce mouvement que je laissais un peu auparavant. |
| | | Mélomaniac Mélomane chevronné
Nombre de messages : 28855 Date d'inscription : 21/09/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 3 Aoû 2013 - 1:13 | |
| Si quelqu'un veut maintenant s'attaquer à une description du premier mouvement ! |
| | | hammerklavier Mélomaniaque
Nombre de messages : 589 Date d'inscription : 30/01/2007
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 3 Aoû 2013 - 2:43 | |
| c'était génial. Bon par contre faudrait que j'enrichisse un peu mon vocabulaire ! La coda dans les oreilles avec la description que tu en fais c'était ... Merci ! (et il faut faire le premier mouvement !!! y'a un moment ou ça s'emballe dans les cordes pour devenir furieux c'est balaise.) tu parles au début des Trauermarsch de Mahler. ça veut dire marche funèbre ? En tout cas y'a un endroit tout au début de ce troisième mouvement on dirait carrément une imitation du début de la deuxième de Mahler. |
| | | Golisande Mélomane chevronné
Nombre de messages : 7936 Age : 50 Localisation : jeudi Date d'inscription : 03/03/2011
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Sam 2 Sep 2017 - 0:45 | |
| Je me dois de remercier chaleureusement Mélomaniac pour ses《parcours d'écoute》qui m'ont beaucoup aidé à apprivoiser cette œuvre fascinante... Le plus remarquable est que de suivre ces commentaires en écoutant l'œuvre (sans tenir compte des minutages : c'était Kondrashin/Dresde pour ma part, globalement plus rapide que Jansons) donne une impression de grande évidence, alors que ç'a dû être un boulot considérable... Franchement, chapeau ! |
| | | Mélomaniac Mélomane chevronné
Nombre de messages : 28855 Date d'inscription : 21/09/2012
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Dim 8 Mar 2020 - 2:08 | |
| - Mélomaniac, in playlist, a écrit:
Catégorie orchestrale -rang 111°/250
Dimitri Kitaïenko (1940-)
Dimitri Chostakovitch (1906-1975) :
Symphonie n°4 en ut mineur, Op. 43
= Dimitri Kitaïenko, Orchestre du Gürzenich de Cologne
(Capriccio, février 2003)
En janvier 1936, un article de La Pravda, sur ordre de Staline qui avait assisté à une représentation, fustigea l'opéra Lady Macbeth de Mtsensk comme un galimatias, en accusant le compositeur : « la capacité de la bonne musique à séduire les masses a été sacrifiée sur l'autel d'un formalisme bourgeois ». Bien sûr les raisons de cette diatribe restent multiples. Malgré le succès en URSS et sur les scènes internationales, même la presse étrangère incluait des critiques acerbes, notamment envers le caractère explicite des scènes sexuelles. Toujours est-il que quelques mois plus tard, en décembre, le compositeur se sentant menacé, et pour éviter tout nouveau scandale, retira sa Symphonie n°4 des répétitions à Leningrad. La partition resta sous le boisseau un quart de siècle, pour être enfin présentée au public, en 1961 par Kiril Kondrachine et la Philharmonie de Moscou. Après une première symphonie écrite à dix-neuf ans, pétrie de références (Wagner, Rimsky-Korsakov...) mais déjà persifleuse, après une seconde dans une veine futuriste commémorant la Révolution d'Octobre, après une troisième plus conventionnelle et propagandiste, Chostakovitch s'essayait là à une forme d'une ampleur nouvelle, et surtout à un paradigme mahlérien qui se révèle autant dans les dimensions de l'œuvre que dans la part de subjectivité qui s'y distille. Comme nous allons le voir ci-dessous dans les pistes d'analyse, la structure semble sui generis, délaissant la forme-sonate pour une exploration plus expérimentale, et permettant d'y inclure des séquences justifiées par un propos narratif qui, pour être ostentatoire dans ses manifestations, reste celé quant à la signification sous-jacente. Du moins la palette d'affects et postures (histrionisme, démonstrations autocratiques, flatterie émolliente, festivités de façade...) n'oblitère pas le constat : les codas insondables de chacune des trois parties attestent d'un malaise. Quand un langage use d'hyperbole et litote, ce qui importe se cache derrière l'apparence, et nul doute qu'un regard désabusé parle à bas bruit dans cet opus. Ce qui expliquerait aussi la prudence envers les censeurs du régime qui n'auraient certainement pas été dupes lors de l'audition. C'est une hypothèse toute personnelle, mais je songe souvent à Hamlet de Shakespeare en l'écoutant -que Chostakovitch connaissait pour en avoir tiré une musique de scène en 1931-1932. Derrière l'apparat du protocole, derrière les idéaux autoproclamés du bien commun, il y a quelque chose de pourri dans ce royaume, quelque chose de morbide, corrompu et pernicieux dans cet empire. Chostakovitch l'a compris, et cette symphonie peut alors se percevoir comme un terrible aveu de désillusion face aux dérives totalitaires, qu'il venait de subir et qui influenceront toute sa production artistique et sa philosophie personnelle, lui qui déclara « mes symphonies sont des tombeaux ».
