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| Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) | |
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/ Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Dim 22 Avr 2018, 09:30 | |
| Neue EinfachheitS’il [l’artiste] fonctionne, c’est qu’il aura intériorisé tout ce que la classification lui a prémâché — qui il est, à partir de quoi il crée, en quoi consiste ce qu’il crée. Il devient utilisable. Utilisable dans une époque qui fixe, qui réglemente, qui sature. La technique de cette époque est la spécialisation, dont le premier stade se nomme classification. C’est sur cet arrière-plan que la notion de “Nouvelle simplicité” nous apparait comme ce qu’elle est : une tentative de castrer la liberté. Aux artistes de voir s’ils veulent tomber de leur plein gré dans ce piège, en se sentant obligés d’attraper une nouvelle chimère, la “Nouvelle simplicité”, sans savoir très bien ce que c’est. (Rihm, 1979) L’étiquette encombrante de Neue Einfachheit (Nouvelle simplicité) est apparue en Allemagne au cours des années 70, associée à celles de Neo-Romantik, Neo-Tonalität, Neue Subjektivität, etc. Elle s’est collée à un ensemble de compositeurs qui n’avaient vraisemblablement rien demandé, et sans qu’on sache vraiment de quoi on parle (musique « simple » à écrire, à écouter, à analyser ?). Pas du tout de mouvement unitaire et revendiqué donc : c’est tout le contraire. Étrange entreprise que celle de dresser une catégorie figée pour défendre la liberté et le non-dogmatisme, et il est probable qu’elle avait plutôt pour but de la circonscrire. Il n’empêche qu’elle s’est imposée jusqu’à aujourd’hui, et il faut bien composer avec. Du reste elle n’est pas si inutile. En France où on préfère réactiver toujours les mêmes querelles de clocher cinquante ans après (et plaquer cette analyse simpliste là où elle s’applique encore moins, comme en Allemagne...), il ne me semble pas que passé le seul nom de Rihm on connaisse beaucoup ces compositeurs. C’est pourquoi je vais essayer d’en parler brièvement. *Les origines de cette appelation ne sont pas claires mais il semble qu’elle provienne d’un weekend thématique organisé à la WDR en janvier 1977. Les compositeurs représentés y étaient si divers qu’on ne voit pas très bien comment on pourrait même rêver d’un quelconque courant esthétique. À vrai dire seul l’un de ces compositeurs fait partie aujourd’hui de ce qu’on entend le plus souvent par Neue Einfachheit : Ulrich Stranz. Cette première bizarrerie me fait penser qu’il y a peut-être plusieurs « groupes » associés à la Neue Einfachheit. Mais une chose à la fois : la Nouvelle simplicité, c’est quoi ? Si vous voulez mon avis, l’esthétique de la Neue Einfachheit correspond à une idéologie... de droite, ou si vous préférez libérale. C’est l’individualité créatrice, la subjectivité, l’imagination, l’intention, c’est écouter son monde intérieur révélé par l’intuition ; c’est l’apologie de la synthèse, le les extrêmes se rejoignent et la libre disponibilité de l’histoire à l’individu ; c’est peu importe le langage, tonal ou atonal, tant que la musique est bonne ou authentique ; c’est l’humanisme universaliste ; c’est exister par soi-même et non par distinction ou réaction ; c’est « composer sans système » (Rihm), sans concept, sans dogme, une musique qui soit « émancipée de sa fabrication » et des normes qui brident l’individu créateur — « ramener la musique vers son essence originelle, la délivrer des dogmes architechtoniques, acoustiques et esthétiques ; qu’elle devienne intention et sentiment à l’état pur, qu’elle ne soit rien d’autre que la nature qui se reflète dans l’âme humaine et que cette dernière réfléchit » (Busoni cité par Rihm). Mais laissons là ces considérations et reprenons. Face à l’avantgarde moderniste vieillissante mais aussi face à la tendance au collage et au citationnisme typique des années 70, la Nouvelle simplicité a pu s’apparenter à un retour à voire à une position purement rétrograde et réactionnaire. Il est vrai qu’on peut entendre un retour à la mélodie, à la pulsation, à l’harmonie fonctionnelle ou consonnante, à la répétition, au figurativisme voire au figuralisme, etc. Pourtant on reste le plus souvent très éloigné d’un univers purement « néo » comme celui qui a fait école de l’autre côté du Rhin. Écoutez par exemple Morphonie qui est la première création significative de Rihm (1974 à Donaueschingen), vous serez peut-être surpris d’entendre que cette musique n’a rien de « facile » ni de la tonalité racoleuse. Alors on dit un peu grossièrement que ce sont des musiques qui renouent avec l’expression et l’accessibilité sans pour autant céder à la facilité du néo ou du rétro, puisant volontiers à cette fin dans le répertoire des techniques dites modernes y compris celles des avantgardes récentes mais sans faire table rase de la tradition. La Neue Einfachheit est un changement de paradigme, faisant suite au changement de paradigme historique, celui de la Neue Musik (soit de la musique contemporaine, pour faire simple), et qui revient en partie à la situation antérieure. En effet elle prend du point de vue esthétique le contrepied du modernisme : a) Expression. La musique redevient figurative c’est-à-dire qu’elle exprime des affects qui doivent bien lui préexister (émotions, subjectivité de l’auteur, etc.). C’est précisément en ce sens qu’on peut parler de néoromantisme. L’œuvre n’est plus ce bel objet sphérique fermé sur lui-même mais procède de et produit des choses qui la dépassent : la musique doit « sortir d’elle-même ». C’est pourquoi elle peut utiliser des techniques variées et hétérogènes qui sont autant de moyens mis en œuvre à telle ou telle fin. Ce qui tend au passage à rendre le langage de ces compositeurs certes « communicatif » mais davantage complexe que simple. b) Histoire. La Neue Einfachheit renonce au progrès et à la vision adornienne de l’histoire. Le compositeur a tout le loisir de faire référence à des œuvres et styles hérités de la tradition et les extraire de leur contexte pour les reconfigurer et leur faire produire du sens. Cela inclut bien évidemment l’utilisation des formes et genres classiques. Dans les faits le répertoire dans lequel puisent ces compositeurs est surtout celui de la grande tradition germanique jusque Berg, Mahler et Schreker, voire