Autour de la musique classique Le but de ce forum est d'être un espace dédié principalement à la musique classique sous toutes ses périodes, mais aussi ouvert à d'autres genres. |
|
| Débat sur l'interprétation | |
|
+23Alain92 Mehdi Okr Zeno jerome Cololi Rameau Golmon Mariefran Kryzstof Tus Sauron le Dispensateur Morloch sofro DavidLeMarrec Jorge Kermit - Xavier Mr Bloom Bezout antrav encolpio Alex 27 participants | |
Auteur | Message |
---|
DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97923 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 14 Juin 2010 - 23:25 | |
| - Scherzian a écrit:
- (Bien qu'il y ait d'intéressants exemples de génies qui haussent une œuvre au-delà d'elle-même.
Tout à fait. Ce peut être une révélation, quelquefois, et une oeuvre moyenne peut se parer à tout jamais de vertus nouvelles dans notre esprit, même en revenant à des interprétations plus communes. - Citation :
- Par exemple, je vois un bel aspect de son humanité dans le fait que Sviatoslav Richter se soit donné aux œuvres moindres de son répertoire de la même manière qu'il s'est consacré aux chefs-d'œuvre.)
Ah bon, il a interprété des choses "moindres" ? Quoi ? - Citation :
- Mais la vraie question est de savoir ce qu'il se passe lorsque la perversion fondamentale de ton alternative () est levée.
C'est juste un raisonnement radical pour attester de l'existence de quelque chose d'autonome dans la composition, pas plus. Après ça, je suis d'accord avec ce que tu dis de la façon dont l'interprète nourrit, révèle l'oeuvre, etc. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mar 15 Juin 2010 - 0:15 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Ah bon, il [Sviatoslav Richter] a interprété des choses "moindres" ? Quoi ?
J'ai de nombreux exemples en tête, mais il faudrait que je les soupèse. Un exemple qui vient immédiatement à l'esprit est celui de la Toccata opus 7 de Schumann face aux grands chefs-d'œuvre schumanniens qui se trouvaient à son répertoire. Nous sommes bien d'accord, j'espère, que j'ai utilisé le terme "moindre" comme (j'entends que) tu avais utilisé le terme "médiocre" : il ne s'agit nullement de musiquettes à trois francs six sous. Un autre exemple : une bonne demi-douzaine de sonates de Beethoven. Il réalise cette magnification sans aucune sollicitation particulière du texte, cela semble tout naturel et tient presque de la magie. Je me répète, mais c'est un aspect de son art que j'ai toujours trouvé profondément humain, dès que j'ai commencé à connaître un peu certains pans de son répertoire. C'est un peu paradoxal, mais c'est aussi un pianiste dont je déteste certaines interprétations d'œuvres qui ne sont pas moindres sans pour autant être des absolus, comme par exemple l'Appassionata. Il me semble immense (au sens étymologique) face à l'absolu, bouleversant face au relatif, mais souvent discutable face à ce qui est de sa taille. - Citation :
- C'est juste un raisonnement radical pour attester de l'existence de quelque chose d'autonome dans la composition, pas plus.
Sauf que ton raisonnement échoue à attester quoi que ce soit de cet ordre pour moi. C'est, comme je l'ai dit, probablement vers l'interprète modeste d'un chef-d'œuvre que je me dirigerai (pour le chef-d'œuvre), mais j'en sortirai en fulminant contre l'interprète, même s'il s'est contenté d'être lisse et banal (« c'est moi et ce n'est pas moi »). |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mar 15 Juin 2010 - 8:17 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Citation :
- Par exemple, je vois un bel aspect de son humanité dans le fait que Sviatoslav Richter se soit donné aux œuvres moindres de son répertoire de la même manière qu'il s'est consacré aux chefs-d'œuvre.)
Ah bon, il a interprété des choses "moindres" ? Quoi ?
Il y a des exemples : - Schubert, Ländler D.366 - Beethoven, Rondo en si bémol majeur WoO 6 - Schubert, Variations sur un thème d'Hüttenbrenner D.576 Il y a aussi certaines des premières sonates de Schubert (je les adore (D.566 ) mais elles n'ont pas forcément la qualité de ce qui arrive à partir de D.804)). Avec son immense répertoire, il a dû jouer encore beaucoup plus de ces choses "moindres". Mais il suffit d'entendre ses variations D.576 (ou ses D.566) pour entendre la considération qu'il apportait à ce type d'œuvre : il n'est jamais condescendant, il n'use jamais de facilité. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97923 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mer 16 Juin 2010 - 8:21 | |
| - Scherzian a écrit:
- il ne s'agit nullement de musiquettes à trois francs six sous.
Oui, bien sûr, mais je ne voyais rien de moindre dans son corpus, à vue de nez. - Citation :
- Sauf que ton raisonnement échoue à attester quoi que ce soit de cet ordre pour moi. C'est, comme je l'ai dit, probablement vers l'interprète modeste d'un chef-d'œuvre que je me dirigerai (pour le chef-d'œuvre), mais j'en sortirai en fulminant contre l'interprète, même s'il s'est contenté d'être lisse et banal (« c'est moi et ce n'est pas moi »).