La partition recèle un inventaire des pires difficultés. Tributaire du post-romantisme, l'effectif sollicité est un des plus énormes de tout le répertoire : environ quatre-vingt cordes, bois par quatre, huit cors, deux tubas... Autant dire que la gageure interprétative a minima revient à chevir de cette cohorte ! Même si l'écriture est essentiellement homorythmique, calibrer un tutti de quelque cent-vingt pupitres n'est pas donné à n'importe quelle baguette, d'autant que de nombreux passages contiennent des incursions à contrecourant. Conscient de cette difficulté, le compositeur s'en tient à des tempi plutôt retenus, hormis un presto effréné qui durant quelques pages donne des sueurs froides au mélomane autant qu'au maestro. Les dynamiques sont extrêmes, du vacarme au quasi-inaudible, là encore un challenge, aussi bien pour les salles (une acoustique claire et analytique est préférable pour préserver l'intelligibilité et éviter la saturation) que pour les preneurs de son. Mais l'enjeu est aussi d'ordre expressif : unifier un propos épisodique qui fonctionne par juxtaposition et collage, éviter l'enlisement (passé l'exorde, un premier tunnel guette déjà au bout de quelques minutes à peine...), être capable d'un geste incisif pour insérer les fulgurantes saillies. Ne pas surajouter de la boursouflure à une déclamation déjà passablement infatuée, sans quoi elle devient trop ronflante. Mais ne pas tomber dans l'esthétisation luxueuse -un écueil qui grève l'enregistrement par ailleurs remarquable d'André Previn à Chicago (Emi). Ni sauvageon ni obséquieux, le ton adéquat est celui d'une décadence industrieuse, qui paie tribut à l'angoisse et à l'absurde. Des facettes contradictoires qui requièrent un compromis acceptable. Rares sont les chefs ayant résolu une équation qui s'avère de toute façon abstruse. Parmi les témoignages les plus convaincants, on privilégiera celui du créateur historique, Kondrachine (Melodiya), ainsi que Valery Gergiev à Saint-Pétersbourg (Philips), Mariss Jansons à Munich (Emi), Simon Rattle à Birmingham (Emi), Myung-Whun Chung à Philadelphie (DG), Esa-Peka Salonen à Los Angeles (DG), Vasily Petrenko à Liverpool (Naxos). Ça fait déjà beaucoup de références mais en ou hors intégrale, la discographie est assez bien fournie. Celle que je recommanderais en priorité réussit toutefois (ou s'approche génialement de) la quadrature du cercle. Par ses qualités graphiques : on entend tout dans son juste volume, -impeccable précision des phrasés, judicieuse variété des textures (du rêche au faussement cossu). De plus, et ce n'est pas un mince exploit, le choix de tempi plutôt réservés ne rompt pas le fil, mais garantit une lisibilité maximale, et un profond travail sur l'éloquence et la prosodie. Une telle sagacité nous place en connivence avec le patent mais surtout le non-dit. Difficile d'argumenter cette affirmation, mais pour fréquenter cette œuvre depuis une trentaine d'années, c'est cette interprétation empathique qui me semble la plus authentique, la mieux apte à faire sentir et comprendre le message que Chostakovitch a voulu soustraire aux justiciers de La Pravda. Et ce n'est pas un hasard car le maestro russe a gravé ce qui constitue à mon sens la plus cohérente et stimulante intégrale de toute la discographie, aucun raté dans ces quinze maillons dont la plupart se hissent au sommet. Ajoutons enfin que dans ce concert live d'anthologie, l'orchestre rhénan affiche une cohésion, une implication, une virtuosité exemplaires, et qu'il est splendidement capté.