Hartmann, Henze et Pettersson. c) Matériau. Beaucoup des acteurs de la Neue Einfachheit vont aussi dénoncer un fétichisme du matériau, évident dans le sérialisme mais également présent ailleurs. Cela ne veut pas dire que le compositeur ne peut plus manipuler des objets sonores, mais il y a une critique de la suprématie du matériau et en particulier de la pensée paramétrique de celui-ci. La musique de la Nouvelle simplicité se veut plus directe et immédiate, ne nécessitant pas d’élaborations formelles préalables. *Comme je le disais plus haut non seulement la Neue Einfachheit est hétérogène mais elle semble parfois désigner plusieurs réalités différentes (elles-même hétérogènes donc). a) Un certain nombre de personnes sont associées à la Neue Einfachheit de façon plutôt impropre (bien que le mot leur convienne sans doute mieux dans l’absolu). C’est notamment le cas de ce qu’on appelle l’école de Cologne qui est une identité mal définie qui englobe un certain nombre de compositeurs (dont beaucoup sont étrangers). Plusieurs partagent une influence du Cage dit naïf (voyez Cheap Imitation) ou de Feldman, une texture distendue, simple, mélodique, consonnante et donc une parenté avec le minimalisme mais d’une manière un peu distanciée et bizarre. Parmi les allemands on trouve notamment : * Walter Zimmermann (1949), qui était l’un des compositeurs représenté au weekend de 1977. Il a la particularité de s’inspirer de la musique traditionnelle de sa région d’origine. * Johannes Fritsch (1941), chez qui il faut surtout noter une sorte de proto-spectralisme et l’importance de l’électroacoustique. Il a cofondé le Feedback Studio. Mais il faut aussi revenir à la génération précédente avec rien de moins que... * Karlheinz Stockhausen (1928), une des références principales pour l’école de Cologne, qui à partir d’ Adieu (1966) puis de Mantra (1970) entre autres se dirige nettement dans cette direction (écriture plus simple, prédominance de la mélodie, consonnance, etc.). Tierkreis (1974) est l’œuvre qui va le plus loin de ce point de vue. Plus largement encore, l’étiquette (surtout dans sa variante anglaise, new simplicity) est parfois attribuée à des compositeurs (allemands ou non) qui se rapprochent de cette esthétique faussement naïve, voire à n’importe quelle musique minimaliste et/ou néotonale (Pärt, Górecki, Tavener, Reich, Adams...). b) Mais en général (c’est-à-dire quand on est un peu renseigné) ce n’est pas à tous ces gens qu’on pense quand on parle de Neue Einfachheit. Après le weekend de 1977 et quelques textes de Rihm plus tard (1977, 1979), un article de Reimann (1979) vient sacrer sept compositeurs souvent identifiés par le terme. Il s’agit de : * Wolfgang Rihm (1952). Voir son sujet sur ce forum. Sa renommée écrase de loin celle de tous les autres. * Hans-Jürgen von Bose (1953). Important également mais seulement trois disques monographiques déjà anciens (Wergo). Pour ce que j’en connais pas une musique facile, parce qu’elle intègre beaucoup d’éléments modernes et complexes, parfois dans une optique de superposition pluraliste. Travesties in a Sad Landscape (1978) : /watch?v=6S58GOeqYpo Sappho-Gesänge (1982) : /watch?v=nN5NHeSQS-o (il existe aussi une version orchestrale) * Detlev Müller-Siemens (1957). Cinq parutions sous étiquette Wergo. Je trouve que Müller-Siemens a un style plus « brillant », avec des allusions tonales souvent bien présentes. Cela dit certaines de ses œuvres plus récentes me paraissent se rapprocher du canon postsériel, à moins que ce ne soit l’influence de Ligeti. Klavierkonzert (1981) : /watch?v=gxE78yh_FX8 Phoenix I (1993) : /watch?v=kJfbd6m0zPY * Manfred Trojahn (1949). Je ne le connais pas bien. Il semble qu’il verse plus facilement dans un néosymphonisme plus clairement romantique que chez les autres compositeurs cités jusqu’ici. Architectura Caelestis (1974/75) : /watch?v=O-fhklQkH5A * Wolfgang von Schweinitz (1953). Attention qu’on ne parle pas ici de ses œuvres récentes qui sont tout à fait étrangères à la Neue Einfachheit (spetralo-minimalisme). Variationen über ein Thema von Mozart (1976) : /watch?v=UG9XqK4K_3k * Peter Michael Hamel (1947). Parfois retiré de la liste. Je ne connais pas bien, mais il faut savoir qu’à côté des ses œuvres classiques il a aussi fait des trucs proche de la scène krautrock. * Hans-Christian von Dadelsen (1948). Jamais rien entendu pour ma part, je peux pas vous dire. Depuis d’autres sont fréquemment ajoutés à la liste : * Ulrich Stranz (1946) * Jens-Peter Ostendorf (1944) * Peter Ruzicka (1948). Plus célèbre, il se rattache par bien des points à la Neue Einfachheit, bien qu’il soit un peu inclassable (certaines de ses œuvres sont plutôt comparables à du Lachenmann). Il y a encore beaucoup de noms qu’on pourrait citer, mais c’est déjà pas mal, surtout que nombre d’entre eux sont plus clairement traditionnels que les représentants de la Neue Einfachheit à proprement parler. Au-delà de ce que j’ai dit précédemment, ce qui caractérise tous ces compositeurs et contraste fortement avec le style raréfié du groupe précédent est leur univers foisonnant, souvent violent, et leur affiliation au postromantisme ou à l’expressionnisme. Ces compositeurs ont le gout des extrêmes, des grands sentiments, de la folie, etc., et tous les thèmes romantiques habituels. On note aussi un retour à la religiosité chez plusieurs d’entre eux. Cela se traduit également par les références extramusicales, en particulier littéraires (permises par le renouveau du lied, de l’opéra, etc.). c) Rétrospectivement, des compositeurs plus âgés et déjà célèbres aux débuts des évènements sont fréquemment associés à la Neue Einfachheit, et qui sont par ailleurs des références majeures pour le groupe précédent. Je pense en particulier à : * Hans Werner Henze (1926) qui prend très vite ses distances avec Darmstadt. (Mais notez que c’est à Darmstadt que la Neue Einfachheit prend son essort au cours des années 70.) * Wilhelm Killmayer (1927), très important au point qu’on le place parfois à la tête de la Neue Einfachheit. Les deuxième et troisième symphonies sont des incontournables à mon humble avis. Également plusieurs cycles de lieder. * Aribert Reimann (1936) évidemment. d) Une nouvelle génération de compositeurs et compositrices, dont une partie sont des élèves des premiers. Je passe pour l’instant.