Ca, c'est assez rare pour moi. En tout cas s'il s'agit de raretés, je récrimine très peu, il faut vraiment que j'estime l'oeuvre gravement desservie. Et pour le grand répertoire, il y a tellement de culture autour qu'il est vraiment rare d'en trouve d' insuffisantes. Disons que pour moi, l'oeuvre n'est pas la matière-première, c'est vraiment déjà le produit fini, qu'il reste à bien présenter et mettre en valeur, à bien conserver, mais il n'est pas si fréquent qu'un interprète co-crée dans le répertoire dont on a majoritairement parlé ici. (Dans d'autres en revanche, c'est systématique.) - alexandreg a écrit:
- Il y a des exemples :
- Schubert, Ländler D.366 - Beethoven, Rondo en si bémol majeur WoO 6 - Schubert, Variations sur un thème d'Hüttenbrenner D.576 Il y a aussi certaines des premières sonates de Schubert (je les adore (D.566 ) mais elles n'ont pas forcément la qualité de ce qui arrive à partir de D.804)). En effet, exemples convaincants. |
| | | Alain92 Mélomane averti
Nombre de messages : 354 Localisation : montrouge Date d'inscription : 12/06/2010
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Jeu 17 Juin 2010 - 18:06 | |
| Il semble qu' une bonne interprétation doit éviter à tout prix le piège de la virtuosité. Il faut donner du sens à l'oeuvre exigeait Mozart, très agacé quand l'interprétation en manquait, trop formelle. Au fond, c'est comme la politique, il faut faire rêver ou du moins exciter l'imaginaire de l' auditeur. C'est ce que je demande pour les sonates de Beethoven ou ses quatuors. J'ai besoin de sentir une ame de l'oeuvre, ce que Beethoven a voulu dire ou auqel il a pensé en écrivant. Si je sens que l'interprète joue la virtuosité, le rejet s'amorce. |
| | | Pison Futé patate power
Nombre de messages : 27496 Age : 33 Localisation : CAEN, la meilleure ville de toute la Normandie. Date d'inscription : 23/03/2008
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Jeu 17 Juin 2010 - 18:08 | |
| Oui, enfin, il ne faut pas non plus oublier que certains styles reposent sur la virtuosité du chanteurs... Le bel canto en est justement l'exemple. |
| | | Alain92 Mélomane averti
Nombre de messages : 354 Localisation : montrouge Date d'inscription : 12/06/2010
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Jeu 17 Juin 2010 - 19:49 | |
| Vous voyez ce que je veux dire, je pense! |
| | | Pan Mélomane chevronné
Nombre de messages : 3461 Date d'inscription : 24/12/2006
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 17:18 | |
| Je reporte ici la discussion entamée sur le fil de l'écoute comparée de la dernière sonate de Beethoven. - Pan a écrit:
- Scherzian a écrit:
- Une interprétation tragique, noire, concentrée. Une nuit sans étoiles, mais non sans Lune. La lumière n'en est pas absente, mais la gravité y est si forte que même celle-ci ne peut s'en échapper.
Je qualifierais l'œuvre ainsi, mais pas l'interprétation... Mais n'est-ce pas la marque d'un grand interprète que de donner toute sa dimension à l'œuvre ? La frontière est ténue entre le caractère de l'œuvre et le caractère de l'interprétation, mais une grande interprétation ne doit-elle pas être transparente, s'effacer devant l'œuvre ? L'interprète ne doit-il pas être le transcripteur de l'œuvre plutôt que le rival du compositeur ? - Scherzian a écrit:
- Pan a écrit:
- Je qualifierais l'œuvre ainsi, mais pas l'interprétation... Mais n'est-ce pas la marque d'un grand interprète que de donner toute sa dimension à l'œuvre ?
Si, c'est la marque des grandes interprétations, à mon avis. Mais je pense que ça qualifie aussi l'interprétation. D'autres interprétations, tout aussi voire plus rigoureuses quant à la lettre que celle-ci (modulo peut-être des accidents de concert) et tout aussi sûres qu'elle d'avoir à dire quelque chose de pertinent et d'unique à propos de l'œuvre -- je pense toujours qu'il y a une distance abyssale entre la partition et l'œuvre ; ce n'est pas seulement en étudiant la lettre de la première qu'on peut exprimer la seconde --, en donnent néanmoins un résultat fondamentalement différent.
- Citation :
- La frontière est ténue entre le caractère de l'œuvre et le caractère de l'interprétation, mais une grande interprétation ne doit-elle pas être transparente, s'effacer devant l'œuvre ?
Pas pour moi. Transparence et effacement ne sont à mon avis que des leurres, s'agissant d'un art qui exige la présence d'un musicien en direct. C'est un peu le pathos de l'objectivité ; puisque la musique est un art de la scène, il y aura toujours un interprète et il lui est impossible d'être objectif à moins de se dépouiller de tout jusqu'à sa vie même. Si ce dernier donne l'impression (trompeuse à mon avis) d'être transparent et effacé, il ne peut pour autant pas ne pas interposer, au minimum, entre elle et nous, sa non-personnalité supposée. Cette présence de l'absence, pour ma part, m'est le plus souvent insupportable. Je pense qu'en face d'un interprète effacé, certains compositeurs (en tout cas Beethoven) diront : « c'est moi et ce n'est pas moi ». En face d'un interprète qui possède l'œuvre autant qu'il est possédé par elle, je pense qu'ils diront : « c'est moi et c'est toi, et c'est très bien ainsi ».
- Citation :
- L'interprète ne doit-il pas être le transcripteur de l'œuvre plutôt que le rival du compositeur ?
À mon avis, une telle dichotomie n'a pas lieu d'être : pourquoi l'alternative serait-elle de s'effacer (réduire l'interprétation à une transcription, une exécution, une restitution) ou de se transformer en un rival du compositeur ? Pour moi, les grands interprètes sont ceux qui, après avoir lu et étudié la partition et après avoir fait renaître en eux-mêmes l'impulsion ou la volonté créatrice qui a poussé le compositeur à l'écrire (deux étapes qui ne sont pas identiques, à mon avis), parviennent par virtuosité (au sens le plus large du terme) à la faire exister ici et maintenant. Je ne les vois pas comme des rivaux des compositeurs mais comme des égaux, des frères en poésie. - Pan a écrit:
- C'était un clin d'œil à la phrase de Malraux, l'artiste n'est pas le transcripteur du monde, il en est le rival. Je crois que ce que je recherche dans une interprétation, c'est la vérité, donc la beauté car comme disait Platon, le beau c'est la splendeur du vrai. Peut-il y avoir plusieurs vérités ? Je crois que dans mon for intérieur, je considère que la vrai sonate est celle que jouait Beethoven, ou tout du moins celle qu'il avait dans la tête car l'interprétation de son œuvre par le compositeur est-elle la « meilleure » ? La partition n'est-elle pas déjà une approximation de l'idée qu'il en a ? Pour en revenir au débat, je ne crois pas que l'interprète doive apporter sa pierre à l'édifice puisqu'il existe déjà. Son rôle est de nous le rendre perceptible dans les meilleures conditions qui sont celles de l'idée de l'artiste. Finalement, je me demande si le compositeur n'est pas lui-même le transcripteur de son idée et le talent de l'artiste n'est-il pas dans sa capacité à restituer véritablement son idée ?