On notera l'équilibre d'ensemble : deux gigantesques architectures d'une demi-heure encadrent un mouvement central plutôt rhétorique, chacun des trois mouvements répondant à une structure A-B-A-B-A. La tonalité principale est ut mineur, celle des fresques héroïco-tragiques (Passacaille de Bach, 5° de Beethoven, 1° de Brahms...) Le schéma du Allegretto poco moderato – Presto prête à controverse. Une forme-sonate à deux blocs thématiques peut s'y déceler (partie introductive, large développement exploratoire, récapitulation, coda) mais déséquilibrée dans sa physionomie, ses effets, son traitement. Le « fleuve au libre cours » dont parle le musicologue Boris Scharz (Music and Musical Life in Soviet Russia, 1983) invite toutefois à ne pas l'inféoder à une nomenclature trop prédictive, mais plutôt à considérer une Quasi una fantasia en cinq parties (A-B-A’-B’-A’’), que je vais utiliser ci-dessous. Quant au signifié : le ton, les processus illustratifs arborent peut-être moins une épopée qu'une éthopée, comme je l'évoquerais en conclusion. Un virulent trille aigu des flûtes, hautbois et clarinettes est glorifié par les huit cors. La troisième occurrence libère un marcatissimo (0'12) aux bois et xylophone stoppé par un fracas de grosse caisse qui enclenche une scansion des cordes graves et bassons. Violons et trombones assènent un discours sentencieux (0'20), oukase en grande pompe relancée par des véhémences oratoires, des imitations (0'40) en triolets croisées. Retour du marcatissimo (0'57) sur scansion homophone des cors. L'hypotypose débouche sur un climax (1'20), qui se calme (1'44) tout en préservant la motricité. La seconde section déroule une phrase plus lyrique aux violons (2'20), un brin comateuse dans sa conduite diluée à divers pupitres. Quelle drôle d'errance après un début si directif ! Une sonnerie étouffée aux trompettes (4'00) déploie cependant un crescendo qui réaffirme une volonté assertorique, grandiloquente, dérivée de la première section. Les cors élèvent la voix (4'50), flûtes et piccolo piaillent (5'00), les mailloches frappent (5'09), la marche redevient prégnante (5'38) et encore plus grotesque, battue par la caisse claire jusqu'à un clash (6'00) qui marque l'acmé de cette troisième section. Le bégaiement des cors (6'07) y met un terme, sur quelques péremptoires claquements avec l'appoint du wood-block. La quatrième section (6'25) introduit une nouvelle idée, débonnaire, en triolets de bassons et hautbois soutenus par les pizzicati de basses et les timbales. Le rythme se disloque à 5/8 (6'50) puis redevient ternaire pour supporter un sardonique chorus à l'unisson de bois (7'09) qui cesse par l'incursion de la timbale (7'19). Seuls violoncelles et contrebasses osent murmurer quelques bribes pimentées par piccolo et basson (7'38). Une plainte amorcée aux cordes graves (7'57) enfle jusqu'à une déflagration générale fortissimo (8'26) qui achève la première partie. La Seconde partie (8'43), sorte de valse lente et étiolée, exprime au basson une rémanence de la seconde section de la première, auréolée par la harpe (9'17) : une mélodie poursuivie par les cordes (9'22). Notons la désinence geignarde (9'59) qui va bientôt jouer un rôle fondamental. Un pâle accord des flûtes (10'52) tamise un solo de clarinette basse (10'58) chatouillé par la harpe. Cette ambiance diaphane se poudre de quelques tintements du célesta (11'46). Le cor (11'57) reprend la mélodie principale de cette partie qui accélère (12'27) en enrôlant les bois. Les violoncelles (13'02) affermissent un tropisme vers un propos fébrile où surnage la trompette (13'24). Des fusées de cordes et bois en triples-croches (13'35) expulsent un climax (13'50) sur le motif geignard (entendu à 9'59) dont la clameur outrecuidante atteint ici une signification quasiment métadiégétique. Les violons lacèrent la mélodie principale maugréée en valeur lente par les deux tubas et contrebasses (14'15). Cet épisode aussi cocasse que lugubre (presque pasolinien par sa tératologie en carton-pâte) s'escamote instantanément par le retour de la Première partie qui