Dernière édition par lulu le Jeu 08 Oct 2020, 06:28, édité 6 fois |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Dim 22 Avr 2018, 10:54 | |
| Merci pour cette remarquable synthèse, lulu! (Cette fois encore, je crois n'avoir rien lu de plus solide ni de plus clair sur le sujet.)
(Et Zender, je ne vois pas du tout non plus.) |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Dim 22 Avr 2018, 19:09 | |
| tu as raison, je vais simplement le retirer. ça vaudrait peut-être la peine qu’on crée un sujet sur lui d’ailleurs, mais je t’avoue que je ne saurais pas bien quoi dire. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Dim 22 Avr 2018, 19:41 | |
| Je ne vois pas trop non plus; en dépit de ses déclarations contre le dogmatisme sérialiste, son écriture musicale s'inscrit vraiment dans la continuité des avant-gardes des années 70 - la seule forme de réinvestissement d'une tradition tonale, chez lui, je ne la trouve que dans sa réinterprétation du Winterreise, mais celle-ci se présente vraiment comme l'orchestration d'une œuvre préexistante (comme le Ricercar de L'Offrande musicale ou les Danses allemandes de Schubert pour Webern), pas comme une œuvre originale qui réinvestirait des moyens d'écriture venus de la tradition.
Je me demande si un bon angle d'attaque pour l'œuvre de Zender ne serait pas la question du langage et de son articulation ou de sa profération, à partir de textes-limites plus ou moins liés à une expérience mystique, fût-elle négative (les poèmes zen de Muji no kyo et Fûrin No Kyô, les textes de Maître Eckhart ou les poèmes de Jean de la Croix, les expériences dadaïstes d'Hugo Ball dans Cabaret Voltaire, Hölderlin, le Cantique des Cantiques...)
(Je le verrais du coup plutôt du côté de B.A. Zimmermann et de Klaus Huber.) |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Dim 22 Avr 2018, 20:59 | |
| En revanche dans la catégorie c) de ta taxinomie («rétrospectivement, des compositeurs plus âgés et déjà célèbres aux débuts des évènements [...] fréquemment associés à la Neue Einfachheit, et qui sont par ailleurs des références majeures pour le groupe précédent»), je verrais assez bien le Cerha dernière manière, celui du Concerto pour violoncelle, des Drei Orchesterstücke... |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mar 24 Avr 2018, 11:05 | |
| J’aurais dû évoquer aussi tout l’imaginaire à base de désir, pulsions, sensualité, etc. pour parler de musique : au-dela du style ou des thèmes, la musique est elle-même désir.
Par exemple, toujours chez Rihm :
Tout ce qui m’importait, c’était de formuler un désir de musique, un imaginaire rempli d’angoisses et de joies d’enfant, en tant que désir. Je composais pour cela une musique qui ne veut pas “dire autre chose” quand elle parle. Un tel degré de conscience, face à cet art sensuel et hors concept qu’est la musique, apparait comme de l’inconscience quand on part du principe qu’il faut d’abord, avant de produire de la musique, disposer d’une grille qui permet cette production. Lorsqu’une musique est capable de sortir d’elle-même et de dire quelque chose, alors elle parle pour moi de la terre, de l’amour, de la mort. Et toutes ces relations forment un nœud en ces endroits-là, qui composent à leur tour un seul lieu. Tout ça est très ancien et très simple. La musique a à faire avec des pulsions qui sont des atavismes. C’est pour cela peut-être que les tentatives de classification en musique sont tellement violentes et qu’elles ont souvent le caractère d’une vaccination — comme si l’on voulait se prémunir contre tout ce que la musique a d’obsessionnel, de menaçant, d’étranglant. etc. etc.
Müller-Siemens et Schweinitz ont également parlé d’un désir de tonalité et d’harmonie. |
| | | anaëlle Mélomane chevronné
Nombre de messages : 2090 Age : 23 Localisation : Paris Date d'inscription : 17/11/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mar 24 Avr 2018, 12:07 | |
| Si j'aime le Rihm des quatuors à cordes et de la symphonie Nähe Fern, ce mouvement serait susceptible de me plaire ? |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mar 24 Avr 2018, 19:42 | |
| A priori, oui (mais en fait, à part, Rihm, c'est surtout le groupe c - surtout Henze et Killmayer - que je te recommanderais bien, oui...) |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Jeu 09 Avr 2020, 16:16 | |
| Entre hier et aujourd'hui, écouté ou réécouté: - Rihm: Quatuor à cordes nº3 «Im Innersten» - Quatuor Minguet (Col Legno); - Trojahn: Quatuor à cordes nº2 avec clarinette et mezzo-soprano - Quatuor Minguet, Tanja Ariane Baumgartner, Thorsten Johanns (Wergo); - Schweinitz: Messe - Cherryl Studer, Gabriele Schreckenbach, William Pell, Boris Carmeli, Gerd Albrecht / RSO-Berlin, Uwe Gronostay / RIAS-Kammerchor (Wergo).