- Scherzian a écrit:
- Pan a écrit:
- C'était un clin d'œil à la phrase de Malraux, l'artiste n'est pas le transcripteur du monde, il en est le rival.
D'accord, mais l'œuvre fait-elle partie du monde au même sens que sa partition en fait partie ? Si l'œuvre est un édifice qui existe déjà au monde (en tout cas après que le compositeur l'ait conçue, bien sûr), alors je pense que l'on considère la musique comme un art apollinien au même sens que les arts plastiques ou même l'architecture. Dans ce cas, l'interprète s'attache à dégager l'œuvre de sa gangue ou, comme tu le disais un peu plus loin, à nous la rendre perceptible dans des conditions optimales qui toutes ont été prévues et signifiées par l'auteur. C'est bien possible que, dans cette optique, l'alternative de l'interprète est d'être soit un exécutant effacé, soit un rival. De mon côté, je considère plutôt la musique comme un des arts dionysiaques avec le théâtre, pour lesquels l'œuvre n'existe, de façon palpable et démontrable, que de manière éphémère, dans l'acte de l'interprète. Une conséquence est que je pense que la vérité existe -- l'interprétation absolue, définitive --, mais qu'elle est protéiforme et même multiple à la fois dans l'espace et dans le temps.
- Citation :
- Je crois que ce que je recherche dans une interprétation, c'est la vérité, donc la beauté car comme disait Platon, le beau c'est la splendeur du vrai. Peut-il y avoir plusieurs vérités ? Je crois que dans mon for intérieur, je considère que la vrai sonate est celle que jouait Beethoven, ou tout du moins celle qu'il avait dans la tête car l'interprétation de son œuvre par le compositeur est-elle la « meilleure » ? La partition n'est-elle pas déjà une approximation de l'idée qu'il en a ?
À mon avis oui, la partition n'est qu'une approximation (même dans le cas des partitions de Beethoven, connues pour être très précises). Beethoven ayant été meilleur pianiste que chef d'orchestre (pour ne rien dire de ses talents de violoniste), il est probable que ses interprétations de ses propres œuvres pour clavier aient été absolues et définitives... mais ni plus ni moins que certaines autres, à mon avis. Si l'on veut que l'œuvre musicale vive, il faut la jouer. Et avant de la jouer, s'en être créé une image musicale intérieure avec sa nécessité, ses points de détente, de tension et de rupture, etc. Toute une série de métamorphoses que ne connaît pas la représentation des arts plastiques, en tout cas pas avec une charge humaine aussi importante. Enfin, à propos de la vérité, je suis en fait très circonspect. C'est une belle idée mais son hégémonie me fait peur. Puisque nous citons pas mal d'auteurs, c'est mon tour en guise de conclusion : Dans le Nord -- j'hésite à l'avouer -- J'ai aimé une petite femme Vieille à donner le frisson, -- « La Vérité » Se nommait cette vieille femme... (Nietzsche, Chansons du prince hors-la-loi.)
- Citation :
- Pour en revenir au débat, je ne crois pas que l'interprète doive apporter sa pierre à l'édifice puisqu'il existe déjà. Son rôle est de nous le rendre perceptible dans les meilleures conditions qui sont celles de l'idée de l'artiste. Finalement, je me demande si le compositeur n'est pas lui-même le transcripteur de son idée et le talent de l'artiste n'est-il pas dans sa capacité à restituer véritablement son idée ?
Cet édifice existe-t-il vraiment au monde ? Si oui, qu'on nous le montre, qu'on le produise (et qu'on en finisse avec ces écoutes comparées ). En tout cas, ce n'est pas la partition. Si non, comment le trouver ou même le retrouver si des pratiques antérieures l'ont défiguré ? Jamais aucun traité de musicologie ne produira une seule onde sonore et il faut bien reconnaître que sur ce point-là au moins les interprètes ont un avantage décisif sur les docteurs : on peut toujours écouter. Pour moi, l'idéal de l'interprète n'est pas de tendre vers un point asymptotique constitué de l'union de toutes les conditions signifiées par l'auteur (il nous est d'ailleurs impossible de les connaître, à moins de se fonder sur des axiomes), mais de donner l'impression ou l'illusion de vivre et d'être l'œuvre qu'il joue au moment où il la joue, d'en être possédé. Sans doute Beethoven aurait-il été surpris de voir où et comment notre liberté contemporaine s'exerce face à son texte, mais en tout cas il a revendiqué et il attendait même, pour tous les interprètes, de grandes libertés aux fins d'expression. Ach ! Nietzsche ! Je ne te suivrai pas sur ce terrain-là, je me suis toujours gardé de la pensée nietzschéenne. Mais je crois que l'œuvre existe par-delà la partition et que même si elle est inconnaissable, elle est reconnaissable puisqu'il s'agit d'une création humaine. La vérité de l'œuvre est donc unique, mais je veux bien admettre qu'il y ait différentes façons de la dire. Je veux donc bien discuter de sa multiplicité, mais de là à la dire protéiforme... |
| | | Percy Bysshe Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9940 Date d'inscription : 06/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 18:26 | |
| Pour ma part, s'il y a bien un pan de la pensée nietzschéenne qui me paraît rien de plus que fantaisiste (et franchement archaïque maintenant), ce sont ses considérations esthétiques, cette dichotomie simpliste entre Dionysos et Apollon. Rien à voir avec l'importance de son apport moral. - Scherzian a écrit:
- D'autres interprétations, tout aussi voire plus rigoureuses quant à la lettre que celle-ci (modulo peut-être des accidents de concert) et tout aussi sûres qu'elle d'avoir à dire quelque chose de pertinent et d'unique à propos de l'œuvre -- je pense toujours qu'il y a une distance abyssale entre la partition et l'œuvre