vient couiner par les bois fanfarons (15'23), tel un espiègle orgue de barbarie. Une interjection sur le wood-block (16'13) introduit des pizzicati qui avivent une jactance acidulée. Un frullato (trémolo dental) de trompette (17'11) ajoute à l'incongruité et précède un soudain Presto (17'25) où les cordes vont successivement s'élancer dans un fugato vertigineux que rien n'explique, si ce n'est les pulsions éruptives qui fomentent ce premier mouvement de l'œuvre, avec leur lot d'arbitraire. À moins qu'un plan secret justifie aussi ce parcours dont nous assistons ici à une séquence particulièrement cinématographique. L'irruption des contrebasses (18'42) transforme la course en cavalcade où s'amalgament tous les pupitres, y compris les tambours (19'14) pour ce qui devient une chevauchée apocalyptique. Les cors rugissent le motif de marche en valeur longue (19'17), alimenté par les autres cuivres. Toutes les percussions se joignent au cataclysme fortissimo : xylophone (19'40), cymbales, tam-tam... certainement la page la plus assourdissante de l'histoire de la musique ! Cors et trombones interjettent des spasmes haletants (19'55). Violons et altos interposent des appels affolés (20'07) qui dans leur contour dérivent de la mélodie de marche, démembrée et suffoquée. Les cordes graves la scandent d'ailleurs (20'16). Mais la mécanique et la logique s'enrayent car c'est plutôt la mélodie de valse qui revient profiler un avatar de la Seconde partie (20'40), aux archets, aussi à la clarinette basse (21'01), puis sournoisement aux cordes graves (21'25) embuées par un sibilant flatterzunge des flûtes. Un roulement de timbales (22'02) annonce une série de huit semonces, gonflées avec les cuivres, chacune plus urgente et sonore (la dernière culmine sur un quintuple fffff !) Là encore, procédé cinématographique répondant à un prétexte narratif inexpliqué mais terriblement éloquent. Observons aussi l'approche stratifiée de la masse orchestrale puisque après les cuivres, ce sont les bois qui à découvert vocifèrent (23'04), puis les cordes (23'27). Celles-ci hoquètent sur la tête du thème de marche, concentrant sa force à la fois mélodique et rythmique, tandis que le trille liminaire retentit aux bois. Le pépiant motif marcatissimo se reconnait d'emblée (23'51) et impulse une superposition des idées principales : celui de la première partie aux bois, celui de la seconde partie aux cuivres bouchés. Mais l'appareillage semble fatigué (24'41), le cor anglais vient méditer sur les événements (24'49) : sa plainte dans l'aigu (dérivée de la seconde partie) culmine sur le motif geignard (25'51). Pianissimo, les altos aussi (26'10) rêvent à la valse, qu'à son tour dévide le violon solo, dans une veine lyrique étirée et éthérée, absolument sereine. Mais comme un diablotin qui trépigne dans sa boîte, basson et grosse caisse (27'58) viennent remuer la marche initiale, dans cette cinquième partie en guise de Coda. Cor anglais, violoncelles (29'04) participent au rappel in extenso de l'Exposition, mais toujours au ras du silence. Et l'atmosphère intrigante du début, mi-héroïque mi-burlesque, devient ici glaciale, ce que confirme le râle omineux des trombones et tubas (29'24). Les bois hurleurs tentent de ranimer le cadavre (29'33), mais l'orchestre se cambre aussitôt d'effroi, et le cor anglais maintient sa litanie astringente. Un autre sursaut (29'48) ne rencontre que le souffle froid des cuivres graves qui expirent (30'20) et scellent un caveau que personne ne pleure. Au terme de cette aventure, et au-delà de la dimension épique, on peut a posteriori imaginer le portrait secret d'un héros de comédie : ses diatribes ampoulées, ses facéties, ses gesticulations outrancières (à la Don Quichotte). Malgré (ou en raison de) l'emphase de certaines pages, l'impression qui domine est celle de la farce, ou du moins d'un narrateur irrévérencieux qui ne prend pas son personnage au sérieux, voire le caricature avec perfidie. Préfigurant ce qui sera avoué plus ouvertement dans la symphonie n°10, s'agirait-il ici d'une satire d'un « Petit Père des Peuples » ?
