Gabriel FAURÉ – Musique de chambre

Il était question du Premier Quintette avec piano en 'Playlist' avec Xavier.

… en regardant la partition du Fauré, c'est complètement détraqué comme truc, tout est en quinconce, il y a des altérations à chaque note… pas étonnant que ça te plaise. Mais c'est tout ce qui fait le charme de Fauré : ça ne s'entend pas, il ne va pas coller des changements brutaux de couleur, tout est dans le glissement très progressif un peu hors de ce qui serait attendu. Des bouts de mélodies glissent hors du cadre, il n'y a pas de note « fausse » isolée comme chez Chostakovitch ou Prokofiev, ni de modulations nettes entre deux sections comme chez la plupart des compositeurs normaux.

Le mouvement lent, comme celui du Second Quatuor avec piano, est quand même franchement à couper le souffle, je l'admets.

Fait étonnant, le Premier Quintette est pianistiquement sans grande difficulté pour le piano, des « unissons » (ou plutôt des octaves avec un doigt à chaque main), de petits accords, des croches bien régulières…
C'est surtout qu'il ne faut rien rater, les cordes sont en permanence tuilées, donc pour s'y retrouve rensuite… Et puis il y a quelques changements de mesure où il ne faut pas se laisser déstabiliser, d'autant plus que cette musique se joue en principe un peu « en dehors » du temps, ce qui ne facilite pas les repères. Mais étonnant, pour une musique aussi retorse, d'être aussi jouable (en tout cas les deux derniers mouvements, le premier réclame déjà une certaine fluidité).

Côté cordes, ça ne tricote pas, ça ne fait pas non plus dans l'extrême, même si les intervalles ne doivent pas toujours être très « violonistiques ». Le violoncelliste n'a pas l'air trop méchamment sollicité, par exemple.

Xavier a écrit:

Quatuor à cordes surtout!
Les quatuors avec piano, pour l'instant, ça ne m'a pas tellement passionné... c'est vrai qu'il faudrait que je réessaie. (mais je suis très branché post opus 60 chez Fauré je l'avoue)

Le Premier est clairement d'un romantique plus traditionnel, mais à mon avis, tu pourrais déjà trouver de très belles satisfactions dans le Second ! Quel mouvement lent, tout de même…

Cololi a écrit:

Le quatuor à cordes je n'ai pas essayé (j'avoue qu'il me fait un peu peur)

Ah, ça ne rigole pas, c'est sûr : assez sombre, très dense – aucune facilité mélodique, aucun moment un peu véhément pour attirer l'attention… il faut vraiment le regarder de près. Mais à côté du Quatuor de Magnard, c'est le générique de la Petite Maison dans la Prairie.

Je ne suis pas tout à fait d'accord: le final est même assez léger d'ailleurs.
Ca peut paraître austère, mais en fait c'est assez lumineux, et tellement beau harmoniquement...

Je m'étonne quand même un peu, Xavier, que tu classes le deuxième quatuor avec piano (celui en sol mineur) dans les oeuvres de jeunesse au même titre que le premier ou que la première sonate pour violon... Pour moi on est plus proche de l'esthétique du premier quintette justement.

DavidLeMarrec a écrit:

[Mais à côté du Quatuor de Magnard, c'est le générique de la Petite Maison dans la Prairie.

J'adore tes comparaisons

Xavier a écrit:

Je ne suis pas tout à fait d'accord: le final est même assez léger d'ailleurs.
Ca peut paraître austère, mais en fait c'est assez lumineux, et tellement beau harmoniquement...

Je n'entends pas du tout la lumière, mais alors vraiment pas du tout. Pour moi, c'est un peu le même univers que le Jardin Clos, j'ai l'impression d'être sous une chappe de tourbe et de voir éclore des champignons fleurs inattendues. Mais il fait drôlement sombre là-dedans, si je n'avais pas peur d'embraser tout le schiste, je sortirais mon briquet.

benvenuto a écrit:

Je m'étonne quand même un peu, Xavier, que tu classes le deuxième quatuor avec piano (celui en sol mineur) dans les oeuvres de jeunesse au même titre que le premier ou que la première sonate pour violon... Pour moi on est plus proche de l'esthétique du premier quintette justement.

Oui c'est l'opus 45, plus tout à fait une oeuvre de jeunesse... mais ça me semble assez éloigné des raffinements incroyables de l'opus 89 quand même.
L'évolution de Fauré est quand même assez fulgurante du point de vue harmonique en assez peu de temps.

Xavier a écrit:

benvenuto a écrit:

Je m'étonne quand même un peu, Xavier, que tu classes le deuxième quatuor avec piano (celui en sol mineur) dans les oeuvres de jeunesse au même titre que le premier ou que la première sonate pour violon... Pour moi on est plus proche de l'esthétique du premier quintette justement.

Oui c'est l'opus 45, plus tout à fait une oeuvre de jeunesse... mais ça me semble assez éloigné des raffinements incroyables de l'opus 89 quand même.

Pas plus que du romantisme post-schumannien du premier...on a déjà les circonvolutions mélodiques et les errances harmoniques typiques du Fauré de maturité. Après, que ce soit techniquement moins poussé que les quintettes, sans doute, mais en terme d'affect je trouve ça très proche.

J'ai donc réécouté ces deux quatuors avec piano.

Le 1er est une belle réussite de jeunesse, mais ce n'est pas le Fauré que je préfère; je note quand même le superbe mouvement lent.

Le 2è est vraiment du Fauré 2è manière, ou de première maturité si on veut, déjà plus modulant et plus fin mais encore assez expansif.
Je préfère celui-ci... mais ce n'est pas encore le Fauré le plus personnel que je préfère et qui arrive à partir de l'opus 60 environ.