La partition n'est rien de moins qu'un système symbolique qui présente les idées du compositeur, que l'interprète doit traduire pour retrouver les idées et les représenter. Pour moi, tu te trompes assez lourdement en abordant la question de l'interprétation comme étant une expression métasémiotique. (proposition en gras) L'expression qui incombe à l'interprète n'est pas spontanée, elle n'émane pas de lui-même. L'interprète perçoit les signes sur la partition, il doit reconstruire mentalement ce qui y est exprimé et par sa technique il doit chercher à exprimer cette idée. Par là, il est hautement dépendant du texte; il est sa source. Qu'il cherche à s'en émanciper est un profond problème, qui révèle une incompréhension profonde de ce qui lui est demandé de faire. Quand Beethoven a une idée musicale, il la couche sur la papier (les écrits restent), à ce moment là il livre un produit fini, à savoir l'idée musicale, qui pourra être exprimée par tout pianiste qui daignera bien poser la partition sur son pupitre devant un parterre de destinataires. La partition symbolise matériellement l'idée musicale, elle est un vecteur car l'idée musicale elle-même n'est pas une substance transmissible. La partition permet cette communication, elle la fixe. La partition est un intermédiaire, mais de part sa fonction, elle est absolument incontournable; et la première loi que tout interprète devrait se fixer comme prolégomènes à toute pratique artistique est la suivante: la partition présente parfaitement l'idée musicale qu'elle symbolise. Cette hypothèse est la base de tout appréhension! Quand j'écoute une oeuvre, je veux entendre ce que la partition symbolise, rien de plus! |
| | | Mariefran Mélomane nécrophile
Nombre de messages : 14259 Age : 63 Localisation : Lille Date d'inscription : 25/02/2008
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 18:54 | |
| Vous remettez ça ? C'est quoi la vérité d'un texte, Percy ? Une partition, ça s'interprète, comme n'importe quel autre texte… Et le compositeur n'en est pas davantage maître que celui qui la lit, il ne sait pas lui-même tout ce qu'il y a mis. Un exemple tout simple. Chosta a laissé une interprétation de ses Préludes et Fugues mais il préférait la version qu'en avait livré Maria Grinberg en concert… Parce qu'elle lui révélait des choses qu'il ignorait et qu'il trouvait plus intéressantes. La vérité de la partition, ça n'existe pas, tout simplement parce que la lecture passe toujours par une conscience. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 18:56 | |
| Merci Pan d'avoir tout rapatrié ici. - Pan a écrit:
- Ach ! Nietzsche ! Je ne te suivrai pas sur ce terrain-là, je me suis toujours gardé de la pensée nietzschéenne. Mais je crois que l'œuvre existe par-delà la partition et que même si elle est inconnaissable, elle est reconnaissable puisqu'il s'agit d'une création humaine. La vérité de l'œuvre est donc unique, mais je veux bien admettre qu'il y ait différentes façons de la dire. Je veux donc bien discuter de sa multiplicité, mais de là à la dire protéiforme...
Si l'œuvre existe par-delà la partition, cela ne peut être, à mon avis, qu'au sens d'un épitexte (s'il ne s'agit pas de ce genre de textes gravitant autour de la partition, il faut de toute manière pouvoir le produire, le montrer, le lire, etc., pour qu'il s'ajoute aux signes de la partition ou qu'il les explicite). Ce sont des données dont le corpus a tendance à s'étioler avec le temps qui passe. Je suis d'accord avec toi qu'elle est inconnaissable, mais je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu entends par « œuvre reconnaissable ». En écoutant une interprétation d'une œuvre, je n'attends pas que l'interprétation épuise l'œuvre, pas du tout, je regarde plutôt si l'interprétation est cohérente ou non avec la partition et avec elle-même, complaisante ou non, s'il y a un rapport étroit (idéalement biunivoque) entre la réflexion et les moyens techniques mis en œuvre (par exemple l'absence d'effets non intégrés à une idée convaincante qui les surplombe et les justifie). On en avait déjà un peu parlé sur ce fil, je ne considère pas non plus les œuvres comme des terrains de jeu ou d'exercice de la liberté créatrice des interprètes, mais plutôt comme un ensemble de contraintes où s'exerce cette liberté totale. Les contraintes sont connues (qu'il s'agisse de la partition seule ou de la partition plus l'épitexte), mais je ne comprends absolument pas en quoi elles suffisent à établir la vérité d'une œuvre (déjà que le mot vérité me fait peur) au sens d'unicité de la vérité. Si la vérité d'une œuvre est unique, que peut encore bien recouvrir la multiplicité des manières de la dire ? À mon avis, plus grand-chose... Par exemple, quelle est la vérité unique d'une œuvre comme le premier mouvement de l'opus 17 de Schumann ?
Dernière édition par Scherzian le Ven 3 Déc 2010 - 21:23, édité 1 fois (Raison : Me fait [i]peur[/i].) |
| | | Percy Bysshe Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9940 Date d'inscription : 06/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 19:37 | |
| - Mariefran a écrit:
- C'est quoi la vérité d'un texte, Percy ?
Je ne sais pas où est-ce que tu as lu le mot vérité Mariefran, parce que je n'en ai parlé, tout simplement parce qu'il ne s'agit pas d'une question de vérité ou de fausseté. - Mariefran a écrit:
- Une partition, ça s'interprète, comme n'importe quel autre texte…
Précisément, il s'agit d'interpréter, c'est-à-dire dégager la signification. - Citation :
- Et le compositeur n'en est pas davantage maître que celui qui la lit, il ne sait pas lui-même tout ce qu'il y a mis.