J'ai prévisiblement beaucoup aimé, mais ce qui est tout de même frappant, c'est à quel point ce terme de Neue Einfachheit est peu approprié. Franchement Neo-Expressionismus aurait été tellement plus adéquat à son objet... |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97911 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Jeu 09 Avr 2020, 17:14 | |
| Oui, ça ne peut se comprendre qu'en relation avec ce à quoi il réagit… À l'oreille, le nom de néoromantisme également assez aberrant la plupart du temps. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Jeu 09 Avr 2020, 22:23 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Oui, ça ne peut se comprendre qu'en relation avec ce à quoi il réagit…
Et même comme ça... Ce sont des œuvres qui articulent et parfois superposent tellement de langages musicaux hétérogènes, qui déploient des structures tellement complexes ou touffues, souvent saturées de références musicales et de paratextes extramusicaux (littéraires, historiques, philosophiques, picturaux, liturgiques...) que , finalement, même si la visée expressive en est plus immédiatement perceptible, ce sont des œuvres qui semblent malgré tout plus compliquées que bien des œuvres sérielles ou post-sérielles épurées ou «naïves.» - DavidLeMarrec a écrit:
- À l'oreille, le nom de néoromantisme également assez aberrant la plupart du temps.
À la limite, si on entend «romantisme» dans un sens très large, désignant davantage une sorte de posture esthétique (la revendication de la subjectivité créatrice, une certaine violence «gestuelle», l'effusion lyrique...) que le langage et le style d'une époque, ça me semble moins aberrant par rapport aux œuvres que «simplicité.» (Et si on disait «néo- postromantisme», ça me semblerait même presque aussi éloquent que «néo-expressionnisme.») |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97911 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Jeu 09 Avr 2020, 23:41 | |
| - Benedictus a écrit:
- Et même comme ça... Ce sont des œuvres qui articulent et parfois superposent tellement de langages musicaux hétérogènes, qui déploient des structures tellement complexes ou touffues, souvent saturées de références musicales et de paratextes extramusicaux (littéraires, historiques, philosophiques, picturaux, liturgiques...)
Très vrai… Il faudrait plutôt parler de musique post-tradition, qui vient s'ajouter à un millefeuille et qui fait sans cesse référence, que de simplicité, parce qu'on en est loin. - Citation :
- (Et si on disait «néo-postromantisme», ça me semblerait même presque aussi éloquent que «néo-expressionnisme.»)
Ça dépend du sens donné à postromantisme, si c'est le jeune Křenek ou le vieux Rachmaninov… Ce serait plutôt un post-expressionnisme qu'un néo-, à mon sens, il s'inscrit vraiment dans une continuité et non dans une recréation, sans réelle interruption à la vérité. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Ven 10 Avr 2020, 01:07 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Ce serait plutôt un post-expressionnisme qu'un néo-, à mon sens, il s'inscrit vraiment dans une continuité et non dans une recréation, sans réelle interruption à la vérité.
Ça, ça dépend un peu de l'échelle à laquelle on accommode. À l'échelle de la musique germanique du XXe, c'est tout à fait vrai: on peut en effet voir une espèce de tradition ininterrompue qui irait de Schoenberg et Berg avant la Première Guerre mondiale à la Neue Einfachheit de la seconde moitié des années 70, avec des relais comme Hartmann ou Fortner. À l'échelle de la musique ouest-allemande et autrichienne de 1945 à 1980 (c'est sans doute différent à l'Est: lulu, qui est en train de réécouter Mathus pourrait sûrement nous en dire davantage), il y aurait déjà une sorte de hiatus d'une grosse douzaine d'années dans la transmission: Hartmann meurt en 1963; en 1969-75, Henze se détourne de cette tradition-là (ce n'est qu'une parenthèse, mais c'est l'époque de ses voyages à Cuba, marquée par des œuvres plus «expérimentales» comme El Cimmarón ou la 6e Symphonie, ou influencées par le théâtre d'avant-garde comme Der langwierige Weg in die Wohnung der Natascha Ungeheuer); en 1968-73, Killmayer est en plein dans cette étape totalement singulière de son œuvre (les trois Symphonies, le Quatuor, fin al punto...) qui semble échapper à l'esthétique expressionniste (voire en signifier l'épuisement ou l'impossibilité.) C'est donc une petite quinzaine d'année où l'expressionnisme semble s'effacer du paysage, tandis que les choses marquantes, ce sont les grands projets ambitieux issus du sérialisme ( Spiegel de Cerha, Hymnen de Sto...) et les premières œuvres importantes de Lachenmann - et ça correspond précisément aux années de formation de Rihm, Bose, Schweinitz, Trojahn, Müller-Siemens... Donc quand, après 1975, apparaissent les œuvres de ces jeunes compositeurs qui seront regroupées sous le terme de Neue Einfachheit, si, il y a recréation après une brève interruption. Enfin, si l'on prend les itinéraires personnels, ça doit être encore plus patent. Pour ne prendre que le cas de Rihm (le seul que je connaisse vraiment bien), ses œuvres de jeunesse avant Morphonie ou Lichtzwang (fin des années 60, début des années 70: les deux premiers quatuors, les deux Symphonies numérotées...) sont tout à fait post-sérielles, et parfois d'un webernisme tout à fait orthodoxe. Et d'ailleurs, comme le notait lulu, ce qui accrédite l'idée d'une recréation après interruption, c'est que précisément, c'est quelque chose qui se passe dans le sérail de Darmstadt, et pas en marge ou à côté. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97911 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Ven 10 Avr 2020, 02:37 | |
| Pardon, je parlais de continuité stylistique (le « néo- » recrée quelque chose d'un peu distordu, souvent ; mais là aussi, on peut débattre assurément de l'existence de cette distorsion) plutôt que temporelle – j'ai conscience qu'il y a une forme d'interruption dans les grandes figures que nous connaissons, je ne sais pas du tout s'il y a eu une poursuite de postromantisme / postexpressionnisme de façon massive (et à quel degré de visibilité).
Disons que pour moi, cette musique coule assez bien de source, pour certaines de ses composantes, lorsqu'on a l'habitude de l'expressionnisme. [Mais le Rihm le plus aride / hardi – celui de la musique de chambre plutôt que des opéras, pour faire simple – est, pour le coup, autre chose, qui ressortirait plutôt au néo-, à la réinvention d'après l'esprit, oui.]