Peut-être que s'il n'avait plus rien écrit après, j'écouterais ces deux quatuors en boucle.
Mais voilà...

Pour ma part, entre le quatuor à cordes, le trio et les deux quintettes, j'aurais du mal à hiérarchiser, sans compter le sublime mouvement lent de la 2è sonate pour violon, et celles pour violoncelle ne sont pas si mal non plus...

Rav-phaël a écrit:

C’est sûr que le Quatuor à cordes, à côté, ça dépasse tout !  

Certes, j'adore le Quatuor à cordes - ne serait-ce que pour son côté évasif, qui le rend passible de lectures très contrastées: on peut vraiment y lire quelque chose de très lumineux, de très heureux (Quatuor Parisii) comme au contraire quelque chose de très abrupt, de presque tourmenté (Quatuor Ebène).

Pourtant, et alors même que je suis très quatuorophile, je me demande si je ne préfère pas encore les Quinettes (surtout le Premier, d'ailleurs). J'ai l'impression que le piano apporte vraiment une autre dimension au son - pas seulement une voix supplémentaire au contrepoint, ou son timbre ou sa texture. J'aurais du mal à l'expliquer, mais j'ai l'impression d'une espèce de profondeur de champ harmonique qui se creuse.

(De toute façon , j'ai toujours du mal à (m')expliquer ce que je ressens dans Fauré: je crois que ce que ça tient à la dimension harmonique qui est ce que je connais le plus mal, techniquement, dans l'écriture musicale, que j'arrive le moins bien à identifier à l'oreille et donc à verbaliser.)

Tu ne dois pas faire exception: je ne crois pas qu'on puisse être fan de Fauré pour son écriture rythmique, ses lignes mélodiques ou son orchestration... c'est l'harmonie qui emporte tout, et de loin, chez lui.

Bien sûr, je ne dis pas que le reste est anodin, et c'est un tout cohérent, mais si on doit détacher un élément, c'est quand même l'harmonie qui fascine en premier lieu chez Fauré il me semble.

Xavier a écrit:

Bien sûr, je ne dis pas que le reste est anodin, et c'est un tout cohérent, mais si on doit détacher un élément, c'est quand même l'harmonie qui fascine en premier lieu chez Fauré il me semble.

Oui: j'ai failli te répondre que j'aimais beaucoup l'orchestration de Fauré, son espèce de clarté mate (j'ai en particulier une vraie passion pour sa musique pour Pelléas) - mais en fait, c'est très dépendant de son harmonie: la même orchestration sur une harmonie plus conventionnelle, ce serait d'une grande fadeur.

Rav-phaël a écrit:

je dirais que le reste me fascine peut-être plus encore, pour cette manière « anormale » de faire les choses , si inattendue, que j’ai souvent du mal à saisir, et que j’aurais du mal à expliquer. Ce mystère, c’est bien là ce qui me fascine le plus chez Fauré. Le mystère de son fonctionnement musical intérieur.

C'est curieux, parce que j'ai la même impression: alors même que l'impression première est d'une sorte d'évidence, je me sens toujours un peu égaré, un peu déstabilisé chez Fauré (et en particulier dans sa musique de chambre, sûrement parce que c'est là que son harmonie est le plus à nu). Mais ça tient comme je le disais à ce qu'il travaille sur ce qui échappe le plus à mes compétences musicales (très) limitées.

Benedictus a écrit:

Xavier a écrit:

Bien sûr, je ne dis pas que le reste est anodin, et c'est un tout cohérent, mais si on doit détacher un élément, c'est quand même l'harmonie qui fascine en premier lieu chez Fauré il me semble.

Oui: j'ai failli te répondre que j'aimais beaucoup l'orchestration de Fauré, son espèce de clarté mate (j'ai en particulier une vraie passion pour sa musique pour Pelléas)

J'ai failli dire la même chose, mais comme une blague — l'essentiel de Pelléas est orchestré par Koechlin.

Pénélope ou la version ample du Requiem, c'est déjà beaucoup plus difficilement défendable côté orchestration.

DavidLeMarrec a écrit:

Benedictus a écrit:

Oui: j'ai failli te répondre que j'aimais beaucoup l'orchestration de Fauré, son espèce de clarté mate (j'ai en particulier une vraie passion pour sa musique pour Pelléas)

J'ai failli dire la même chose, mais comme une blague — l'essentiel de Pelléas est orchestré par Koechlin.

Ah? Je croyais que c'était seulement la Chanson de Mélisande.

Oui mais il me semble qu'il a remanié l'orchestration de Koechlin très rapidement... d'ailleurs Holliger a récemment enregistré la vraie orchestration de Koechlin. (disque "Koechlin Magicien orchestrateur)
Amis-Charles avait donné plus de détails dans un sujet Koechlin...

Voilà, c'est ici: https://classik.forumactif.com/t72p700-koechlin

bonsoir chers amis xavier david et les autres j'écoute en ce moment l'opus 115
Fauré: Piano quintet in C minor, op. 115 | Quatuor Ébène
watch?v=DBoyOmasd4w

que c'est divin.....qu'en pensez-vous ? merci !

hommepiano a écrit:

bonsoir chers amis xavier david et les autres j'écoute en ce moment l'opus 115
Fauré: Piano quintet in C minor, op. 115 | Quatuor Ébène
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que c'est divin.....qu'en pensez-vous ? merci !

C'est une merveille, bien sûr (et particulièrement bien servie dans cette interprétation). Ça fait partie, avec les ensembles équivalents de Brahms (quintettes et quatuors avec piano), de sources auxquelles je reviens inlassablement puiser…