Ce qui revient à dire que le compositeur produit uniquement le signifiant et qu'il faut attendre l'interprète qui seul produit enfin le signifié, absurde. Le compositeur pense déjà signifié et agence le signifiant dans cette perspective (c'est le moins le cas chez les compositeurs contemporains) En tout cas Beethoven t'aurait flanqué un de ces soufflets! - Citation :
- Un exemple tout simple. Chosta a laissé une interprétation de ses Préludes et Fugues mais il préférait la version qu'en avait livré Maria Grinberg en concert… Parce qu'elle lui révélait des choses qu'il ignorait et qu'il trouvait plus intéressantes. La vérité de la partition, ça n'existe pas, tout simplement parce que la lecture passe toujours par une conscience.
Tout simplement parce qu'il a jugé que Maria Grinberg avait une meilleure technique pianistique pour exprimer ce que son oeuvre contenait. Quant au fait que l'interprète révèle l'oeuvre au compositeur, c'est une aberration, un délire! |
| | | Mariefran Mélomane nécrophile
Nombre de messages : 14259 Age : 63 Localisation : Lille Date d'inscription : 25/02/2008
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 19:53 | |
| En fait, nous ne nous comprenons pas. Oui, je pense que l'œuvre échappe toujours dans une certaine mesure à son auteur, mais là tu caricatures mes propos. Je ne pense pas qu'un interprète révèle son œuvre au compositeur, mais il peut lui en révéler certains aspects, oui. Et je suis une ferme adepte des lectures qui se font dans le respect de la partition mais qui ne sont pas enfermées dans un carcan dogmatique, dont on se demande d'ailleurs qui serait autorisé à en détenir la clef une fois le compositeur mort. On a vu dans le fil de l'écoute de l'opus 111 que même de bons lecteurs de partitions n'étaient pas d'accord sur l'interprétation à donner à telle ou telle notation, alors… Et si j'avais à rencontrer Ludwig, il m'embrasserait en reconnaissance de l'amour que je lui porte. |
| | | Percy Bysshe Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9940 Date d'inscription : 06/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 20:39 | |
| - Mariefran a écrit:
- En fait, nous ne nous comprenons pas. Oui, je pense que l'œuvre échappe toujours dans une certaine mesure à son auteur, mais là tu caricatures mes propos. Je ne pense pas qu'un interprète révèle son œuvre au compositeur, mais il peut lui en révéler certains aspects, oui. Et je suis une ferme adepte des lectures qui se font dans le respect de la partition mais qui ne sont pas enfermées dans un carcan dogmatique, dont on se demande d'ailleurs qui serait autorisé à en détenir la clef une fois le compositeur mort. On a vu dans le fil de l'écoute de l'opus 111 que même de bons lecteurs de partitions n'étaient pas d'accord sur l'interprétation à donner à telle ou telle notation, alors…
S'il y a bien une chose à retenir de l'écoute comparée, c'est que tous les pianistes jouent l'opus 111, la même oeuvre. Que les différences ne sont pas fondamentales et ne sont de l'ordre que de la nuance. Le propos reste le même; il y aura toujours plus de différences entre deux oeuvres qu'entre deux interprétations d'une même oeuvre (à un point que c'en est incomparable). Je ne vois pas ce que tu veux parler en terme de "carcan dogmatique"; moi je parlerai plutôt de "carcan de la liberté" pour ce qui est des pianistes qui pensent que leur liberté se trouve au-delà de la partition - et qui finalement jouent la même oeuvre à quelques nuances près, nuances qui se révèlent alors en général comme inappropriées et qui font les interprétations moyennes et médiocres. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97923 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 20:53 | |
| D'une point de vue théorique, je suis tenté de te donner raison... mais l'expérience révèle que c'est faux. Une oeuvre excellente peut paraître médiocre lorsque interprétée mollement, et une oeuvre moyenne se parer de vertus supplémentaires. Pour le dire autrement : la vérité est peut-être dans la partition (ça se discute), mais ce n'est pas forcément la plus belle chose possible que la vérité. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 20:59 | |
| - Percy Bysshe a écrit:
- Pour ma part, s'il y a bien un pan de la pensée nietzschéenne qui me paraît rien de plus que fantaisiste (et franchement archaïque maintenant), ce sont ses considérations esthétiques, cette dichotomie simpliste entre Dionysos et Apollon. Rien à voir avec l'importance de son apport moral.
« Dichotomie simpliste », je ne suis pas d'accord, ni sur l'adjectif ni surtout sur le substantif, mais là n'est pas la question. Mon argument est le suivant. La musique n'est pas un art plastique (oublie, si tu veux bien, l'aspect apollinien) -- arts plastiques dont la représentation se dispense, dans une certaine mesure (qui n'est déjà pas totale, mais passons), d'intermédiaires. L'œuvre picturale ou sculpturale ou architecturale passe quasi directement des mains du créateur à l'âme de celui à qui elle est destinée. La musique est un art de la scène (les anglophones parlent d'un performing art) qui exige 1) la lecture, 2) la réflexion, 3) l'appropriation, 4) l'enfantement et enfin 5) la présence agissante sur scène d'un interprète cocréateur (cas d'une œuvre contemporaine) ou recréateur (cas d'une œuvre plus ancienne). Cette étape est indispensable ; une musique vivante est tout simplement impensable sans elle. En outre, une partition, même épaulée par tous les épitextes que l'on pourra jamais lui adjoindre par des travaux musicologiques, n'est pas l'équivalent en musique d'une œuvre d'art plastique. Y a-t-il une interprétation rigoureusement objective de Hamlet ? Non, parce que le texte de la pièce a été embrassé par une conscience. Y a-t-il une interprétation rigoureusement objective de la Hammerklavier ? Non plus, pour les mêmes raisons. Aborder la représentation des œuvres d'arts de la scène (musique, théâtre, danse) par les vertus ou les qualités ou les valeurs des arts « apolliniens », c'est l'équivalent de la pétrification de la chair. En musique, ça fait retomber la pierre tombale sur le musée. - Citation :
- La partition n'est rien de moins qu'un système symbolique qui présente les idées du compositeur, que l'interprète doit traduire pour retrouver les idées et les représenter.