La diversité même du mouvement et des œuvres chez un même compositeur rend sans doute l'étiquetage délicat. Mais « simplicité », aussi bien sur les partitions que dans les projets transversaux très ancrés dans le rapport à des références musicales ou textuelles, c'est effectivement un nom assez peu révélateur. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Sam 18 Juil 2020, 15:00 | |
| • Hans-Jürgen von BOSE: Die Nacht aus Blei (1981), Suite de la Musique pour une action cinétique d’après Hans Henny JahnnMatthias Bamert / Sinfonieorchester des Südwestfunks, Baden-Baden Baden-Baden, V.1983 WergoCette suite pour une « kinetische Handlung» (« action cinétique»: «pas un ballet dans le sens habituel, plutôt un happening constitué de musique, de peinture et de théâtre dansé» selon le chorégraphe William Forsythe) dont les climats sont particulièrement adéquats à ceux du roman de Jahnn (voir ici une présentation analytique très fouillée): de bout en bout nocturnes, tour à tour mystérieux, poisseux, oniriques, exaltés... Musicalement, ça semble assez bien illustrer ce que disait plus haut lulu de la Neue Einfachheit en général (« des musiques qui renouent avec l’expression et l’accessibilité sans pour autant céder à la facilité du néo ou du rétro, puisant volontiers à cette fin dans le répertoire des techniques dites modernes y compris celles des avantgardes récentes mais sans faire table rase de la tradition») et de Bose en particulier (« pas une musique facile, parce qu’elle intègre beaucoup d’éléments modernes et complexes, parfois dans une optique de superposition pluraliste.») L'impression que j'ai eue, c'est d'avoir une sorte de «trame de fond» très expressionniste-allemande (un langage harmonique qui fait penser à l'atonalité libre du Schoenberg ou du Berg des années 10; une écriture orchestrale qui déploie un tissu polyphonique aux couleurs assez sombres; un discours très tendu et mobile, à l'expression assez inquiète - tout à fait le genre de choses auxquelles on peut s'attendre d'un ancien élève de Fortner et de Reimann), sur laquelle viendraient s'intégrer dans une sorte de patchwork des fragments aux langages beaucoup plus divers, tantôt issus de traditions tonales plus ou moins anciennes (aussi bien du cabaret berlinois grinçant à la Kurt Weill que des figures évoquant les polyphonies anglaises de la Renaissance - toute la première partie des Isorhythmische Motette, absolument superbes), tantôt synchrones d'expérimentations plus contemporaines (l'écriture percussive, notamment, qui fait beaucoup penser au Rihm «varésien» de Tutuguri; mais aussi des effets bruitistes qui peuvent faire penser au Stockhausen des premières journées de Licht - avec manifestement beaucoup d'instruments insolites du type flexatone, plaques métalliques...) La dimension polystylistique est d'ailleurs également sensible dans la forme: on a aussi bien des épisodes composés dans une forme rhapsodique très lâche mais au caractère narratif exacerbée (un côté «musique de film» souligné par les effets bruitistes) que des passages écrits selon des modèles formels très rigoureux (mais très chargés, comme la longue Passacaglia.) (Où l'on sent d'ailleurs à quel point B.A. Zimmermann est une des idoles de Bose.) Étonnamment, j'ai beaucoup aimé cette œuvre: alors même que je ne suis en général pas fou des esthétiques du collage (y compris, justement, de B.A. Zimmermann) et que certains traits mobilisés ici sont même plutôt de ceux qui me font grincer des dents mais je dois dire que la façon dont tout cela est intégré dans un propos narratif labyrinthique mais qui progresse sans temps morts et la prégnance des atmosphères emporte l'adhésion. Par ailleurs, il faut noter que l'œuvre est d'une accessibilité expressive surprenante eu égard à sa complexité. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mer 07 Oct 2020, 22:55 | |
| - lulu a écrit:
- * Manfred Trojahn (1949). Je ne le connais pas bien. Il semble qu’il verse plus facilement dans un néosymphonisme plus clairement romantique que chez les autres compositeurs cités jusqu’ici [Wolfgang Rihm, Hans-Jürgen von Bose, Detlev Müller-Siemens].
• TROJAHN: Fünf See-Bilder (1979-83) pour mezzo-soprano et orchestreTrudeliese Schmidt (mezzo-soprano), Manfred Trojahn / Radio-Symphonie-Orchester Berlin Berlin, XI.1991 CPODavantage encore que pour le 2ᵉ Quatuor à cordes (avec clarinette et mezzo-soprano) dont j’ai déjà parlé dont il faudra bien que je finisse par parler, la brève présentation de Trojahn par lulu est on ne peut plus pertinente à propos de ces Fünf See-Bilder ( Cinq Marines): si leur langage procède effectivement du pluralisme propre à la Neue Einfachheit, leur inspiration renvoie massivement au symphonisme postromantique. C’est d’abord évident dans le référent littéraire et plus globalement dans l’ethos même de l’œuvre. Littérairement, Trojahn choisit ici de mettre en musique des poèmes de Georg Heym, pionnier de l’expressionnisme allemand, mort en 1912 à l’âge de 24 ans: poésie extrêmement tourmentée, à la fois par sa tension prosodique qui résiste à la mise en musique (où l’on sent l’influence de Hölderlin) et par les antagonismes exacerbés de son imaginaire (désespoir et harmonie, grotesque et illumination… - où l’on sent davantage l’influence de Rimbaud.) Les poèmes choisis par Trojahn donnent à l’œuvre une tonalité d’ensemble über-décadente: images obsédantes d’une mer nocturne, auxquelles se nouent l’aspiration à l’Ailleurs, le désir, la mort… (Rien que les titres des quatre poèmes sont éloquents: Schatten von Kähnen, Gegen Norden, Das schwarze Wasser, Der Tod der Liebenden.) À travers ce référent, ce à quoi vise Trojahn, c’est « ce grand “moi lyrique” de l’homme en proie à la souffrance […] qui s’exprime à visage découvert.» Ce qui rejoint exactement ce dont parlait lulu un peu plus haut: - lulu a écrit:
- c’est l’individualité créatrice, la subjectivité, l’imagination, l’intention, c’est écouter son monde intérieur révélé par l’intuition ; [...] c’est l’humanisme universaliste ; c’est exister par soi-même et non par distinction ou réaction [...]