Après l'éreintant psychodrame qu'a déployé le protéiforme premier mouvement, ce Moderato médian constitue un interlude concis, un exercice de contrepoint imitatif. L'esprit se veut aussi ludique qu'étrange, tout à tour lunatique ou grotesque. Bref plutôt mahlérien. Et typiquement chostakovien quand le sarcasme se mêle subtilement à l'absurde. Hormis quelques saillies, la dynamique se maintient dans un registre feutré qui ne recourt jamais au plein effectif du tutti. Articulé sur un rythme ternaire 3/8, le tempo reste constant (croche à 144), ce qui établirait arithmétiquement une durée théorique de huit minutes vingt-quatre. La structure binaire répond à une alternance A-B-A'-B'-A". Les altos introduisent sotto voce le thème principal formé de deux sections. La première (nommons-la « a ») semble une mystérieuse épigramme : deux groupes de quatre notes scandées trois brèves une longue. Fa-ré-fa-laaa / fa-ré-fa-soool : un intervalle de tierce mineure (celui que cultive Debussy au début de La Fille aux cheveux de lin), qui chute d'abord en sixte puis en septième, mineures également. Un profil qui rappelle le motif médiéval du Dies Irae ! La seconde portion (0'06-0'20, nommons-la « b ») s'élance en une phrase ascendante, rapide, mélismatique. Les autres cordes viennent progressivement tramer le retour de la section a, exposée maintenant aux violons 2 (0'33-) puis, après un bref crescendo, aux violoncelles et contrebasses (0'54-). Les bois font leur entrée par la clarinette piccolo (1'03) qui chantonne la section b, bientôt contrepointée de promptes figurations au basson. Un hautbois caquète un mi (1'23), entrecoupé par quatre acides glissandi des violons. Une intimation des cordes converge symétriquement (1'34). S'en échappent des moqueries de piccolo et xylophone, avant que la clarinette ne reprenne à son compte la section a (1'47-). Des sonneries de trompettes bouchées resserrent les rangs (2'08), le motif a rugit en strette aux trombones. Le tuba puis les cors y joignent leurs mugissements. Des pizzicati à l'unisson excitent une tournoyante envolée des clarinettes (2'27), qui absorbe graduellement les autres bois et cuivres en crescendo. La tension culmine et débouche abruptement sur la Deuxième partie (2'37) : ré-fa# assénés aux timbales, un trémolo grave des clarinettes signalent un changement de décor. Les violons exposent à découvert une nouvelle mélodie (2'52, désignons-la « B »), de profil descendant apparenté à la section a qu'elle semble gloser. Cette paraphrase est scandée par l'accentuation anapestique aux violoncelles (ut grave : deux double-croches, une noire), puis se décline (altérée et abrégée) sur le même tracé rythmique, étoffé par altos et contrebasses. Un cor solo reprend B (3'25), enluminé par piccolo et flûte. Piccolos, flûtes et basson par paires en répètent successivement des fragments à la quinte. Une vigoureuse scansion émanée des basses (3'59) entraîne un passage véhément où le thème se distord à divers pupitres, avant que trois notes frappées aux timbales n'achèvent ces grimaces, nous amenant à la Troisième partie A' (4'11). Elle reprend en fugato les sections a et b, d'abord entendues aux violons (4'22-), aux violoncelles (4'55-), aux altos (5'15-), puis s'enlacent en circonvolutions de plus en plus pressantes. Violoncelles et contrebasses martèlent le motif a en crescendo opiniâtre (6'31) : cette obstination annonce le transfert du fugato aux bois (6'43), dans l'ordre suivant : piccolo, flûte, clarinette, clarinette basse. Ces instruments ourdissent une polyphonie étroite, finalement augmentée par tous les bois, qui en Quatrième partie appelle un retour du thème B, lequel fait irruption (7'30), clamé par quatre cors, scandé par l'anapeste des bois à l'unisson, puis par les cordes dans le registre grave (7'51) tandis que hautbois et clarinette superposent un contrechant puissant et capiteux. Advient une autre exploitation (8'27-), acclamée par piccolo, flûtes, hautbois, clarinette piccolo ; épaulée par contrebasses, tuba, contrebasson en valeur longue ; festonnée par cors et clarinettes basses en double-croches. L'intensité du climax décroît tandis que le basson solo marmonne un souvenir du même B (8'51) qui cède soudain place à la Cinquième partie (A''), une rémanence onirique de la première. On rencontre deux principaux types d'ostinatos dans la musique de Chostakovitch. Ceux qui caricaturent l'acharnement d'une violence aveugle : l'épisode de l'invasion battu par les tambours dans le premier mouvement de la Symphonie n°7, la toccata à 2/2 du troisième de la n°8, les assauts de percussions qui déferlent pour illustrer la répression tsariste face au Palais d'hiver dans la n°11... Et ceux qui symbolisent une cinématique dérisoire : exutoire trivial et mécanique d'une condition brimée, une chorégraphie d'automates comme à la fin du Concerto pour violoncelle n°2 ou de la Symphonie n°15. Ce qu'on entend maintenant (9'02) se rattache plutôt à cette seconde catégorie. Un obsédant cliquetis de percussions ligneuses (caisse claire, castagnettes, wood-block), trois notes arpégées que pincent les contrebasses, un ré extrême-grave qui résonne sourdement de la harpe... Que cela signifie-t-il ? Un ruissellement caverneux ? Un télégraphe enrayé ? Un tic-tac de bombe à retardement ? La claudication de squelettes d'outre-tombe ? (auquel cas le thème B se percevrait rétrospectivement comme une Danse macabre, validant l'idée d'un Dies Irae stylisé). Face au Cleveland Orchestra avec lequel il préparait cette œuvre, Gennadi Rojdestvenski soumettait une surprenante hypothèse : on dirait le tapotement d'un prisonnier sur la tubulure du chauffage pour communiquer avec les détenus d'autres cellules... À chaque mesure, cette spirale d'horlogerie mouline une bourdonnante évocation du thème A que les violons murmurent dans un frémissant trémolo de triple-croches. Comme une rengaine qui s'insinue irrésistiblement dans une arrière-conscience. Une furtive réapparition des quatre notes monogrammatiques de la section a s'exhale à la flûte (9'22) et se suspend dans un abrasif flatterzunge. Un ultime effleurement au xylophone marque la fin de cette insolite ambiance, digne d'un surréaliste tableau peint par Giorgio de Chirico.