Premièrement, la partition présente bien entendu les idées du compositeur, mais d'une manière fortement simplifiée, ne serait-ce que parce qu'il existe un nombre fini de signes conventionnels et que chacun de ces signes (en nombre fini) est une valeur déterminée dans un ensemble discret de valeurs possibles. Les valeurs possibles des signes qu'il est possible de renseigner sur la partition ne constituent pas un continuum mais un ensemble discret (ce n'est donc pas du tout le même aleph au sens mathématique du terme, pour faire simple). Et l'ensemble total des signes est en outre dénombrable -- et même en nombre fini. Qu'on ne vienne donc pas me dire que cela représente toutes les idées du compositeur et, moins encore, ces idées dans toute leur précision et tout leur raffinement. Deuxièmement, l'interprète n'a pas seulement à lire, réfléchir, traduire et restituer : l'étape cruciale consiste à faire renaître en lui-même l'impulsion première qui a déjà existé au préalable dans l'esprit du compositeur et qui a amené ce dernier à créer (voir par exemple Samuil Feinberg à propos de la notion d'image musicale). Qu'on ne vienne donc pas me dire qu'une telle étape de représentation, où l'humain est concerné à un degré aussi fondamental et intime, peut être objectivée. - Citation :
- Pour moi, tu te trompes assez lourdement en abordant la question de l'interprétation comme étant une expression métasémiotique. [...] L'expression qui incombe à l'interprète n'est pas spontanée, elle n'émane pas de lui-même. L'interprète perçoit les signes sur la partition, il doit reconstruire mentalement ce qui y est exprimé et par sa technique il doit chercher à exprimer cette idée. Par là, il est hautement dépendant du texte; il est sa source. Qu'il cherche à s'en émanciper est un profond problème, qui révèle une incompréhension profonde de ce qui lui est demandé de faire.
En disant cela, tu me prêtes plusieurs idées qui ne sont pas les miennes et que je n'ai donc pas exprimées. D'une part, c'est une tautologie -- rien de plus -- que de dire que l'interprète est dépendant du texte et que ce dernier est sa source. Comme souvent dans le cas des tautologies, nous tomberons aisément d'accord sur ce point. D'autre part, je n'ai jamais pensé ni dit ni laissé entendre que les interprètes doivent chercher à s'en émanciper pour que leurs interprétations trouvent grâce à mes yeux. Bien au contraire : j'ai toujours parlé de l'exercice d'une liberté totale dans un réseau de contraintes sans faille (mais j'ai dit dans le paragraphe précédent ce qu'il faut entendre, selon moi, quand on parle de réseau de contraintes dans le cas d'une partition musicale), ce qui démontre clairement que je subordonne le plein exercice de cette liberté totale au réseau de contraintes préexistant. Pour moi, je veux dire de mon point de vue, c'est toi qui amoindris essentiellement le rôle de l'interprète en disant que l'expression qui lui incombe n'est (ou ne lui est) pas spontanée et qu'elle n'émane pas de lui-même. Il est seul sur scène, bon sang, d'où veux-tu que l'expression émane si ce n'est de son esprit ? La seule chose que je refuse catégoriquement, c'est la croyance à l'objectivité : on peut rejeter toutes les interprétations qu'on veut, et ce pour toutes les raisons qu'on veut, mais pas en avançant l'argument de l'objectivité. C'est une activité humaine non scientifique, donc l'objectivité y est un leurre. L'interprète ajoute toujours une strate personnelle entre l'œuvre et nous, même et peut-être surtout s'il se veut objectif. - Citation :
- Quand Beethoven a une idée musicale, il la couche sur la papier (les écrits restent), à ce moment là il livre un produit fini, à savoir l'idée musicale, qui pourra être exprimée par tout pianiste qui daignera bien poser la partition sur son pupitre devant un parterre de destinataires.
Beethoven livre effectivement un produit fini, connu sous le nom de partition. Pas l'œuvre elle-même ni l'idée musicale sous-jacente, seulement (mais c'est déjà beaucoup) un ensemble fini de signes discrets dans l'espoir que des interprètes pourront entamer, grâce à lui et à partir de lui, le travail d'enfantement de l'idée musicale en eux-mêmes -- il faut donc que les interprètes soient frères en poésie des compositeurs --, et sur scène le jour J -- il faut donc aussi qu'ils soient virtuoses au sens le plus large possible du terme. Si vraiment le compositeur livrait un produit fini au sens où une sculpture est une œuvre d'art finie, il n'y aurait pas besoin d'interprètes autres que des chipsets, pas besoin d'interprètes du tout. - Citation :
- La partition symbolise matériellement l'idée musicale, elle est un vecteur car l'idée musicale elle-même n'est pas une substance transmissible. La partition permet cette communication, elle la fixe. La partition est un intermédiaire, mais de part sa fonction, elle est absolument incontournable; et la première loi que tout interprète devrait se fixer comme prolégomènes à toute pratique artistique est la suivante: la partition présente parfaitement l'idée musicale qu'elle symbolise. Cette hypothèse est la base de tout appréhension!