La musique redevient figurative c’est-à-dire qu’elle exprime des affects qui doivent bien lui préexister (émotions, subjectivité de l’auteur, etc.). C’est précisément en ce sens qu’on peut parler de néoromantisme. - lulu a écrit:
- tout l’imaginaire à base de désir, pulsions, sensualité, etc. pour parler de musique : au-dela du style ou des thèmes, la musique est elle-même désir.
Par exemple, toujours chez Rihm :
Lorsqu’une musique est capable de sortir d’elle-même et de dire quelque chose, alors elle parle pour moi de la terre, de l’amour, de la mort. Et toutes ces relations forment un nœud en ces endroits-là, qui composent à leur tour un seul lieu. Musicalement, cet enracinement dans le symphonisme postromantique est d’abord très sensible au niveau de la forme. Plus qu’un cycle de lieder avec orchestre, ces Fünf See-Bilder se structurent en fait comme une sorte de symphonie postromantique avec voix (à la façon de Das Lied von der Erde ou de la Symphonie lyrique, voire de la 1ᵉ de Hartmann ou des «cantates» de Pfitzner): la première See-Bild, qui dure plus d’un quart d’heure, est entièrement orchestrale; et même dans les quatre suivantes, on a plus à faire à des parties vocales enchâssées dans un discours symphonique (avec de longs épisodes purement instrumentaux), qu’à des lieder accompagnés. Par ailleurs, si, de prime abord, la variété des climats exacerbés, les contrastes violents entre les strates orchestrales et même entre les langages hétérogènes ici convoqués semblent produire un discours au bord de la dislocation, on se rend compte en fait que tous ces éléments reconstruisent en fait des polarités très fortes dans le discours orchestral. Ici, il est difficile de ne pas penser aux Symphonies de Pettersson (dont Trojahn, dans son activité de chef d’orchestre est un fervent défenseur: on lui doit notamment la 6ᵉ Symphonie de l’intégrale à plusieurs chefs de CPO.) Comme chez Pettersson, en effet, on assiste nettement à un mouvement de flux et de reflux qui se polarise entre: - d’une part, des passages violents, avec de grand écarts de tessiture entre le très grave et le très aigu, une harmonie atonale libre plutôt disjointe (plutôt celle du Schoenberg de 1909 ou de l’op. 6 de Berg), un rythme haché aux respirations courtes, des percussions obsédantes et très frontales (très typiques de la Neue Einfachheit en général: on retrouve ça chez Rihm, chez von Bose), des clusters dissonants et éruptifs; - d’autre part, des «îlots lyriques», avec des plages au tempo très ralenti, des notes tenues dans les registres extrêmes à la façon de faux-bourdons, de grands aplats de cordes dont les harmonies chromatiques évoquent une sorte de lumière grise et où se déploie une ligne mélodique obsédante au cor anglais, qui évoque très explicitement le début du IIIᵉ acte de Tristan (toujours la mer, l’amour, la mort…) - et, comme chez Pettersson, c’est un apaisement du discours qui n’apporte aucune consolation, mais plutôt l’image du vide d’après la catastrophe. À noter aussi, dans l’écriture harmonique, la prégnance d’accords dont le figuralisme renvoie fortement à la tradition: menace des accords de tritons (parfois superposés) dans les deux See-Bilder extrêmes, chute du mi bémol mineur comme pivot dans les trois See-Bilder centrales. Cette polarisation exacerbée se retrouve aussi dans l’écriture vocale, qui oscille entre une déclamation hiératique quasi psalmodiée et un Sprechgesang libre qui va jusqu’au cri «expressionniste», qui adhère au plus près du texte de Heym. C’est peu dire que c’est là une musique qui me parle très fortement… (Possible aussi qu’elle puisse plaire à d’autres ici - en particulier à Drosselbart, peut-être aussi Rubato.) |
| | | Drosselbart Mélomane averti
Nombre de messages : 306 Date d'inscription : 30/05/2019
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Sam 10 Oct 2020, 13:07 | |
| Merci Benedictus pour cette riche présentation !
J'ai écouté deux fois ce disque, et j'y retrouve effectivement la veine de Pettersson, quoique ça me semble tout de même plus aéré, avec des contours bien plus nets. Les contrastes entre les moments de climax orchestraux et les grandes accalmie me semblent de fait encore plus accentués. Chez Pettersson, on a l'impression que les différentes phases procèdent toutes les unes des autres. Ici, ça me semble moins organique et plus dramatique, et de fait plus expressionnistes. La tension ne relâche jamais, et les îlots de lumière restent, à mon sens, toujours très ambiguës.
Ce qui m'a surtout intéressé, c'est le traitement des poèmes de Heym. Ce sont quatre poèmes que je qualifierais d'assez classiques, si on a en tête d'autres vers du poète. De fait, ça rend le résultat d'autant plus efficace. Le climat général est menaçant, toujours avec ce travail évocateur sur les couleurs propre à Heym :
Les voiles brunes enflent aux aussières, Les proues tracent dans la mer leurs sillons gris. Les filets noirs des ponts pendent lourds De corps écailleux et de nageoires rouges.
Mais parfois c'est aussi à la limite de la contemplation mortelle. A travers la musique, ces évocations sont plongés dans un climat nocturne, angoissant, avec de très rares accalmies (qui n'en sont jamais vraiment). Comme le dit très bien Benedictus, il ne s'agit pas de Lieders orchestraux, mais bien d'une œuvre symphonique avec voix. Le texte est d'ailleurs rendu d'abord par le discours orchestral. Le chant ne fait que s'incruster dans ce discours pour en formaliser, en quelque sorte, la teneur essentielle.
Le sommet, c'est le troisième tableau Gegen Norden, qui contient aussi le poème le plus représentatif du génie de Heym. Mélange de splendeur et de terreur, de ces bateaux de pêche rentrant au port et de ces marins noyés. Dans le tumulte orchestral surgissent des motifs d'une beauté saisissante. Ces motifs, ou du moins certains d'entre eux, courent d'ailleurs tout au long des cinq tableaux.