Digne pendant du premier mouvement, le vaste Largo – Allegro scénographie une succession d'épisodes contrastés où l'on peut tenter de déceler, comme dans les deux précédents, une structure croisée A-B-A'-B'-A". Toutefois le recoupement reste lâche : A et A', B et B' partagent une communauté d'esprit plutôt que de strict contenu thématique. La Première partie A est notée Largo (4/4, noire à 69), ce qui permet une lente procession, comme un hommage aux Trauermarsch mahlériennes. dont le climat funèbre se mêle ici à un ton ironique. Timbales et contrebasses induisent un balancement (ut-fa#) qui recueille la déploration du basson (appelons là a1), bientôt rejointe par la clarinette basse. Observons-y d'emblée les trois premières notes (do, ré, mi bémol) car elles exerceront une fonction capitale dans tout ce Finale. Épaulé par le contrebasson, un second basson se joint au convoi et répète ce thème avec son compère (0'49-). Les trois notes liminaires sont maintenant écartelées par le hautbois (0'57-) : do-fa-si, soit un intervalle de septième majeure qui jouera un rôle prépondérant dans la Coda. Désignons par a2 cette idée. Ce sont maintenant deux clarinettes qui reprennent les trois notes d'incipit (1'31) et invitent la flûte à dérouler sa propre variante de la complainte, amorcée par un autre intervalle de septième (fa-si bémol-mi). Violoncelles et contrebasses reprennent le thème introductif (1'55), brodé par le piccolo. Les violons en sourdine esquissent une transition vers un thème b (2'18), énoncé par deux clarinettes, puis façonnent avec les altos un vigoureux ruban de double-croches (2'49) qui propage la marche funèbre aux cuivres (3'05), précédée par un roulement de caisse claire. La tierce mineure ascendante de a1 devient descendante dans le motif (do-si-la) clamé par les trompettes, qui redisent ensuite le thème b à découvert (3'21-). Un crescendo aboutit à un tutti fff où les cuivres portent a1 en triomphe. Ce climax se délite rapidement par une douce figuration qu'effilochent violons 2 et altos (3'51), sur laquelle les violons 1 déploient une mélodie dérivée du matériel thématique principal. Bassons et contrebasson (4'50) marmonnent l'incipit sur lequel hautbois puis clarinette viennent tramer en canon. Contrebasses et timbales réintroduisent le balancement initial (5'47) pour accompagner le retour de a1 aux violoncelles. Mais cette mélopée s'interrompt par un signal d'alarme (5'58) engrené crescendo, alternativement par deux hautbois, augmentés des clarinettes. Des interjections raclées aux violoncelles et contrebasses (6'15) aiguisent ce climat d'urgence. Quand flûte et piccolo amplifient cette stridente sirène (6'40), on attend l'imminence d'un événement. En effet, une prompte descente arpégée aux violons et altos nous propulse dans un tournoyant Allegro qui constitue la Deuxième Partie (6'48-) Les deux dernières notes (mi-ut#) de la chute arpégée activent une véloce toccata à 3/4 (blanche pointée à 84 souhaitée pour le tempo). Cet intervalle de tierce mineure (encore un !) va amorcer diverses attaques au sein d'un contrepoint serré qu'ourdissent les cordes. On retrouvera ce type d'ostinato dans le troisième mouvement de la Symphonie n°8, le deuxième de la n°11... Un palier est atteint (7'31) : un bref unisson grave des cordes (scandé par cors, hautbois et clarinettes) s'enivre de triolets aigus aux violons 1 et piccolo. Une ascension des trombones puis des cors confie le sardonique scherzo aux bois (7'50-). Puis l'on atteint un nouveau palier (8'01) : flûtes, hautbois, clarinette piccolo hurlent une série de triolets auxquels répondent sitôt des accroches de violoncelles et contrebasses. Ces saccades vont jouter en deux équipes dégingandées : violons 1 et altos / violoncelles et contrebasses. L'immixtion des cors à contretemps (8'59) traduit l'essoufflement de ces réparties qui connaissent un répit (9'26) : hautbois et clarinettes apportent une première diversion qui dédramatise le propos, même si perdure la respiration haletante. Quatre cors imposent une nouvelle phrase (9'42) dont l'énoncé en valeur longue (blanches pointées) se dégage du tumulte et se voit rejoint progressivement par tous les bois et les violons 1 (divisés) à mesure que la mélodie se fluidifie. La tension se relâche, l'humeur s'éclaire et exulte soudain sur un clash de cymbales (10'09). Les timbales scandent une radieuse