Sauf ce que j'ai passé en gras, nous sommes d'accord sur tout ; ce sont d'ailleurs des tautologies. Mais la partition ne fixe pas l'œuvre, et en tout cas elle n'en détermine pas l'interprétation au sens où des conditions initiales fixent ou déterminent parfaitement (saut peut-être dans le cas des systèmes chaotiques, quand les conditions initiales ne sont pas connues avec une précision littéralement infinie) toute l'évolution future d'un système dynamique en physique. Tu le dis d'ailleurs toi-même : « l'idée musicale [...] n'est pas une substance transmissible », ce qui rend en effet indispensable le vecteur. Mais puisque l'idée musicale n'est pas une substance, l'œuvre non plus n'est pas une substance et elle n'existe donc pas au monde. Deux lignes plus loin, tu affirmes pourtant que « la partition présente parfaitement [c'est moi qui souligne] l'idée musicale qu'elle symbolise. » Il faudrait savoir : elle la symbolise ou ( ou exclusif) elle la présente avec perfection. J'ai déjà dit en quoi la partition ne peut en être une présentation parfaite et je n'y reviens donc pas. Reste que la partition symbolise l'idée, ce sur quoi nous sommes d'accord. Et comme tous les symboles, elle reste à découvrir par des êtres humains, donc par des consciences multiples, des sensibilités diverses et mouvantes, etc. |
| | | Percy Bysshe Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9940 Date d'inscription : 06/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 21:08 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- D'une point de vue théorique, je suis tenté de te donner raison... mais l'expérience révèle que c'est faux. Une oeuvre excellente peut paraître médiocre lorsque interprétée mollement, et une oeuvre moyenne se parer de vertus supplémentaires.
C'est l'interprétation qui est médiocre à ce moment-là, pas l'oeuvre. - Citation :
- Pour le dire autrement : la vérité est peut-être dans la partition (ça se discute), mais ce n'est pas forcément la plus belle chose possible que la vérité.
J'estime au contraire qu'une oeuvre doit être servie de manière honnête. Enfin, je me demande bien de quelles vérités vous parlez, toi et Mariefran plus haut; vous appliquez Popper à l'art? Je ne sais pas si vous prenez le temps de me comprendre avant de me répondre... Je n'ai jamais parlé de vérité, mais de cohérence expressive. Il ne s'agit ni de vrai, ni de faux. Et en l'occurrence, l'expressivité qui n'est pas dans la partition ne m'intéresse pas. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97923 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 21:16 | |
| - Percy Bysshe a écrit:
- DavidLeMarrec a écrit:
- D'une point de vue théorique, je suis tenté de te donner raison... mais l'expérience révèle que c'est faux. Une oeuvre excellente peut paraître médiocre lorsque interprétée mollement, et une oeuvre moyenne se parer de vertus supplémentaires.
C'est l'interprétation qui est médiocre à ce moment-là, pas l'oeuvre. Ce n'est pas forcément vrai : l'interprétation peut être un peu mollement exacte. - Citation :
- Et en l'occurrence, l'expressivité qui n'est pas dans la partition ne m'intéresse pas.
C'est bien cela que nous résumons par le mot (oui, réducteur) de vérité. Il y a plein de choses qui ne sont pas dans la partition mais qu'elle suscite, et qui sont importantes. C'est un peu comme si tu voulais regarder un mélo l'oeil sec, quoi : il y a des choses qui arrivent indépendamment de ce qui est écrit. |
| | | Percy Bysshe Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9940 Date d'inscription : 06/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 22:00 | |
| - Scherzian a écrit:
- Mon argument est le suivant. La musique n'est pas un art plastique (oublie, si tu veux bien, l'aspect apollinien) -- arts plastiques dont la représentation se dispense, dans une certaine mesure (qui n'est déjà pas totale, mais passons), d'intermédiaires. L'œuvre picturale ou sculpturale ou architecturale passe quasi directement des mains du créateur à l'âme de celui à qui elle est destinée. La musique est un art de la scène (les anglophones parlent d'un performing art) qui exige 1) la lecture, 2) la réflexion, 3) l'appropriation, 4) l'enfantement et enfin 5) la présence agissante sur scène d'un interprète cocréateur (cas d'une œuvre contemporaine) ou recréateur (cas d'une œuvre plus ancienne). Cette étape est indispensable ; une musique vivante est tout simplement impensable sans elle. En outre, une partition, même épaulée par tous les épitextes que l'on pourra jamais lui adjoindre par des travaux musicologiques, n'est pas l'équivalent en musique d'une œuvre d'art plastique. Y a-t-il une interprétation rigoureusement objective de Hamlet ? Non, parce que le texte de la pièce a été embrassé par une conscience. Y a-t-il une interprétation rigoureusement objective de la Hammerklavier ? Non plus, pour les mêmes raisons. Aborder la représentation des œuvres d'arts de la scène (musique, théâtre, danse) par les vertus ou les qualités ou les valeurs des arts « apolliniens », c'est l'équivalent de la pétrification de la chair. En musique, ça fait retomber la pierre tombale sur le musée.
Précisément, la musique doit tendre à l'idéal plasticien que tu décris. Qui mieux que Chopin pouvait exprimer des oeuvres dont lui seul a ressenti la plus urgente nécessité et qu'il a fécondé? De même pour Liszt, pour Beethoven. Il n'y a pas la barrière de la partition, le compositeur/interprète, de même que le peintre imagine l'idée et la réalise sur la Toile, voilà l'idéal. Quand à la division en art de la scène / art plastiques, ayant fréquenté énormément les musées - et le faisant encore dès que j'en ai l'occasion - j'ai été amené à remettre en cause cette distinction très vivement. Lorsque l'on se place devant un tableau, c'est de la même manière que l'on se place devant une scène: pendant un instant déterminé, qui n'est pas infini. On perçoit certaines choses d'autres, on passe à côté d'autres. En se déplaçant, on en voit d'autres. Ca n'a rien de figé. Seul l'oeil travaille: il perçoit les mouvements, il entends les bruits, il est touché par telle sensualité ou telle austérité, il a chaud, il a froid... Les arts plastiques sont tout aussi vivants! Les émotions naissent lorsque l'on se place devant le tableau et s'effacent lorsque l'on s'en écarte, tout comme la musique. Pour résumer, lorsque j'écoute une oeuvre, le fait que j'aborde n'est pas "ce pianiste interprète cette oeuvre" mais bien plutôt directement "le discours que j'écoute, l'expression qui m'est présenté". Je l'applaudirai en revanche bien fort s'il m'a convaincu et a été cohérent. Mais je serais venu écouter Beethoven et Chopin, pas lui. Et je n'ai jamais parlé d'objectivité. Enfin, je suis parfaitement d'accord avec la phrase en gras. - Citation :
- Premièrement, la partition présente bien entendu les idées du compositeur, mais d'une manière fortement simplifiée, ne serait-ce que parce qu'il existe un nombre fini de signes conventionnels et que chacun de ces signes (en nombre fini) est une valeur déterminée dans un ensemble discret de valeurs possibles. Les valeurs possibles des signes qu'il est possible de renseigner sur la partition ne constituent pas un continuum mais un ensemble discret (ce n'est donc pas du tout le même aleph au sens mathématique du terme, pour faire simple). Et l'ensemble total des signes est en outre dénombrable -- et même en nombre fini. Qu'on ne vienne donc pas me dire que cela représente toutes les idées du compositeur et, moins encore, ces idées dans toute leur précision et tout leur raffinement. Deuxièmement, l'interprète n'a pas seulement à lire, réfléchir, traduire et restituer : l'étape cruciale consiste à faire renaître en lui-même l'impulsion première qui a déjà existé au préalable dans l'esprit du compositeur et qui a amené ce dernier à créer (voir par exemple Samuil Feinberg à propos de la notion d'image musicale). Qu'on ne vienne donc pas me dire qu'une telle étape de représentation, où l'humain est concerné à un degré aussi fondamental et intime, peut être objectivée.