La seule limite pour moi, notamment dans le premier tableau, c'est que c'est parfois trop "bruyant", le même problème que j'avais eu pour certaines symphonies de Hartmann. Mais ça, c'est bien sûr une affaire de seuil de tolérance tout personnel.
Bref, une découverte marquante, qui m'encourage à aller voir d'un peu plus près ce dont il est question dans ce fil. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Sam 10 Oct 2020, 14:11 | |
| Merci pour ce retour! Des compositeurs mentionnés dans ce fil: 1. Recommandation prioritaire: ce fameux 2ᵉ Quatuor à cordes de Trojahn avec clarinette et mezzo-soprano (dans les mouvements avec voix et clarinette, ce sont des poèmes de Trakl): même langage (peut-être plus proche de l'École de Vienne), même esthétique, mais sur le versant chambriste. 2. Peut-être encore plus prioritaire, si tu ne connais pas déjà: Wilhelm Killmayer - en particulier ses lieder (nous sommes déjà quelques-uns à être des fans absolus) et peut-être ses Poèmes symphoniques (voir dans le fil dédié.) 3. Pour ce que j'ai écouté d'eux, j'ai peur que Bose, Müller-Siemens et Schweinitz soient un peu trop dissonants-bruyants pour toi - mais je prévois de revenir ces jours-ci sur les disques monographiques que j'ai d'eux; si tu peux attendre un peu... Tu peux peut-être quand même essayer la Messe de Wolfgang von Schweinitz (attention, c'est grandiloquent-chargé.) Ah, et puis les Schubert-Variationen de Müller-Siemens, qui pourraient vraiment te plaire. 4. Et puis il y a... Rihm. Le catalogue est tellement vaste, les langages employés tellement divers (ça va vraiment du postromantisme lyrique à de l'avant-garde «dure») que le meilleur conseil que je pourrais te donner, ce serait probablement d'aller fouiller dans le fil dédié (je te conseille en particulier les recommandations d' Anaxagore, qui me semblent assez bien pouvoir correspondre à tes propres tropismes.) Par ailleurs, là aussi, je suis en train de réécouter des lieder de Rihm et là, je viens juste d'entendre quelque chose qui devrait beaucoup te plaire: le cycle Das Rote (sur des poèmes de Karoline von Günderode), par Christoph Prégardien et Siegfried Mauser. (Et puis, même s'ils risquent de moins te plaire musicalement le autres cycles devraient au moins t'intéresser pour des raisons «littéraires», notamment les Gesänge op. 1, sorte d'anthologie de la poésie expressionniste.)
Dernière édition par Benedictus le Sam 10 Oct 2020, 14:34, édité 1 fois |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Sam 10 Oct 2020, 14:19 | |
| 5. Henze, je crois que tu as déjà écouté (et apprécié) pas mal de choses. 6. Pour Reimann, je te recommanderais bien les deux Nachtstücke d'après Eichendorff (j'en avais parlé ici et les Kinderlieder. |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| | | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Sam 10 Oct 2020, 15:29 | |
| Oui, là, c'est très proche des lieder de Killmayer, en fait - pour le coup, de la vraie simplicité. J'adore ce cycle. |
| | | Drosselbart Mélomane averti
Nombre de messages : 306 Date d'inscription : 30/05/2019
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Sam 10 Oct 2020, 20:24 | |
| Merci beaucoup pour ces recommandations personnalisées !
J'ai déjà touché un peu à Reimann et à Rihm, mais il faut que j'y revienne. Et Killmayer est dans mes projets d'écoute depuis un certain temps. J'ai déjà entendu des choses de lui, et je suis surtout curieux de ses Hölderlin (Heine n'étant pas franchement mon poète de prédilection). Mais cette esthétique raréfiée ne me déplait pas, c'est vrai.
Je ne manquerai pas de livrer mes impressions ! |
| | | Mefistofele Mélomaniaque
Nombre de messages : 1459 Localisation : Under a grey, rifted sky Date d'inscription : 17/11/2019
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Lun 12 Oct 2020, 22:31 | |
| Alléché par les suggestions, j'ai quelques questions (et une remarque)...
Pour Killmayer, j'ai envie de rajouter son piano, mentionné par Benedictus dans le fil approprié, j'ai été très agréablement surpris par la simplicité érigée en piège pour l'auditeur.
Ma première question sera sur les Hölderlin-Lieder, difficilement trouvables (ou alors, à des prix défiant tout concurrence, dans le mauvais sens du terme). À quel pan de son corpus la version Schreier (avec orchestre) s'apparenterait-elle ? Recommandable ? J'avoue que la voix choisie me fait frémir et pas exactement d'excitation...
J'ai testé Schweinitz en ligne (le côté bruyant m'alléchait), je n'ai pas accroché du tout. Quid de la parenté de Müller-Siemens ?
Pour Rihm, j'ai pu entendre un extrait de Das Rot, en effet, c'est SUPERBE ! Version Prégardien ou plutôt le disque Lesser (avec Ende der Handschrift, 3 Gedichte von Monique Thoné et Lenz-Fragmente en complément de programme) ?
Enfin, j'ai essayé Reimann, et disons que ce n'est pas facile exactement facile d'accès. Des pistes pour persévérer ?
Merci d'avance !
(Bonus : Trojahn, je compte passer à l'acte prochainement.) |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mar 13 Oct 2020, 09:23 | |
| - Mefistofele a écrit:
- Pour Killmayer, j'ai envie de rajouter son piano, mentionné par Benedictus dans le fil approprié, j'ai été très agréablement surpris par la simplicité érigée en piège pour l'auditeur.
Je me trompe peut-être, mais il me semblait que Drosselbart était plus orienté lied et musique symphonique que piano, c'est pour ça que je ne l'ai pas mentionné. Mais oui, le piano de Killmayer, c'est beau, et assez troublant. - Mefistofele a écrit:
- Ma première question sera sur les Hölderlin-Lieder, difficilement trouvables (ou alors, à des prix défiant tout concurrence, dans le mauvais sens du terme). À quel pan de son corpus la version Schreier (avec orchestre) s'apparenterait-elle ? Recommandable ? J'avoue que la voix choisie me fait frémir et pas exactement d'excitation...