saillie aux violons et bois qu'illumine le glockenspiel. Les cuivres participent à la liesse générale (10'20). Mais les trombones daignent s'opposer, attirant la réprobation de tout l'orchestre (10'39). L'intervention grandiloquente des cordes réclame alors la fin des turpitudes : un raffut de trois notes martelé par les timbales (10'59) se réitère diminuendo, pendant que ronchonnent encore le tuba puis les cors qui se taisent à regret. Seul l'un d'eux maintient un mi bémol à l'extrême grave de son registre, d'où émergent subrepticement clarinette basse et piccolo (11'31) : sur un intrépide rythme à 2/4, dans le silence général, ces joyeux drilles viennent danser une polka, comme deux farfadets au clair de lune. Les tintements des harpes mettent terme à leurs ébats (11'47), en amenant la Troisième partie (A') : Elle juxtapose trois sections disparates, comme une galerie de vanités. D'abord un rythme ternaire (11'50) dévide une valse lente aux violoncelles, puis flûtes et violons. Le style diaphane s'affecte de quelque préciosité, comme un hommage au siècle galant. Mais l'accompagnement très dépouillé, les tics d'instrumentation (trilles insistants) accusent une certaine bizarrerie. Des roucoulades échangées entre flûte et piccolo (12'59) déclenchent un cri aigu de tous les pupitres de flûtes, hautbois et clarinettes (13'17), lui-même absorbé par un grognement ut# des contrebasson et contrebasses (13'24). De calmes appels de cors et d'altos, harangués par les serinages du piccolo, incitent la mélodie de valse à se reformer timidement. Jusqu'à ce qu'une escalade arpégée aux violoncelles (14'27) n'émoustille tous les pupitres de cordes dont le pouls s'accélère. Seconde section de A', violoncelles et contrebasses s'emparent de cette excitation et embrayent une scansion anapestique (deux croches une noire) tandis que le rythme devient binaire (2/4). Sur ce galop, le basson s'élance dans une chorégraphie goguenarde qui parodie la marche funèbre et s'entrecoupe par une autoritaire ritournelle des cordes (14'52). Même scénario jusque 15'21. Puis c'est au tour des flûtes, piccolo et xylophone d'exhiber leur numéro de saltimbanque, sous les huées des deux tubas à contretemps. Nouvelle ritournelle des cordes (15'42) puis voilà le trombone solo qui entre en piste pour fanfaronner. Le basson revient à croupe (16'19) en caracolant sur le piccolo. Troisième section (16'34), le rythme redevient ternaire pour une valse rapide (noire à 184) pincée par des pizzicati, menée par clarinette, flûte et basson, ce que vient perturber le trombone en goguette (17'02). Imperceptiblement, sans transition, le rythme redevient binaire pour la Quatrième partie B' (à 2/4, noire à 100). Dans le même style de libre toccata que la partie B, violons et altos continuent de dévider des mussitations lénifiantes (18'02), enfermées dans un ambitus restreint et terne, susurrées sur les saccades des violoncelles et contrebasses. La dynamique prend du volume (18'38), le trombone revient narguer quelques paroles de plus en plus éparses (18'48), tandis que la scansion se clairsème (deux brèves) puis se réduit à une simple impulsion de croches à l'unisson des archets (19'11), soutenue par une pédale harmonique des clarinettes et du cor. Hautbois et basson solo viennent y greffer un vestige de rengaine dont les violons répètent en écho la désinence, ensuite singée par violoncelles et altos. Sans crier gare, une flûte désinvolte (20'12) réintroduit l'accroche de la partie B (mi-ut #) au gré d'une nouvelle valse qui s'insinue furtivement. Depuis quelques minutes, on sent que le matériau se raréfie, les idées s'appauvrissent, se cherchent une contenance et une substance. Violoncelles et contrebasses enclenchent une mécanique inertielle (20'32), où viennent luire de longues et lugubres phrases aux violons 2 et aux altos en sourdine, qu'illumine bientôt un sol aigu des violons 1 (21'09) tel un reflet surnaturel. Ces lueurs agonisent fixement, s'éteignent dans une nuance morendo. L'inspiration semble tarie, prostrée, à bout de course, à bout de force. La symphonie pourrait s'arrêter là, échouée dans cette apoplexie. Seules les basses remuent encore par un ultime réflexe nerveux. Quand soudain surgit la Cinquième partie A'' (21'25-) Au fond de la salle, grosse caisse et timbaliers trépignent, enflent un raz-de-marée. La digue explose (21'33) : les cuivres vocifèrent