J'ai répondu ici. - Mefistofele a écrit:
- J'ai testé Schweinitz en ligne (le côté bruyant m'alléchait), je n'ai pas accroché du tout.
Tu as testé quoi, de Schweinitz? Je ne connais que la Messe - assez typique du versant chargé de la Neue Einfachheit - et des choses beaucoup plus récentes qui n'ont absolument rien à voir ( lulu parle de spectralo-minimalisme, c'est tout à fait ça: on dirait du James Tenney.) - Mefistofele a écrit:
- Quid de la parenté de Müller-Siemens ?
C'est pout l'instant celui que j'ai le plus de mal à cerner (d'autant que lui aussi a beaucoup changé de langage par la suite), et que dès les années 80, il me semble un peu en marge (notamment du fait de vraisemblables influences américaines, notamment jazzistiques.) Mais les Variations sur un Ländler de Schubert sont vraiment un bijou. - Mefistofele a écrit:
- Pour Rihm, j'ai pu entendre un extrait de Das Rot, en effet, c'est SUPERBE ! Version Prégardien ou plutôt le disque Lesser (avec Ende der Handschrift, 3 Gedichte von Monique Thoné et Lenz-Fragmente en complément de programme) ?
Je n'ai pas encore écouté le disque de Clare et David Lesser, mais la version Prégardien / Mauser chez Orfeo est superbe (Prégardien est vraiment un très grand liedersänger, et pas seulement dans le contemporain, d'ailleurs.) - Mefistofele a écrit:
- Enfin, j'ai essayé Reimann, et disons que ce n'est pas facile exactement facile d'accès. Des pistes pour persévérer ?
Pour toi, peut-être plutôt son piano ou ses opéras ( Lear, par exemple.) - Mefistofele a écrit:
- (Bonus : Trojahn, je compte passer à l'acte prochainement.)
Oui, Killmayer excepté, Trojahn me semble le plus calibré pour te plaire parmi tous ces gens-là (en particulier les Fünf See-Bilder.) |
| | | Mefistofele Mélomaniaque
Nombre de messages : 1459 Localisation : Under a grey, rifted sky Date d'inscription : 17/11/2019
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mar 13 Oct 2020, 09:41 | |
| Merci beaucoup !
Pour Schweinitz, j'avais essayé la messe et je n'ai pas vraiment accroché. Par contre, je n'ai pas trouvé Müller-Siemens (sauf en physique et pas forcément en promotion), je voulais donc avoir une idée de ce que donnait son langage avant de sauter le pas.
Pour Rihm, finalement, j'ai trouvé les compléments de programme suffisamment différents (et plaisaints, Neue Alexanderlieder et Ende der Handschrift pour vouloir doublonner.
Enfin, Trojahn, en effet, les Fünf See-Bilder semblent vraiment dans mon cœur de cible. Bien noté pour Reimann également, qui risque toutefois d'être relégué en queue de peloton des découvertes. |
| | | Drosselbart Mélomane averti
Nombre de messages : 306 Date d'inscription : 30/05/2019
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mar 13 Oct 2020, 20:11 | |
| - Benedictus a écrit:
- Je me trompe peut-être, mais il me semblait que Drosselbart était plus orienté lied et musique symphonique que piano, c'est pour ça que je ne l'ai pas mentionné. Mais oui, le piano de Killmayer, c'est beau, et assez troublant.
En règle général, le piano seul n'est pas trop mon registre de découverte. J'en écoute beaucoup, mais je dois avouer que jusqu'à maintenant, je n'ai jamais vraiment pu m'enthousiasmer pour les "trouvailles" du XXe siècle dans ce domaine... |
| | | Rubato Mélomane chevronné
Nombre de messages : 14625 Date d'inscription : 21/01/2007
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mar 13 Oct 2020, 21:56 | |
| Oui, les Lieder de Killmayer sont vraiment à connaître, je dirais même incontournables pour un amateur de Lieder. Ils ont vraiment une "touche" particulière que je ne trouve pas chez ses contemporains, avec cette impression de "temps suspendu" parfois, les silences... J'aime beaucoup.
On en a parlé sur le fil dédié au compositeur.
|
| | | Drosselbart Mélomane averti
Nombre de messages : 306 Date d'inscription : 30/05/2019
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mar 13 Oct 2020, 22:41 | |
| - Rubato a écrit:
- Oui, les Lieder de Killmayer sont vraiment à connaître, je dirais même incontournables pour un amateur de Lieder.
Ils ont vraiment une "touche" particulière que je ne trouve pas chez ses contemporains, avec cette impression de "temps suspendu" parfois, les silences... J'aime beaucoup.
On en a parlé sur le fil dédié au compositeur. Et je viens d'apporter ma petite pierre à votre monument de louanges ! |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Neue Einfachheit (néoromantisme allemand) Mer 14 Oct 2020, 02:20 | |
| - Mefistofele a écrit:
- Pour Schweinitz, j'avais essayé la messe et je n'ai pas vraiment accroché. Par contre, je n'ai pas trouvé Müller-Siemens (sauf en physique et pas forcément en promotion), je voulais donc avoir une idée de ce que donnait son langage avant de sauter le pas.
Eux, je vais essayer de faire un petit topo pendant les vacances. - Mefistofele a écrit:
- Pour Rihm, finalement, j'ai trouvé les compléments de programme suffisamment différents (et plaisaints, Neue Alexanderlieder et Ende der Handschrift pour vouloir doublonner.
C'est-à-dire que si tu as le disque Falk / Schleiermacher chez MDG, le disque Orfeo à plusieurs interprètes et celui des 3 Liederzyklen par Prégardien / Mauser chez Col legno, il n'y a sur le disque des Lesser que les Drei Gedichte von Monique Thoné qui ne fassent pas doublon. - Mefistofele a écrit:
- Enfin, Trojahn, en effet, les Fünf See-Bilder semblent vraiment dans mon cœur de cible.
Exactement. |
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