un choral poussif sur la cavalcade des mailloches qui charrient les débris emportés par ce déferlement. Cette catastrophe terrorise et pourtant assume une purge cathartique, au goût amer : au milieu des remous (22'30), les bois persiflent une transposition du motif a2 (sol-ut-fa#). Gonflé par la percussion, le tsunami reprend vigueur et tourne à la tragédie (22'46). Car se régurgite maintenant une bile hideuse, coagulée par de douloureux quartolets : l'orchestre crie à toute force vers le ciel, jusqu'à une nouvelle clameur du choral (23'24). Ce déchirant tutti est aspiré par la bonde d'un vertigineux decrescendo (fff>ppp, 23'31) : un fracas de caisse claire, cymbale, grosse caisse avale toute matière comme une étoile qui s'effondre en trou noir. Ne subsiste qu'une ponctuation qui va désormais escorter toute la Coda (23'38). Consternation. La tierce mineure qui formait l'incipit du motif a1 serpente aux bois graves. Ce fuligineux tableau d'apocalypse fait rétrospectivement comprendre que le désultoire scénario de ce troisième mouvement (hétéroclite alternance de marche funèbre, valse, galop et autres rengaines) était la façade d'un monde en sursis. Derrière les masques arrachés apparaît à nu le pessimisme du compositeur, qui laisse prémonitoirement sourdre la déréliction d'un homme face aux absurdités d'un régime despotique. La symphonie suivante, la n°5, saura se dissimuler dans l'ambivalente facticité qui dupera les censeurs. Les dernières minutes de la Quatrième s'accablent d'une prise de conscience et résonnent comme une aporie désespérée. Dans ce cimetière de ruines et de cendres rôde le spectre du motif a2 au cor (23'57), à la flûte (24'16). Face au désastre, nulle duplicité ne saurait secourir. Quel autre refuge que l'indicible ? Des suspensions blêmes qu'étirent violons et altos se replient vers les sphères les plus intimes (24'54-) où ne vibrent que la pulsation des contrebasses et harpes, les frissons spasmodiques de la grosse caisse, le souffle navré des flûtes et clarinettes. Les cordes en apesanteur (26'21) se figent dans une immuable contemplation de l'espace infini, la pulsation se transfère à la timbale, le célesta égrène un motif énigmatique (26'41). Une trompette en sourdine invoque a2 par deux fois (27'14, 27'32). La timbale se tait (27'54). Le célesta perpétue son cristallin rituel qui ne déroge finalement que pour gravir un fa aigu (28'19). Les cordes s'amuïssent, ferment les yeux devant le néant, résignées dans la quiétude de l'intériorité silencieuse.
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| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97916 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Dim 8 Mar 2020 - 10:23 | |
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| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Dim 8 Mar 2020 - 10:48 | |
| Oui, moi aussi, c'est pour ça que je lis toujours avec attention les textes de Mélo, même quand l'œuvre ne me plaît ou ne m'intéresse pas plus que ça: pour le plaisir de découvrir ou de redécouvrir des mots rares, un onglet ouvert sur le CNRTL. Et en effet, chevir |
| | | Ravélavélo Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9130 Localisation : Pays des Bleuets Date d'inscription : 28/09/2015
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Mer 6 Mai 2020 - 4:10 | |
| J'ai écouté hier cette Quatrième Symphonie de Chostakovitch. Je vais la réécouter encore quelques fois pour mieux m'en imprégner: c'est gigantesque avec des effets variés et saisissants.
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| | | arnaud bellemontagne Gourou-leader
Nombre de messages : 25933 Date d'inscription : 22/01/2010
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Mer 6 Mai 2020 - 10:58 | |
| Grandiose et épique. Peut être la symphonie la plus mahlerienne de Chosta. |
| | | Ravélavélo Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9130 Localisation : Pays des Bleuets Date d'inscription : 28/09/2015
| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch Mer 6 Mai 2020 - 12:13 | |
| - arnaud bellemontagne a écrit:
- Grandiose et épique.
Peut être la symphonie la plus mahlerienne de Chosta. Oui, elle clôt le Chostakovitch 'première manière'. |
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| Sujet: Re: la quatrième symphonie de Chostakovitch | |
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