Encore une fois, je n'ai jamais parlé d'objectivation. Il a différentes façons d'utiliser sa subjectivité: l'utiliser pour comprendre celle du compositeur, ou l'utiliser pour elle-même... - Citation :
-
- Citation :
- Pour moi, tu te trompes assez lourdement en abordant la question de l'interprétation comme étant une expression métasémiotique. [...] L'expression qui incombe à l'interprète n'est pas spontanée, elle n'émane pas de lui-même. L'interprète perçoit les signes sur la partition, il doit reconstruire mentalement ce qui y est exprimé et par sa technique il doit chercher à exprimer cette idée. Par là, il est hautement dépendant du texte; il est sa source. Qu'il cherche à s'en émanciper est un profond problème, qui révèle une incompréhension profonde de ce qui lui est demandé de faire.
En disant cela, tu me prêtes plusieurs idées qui ne sont pas les miennes et que je n'ai donc pas exprimées. D'une part, c'est une tautologie -- rien de plus -- que de dire que l'interprète est dépendant du texte et que ce dernier est sa source. Comme souvent dans le cas des tautologies, nous tomberons aisément d'accord sur ce point. D'autre part, je n'ai jamais pensé ni dit ni laissé entendre que les interprètes doivent chercher à s'en émanciper pour que leurs interprétations trouvent grâce à mes yeux. Bien au contraire : j'ai toujours parlé de l'exercice d'une liberté totale dans un réseau de contraintes sans faille (mais j'ai dit dans le paragraphe précédent ce qu'il faut entendre, selon moi, quand on parle de réseau de contraintes dans le cas d'une partition musicale), ce qui démontre clairement que je subordonne le plein exercice de cette liberté totale au réseau de contraintes préexistant. Pour moi, je veux dire de mon point de vue, c'est toi qui amoindris essentiellement le rôle de l'interprète en disant que l'expression qui lui incombe n'est (ou ne lui est) pas spontanée et qu'elle n'émane pas de lui-même. Il est seul sur scène, bon sang, d'où veux-tu que l'expression émane si ce n'est de son esprit ? La seule chose que je refuse catégoriquement, c'est la croyance à l'objectivité : on peut rejeter toutes les interprétations qu'on veut, et ce pour toutes les raisons qu'on veut, mais pas en avançant l'argument de l'objectivité. C'est une activité humaine non scientifique, donc l'objectivité y est un leurre. L'interprète ajoute toujours une strate personnelle entre l'œuvre et nous, même et peut-être surtout s'il se veut objectif. Je ne vais pas ressortir la citation qui se situe quelques messages plus haut, mais je n'ai rien inventé non plus. Une fois encore, je n'ai pas parlé d'objectivité, je ne sais pas d'où te vient cette manie - décidément! Je crois que nous sommes plutôt d'accords sur bien des points en réalité: sur ton paragraphe, je n'ai rien à redire. - Citation :
-
- Citation :
- Quand Beethoven a une idée musicale, il la couche sur la papier (les écrits restent), à ce moment là il livre un produit fini, à savoir l'idée musicale, qui pourra être exprimée par tout pianiste qui daignera bien poser la partition sur son pupitre devant un parterre de destinataires.
Beethoven livre effectivement un produit fini, connu sous le nom de partition. Pas l'œuvre elle-même ni l'idée musicale sous-jacente, seulement (mais c'est déjà beaucoup) un ensemble fini de signes discrets dans l'espoir que des interprètes pourront entamer, grâce à lui et à partir de lui, le travail d'enfantement de l'idée musicale en eux-mêmes -- il faut donc que les interprètes soient frères en poésie des compositeurs --, et sur scène le jour J -- il faut donc aussi qu'ils soient virtuoses au sens le plus large possible du terme. Si vraiment le compositeur livrait un produit fini au sens où une sculpture est une œuvre d'art finie, il n'y aurait pas besoin d'interprètes autres que des chipsets, pas besoin d'interprètes du tout. Oui, mais les interprètes ne sont là parce que la nature même de l'expression musicale le nécessite. Lorsqu'un interprète joue une oeuvre, il doit accepter de porter un discours qui n'est pas le sien (en musique comme au théâtre, où c'est une évidence). Incarner, ce n'est pas être. L'interprète doit prendre compte et par son intelligence assumer cette nuance. L'interprète est un roi de l'expression; il doit pouvoir exprimer ce qu'il à la perfection, en s'aidant de sa propre subjectivité, ce qui n'émane pas de lui. La métaphore du traducteur me plaît beaucoup. - Citation :
- Sauf ce que j'ai passé en gras, nous sommes d'accord sur tout ; ce sont d'ailleurs des tautologies. Mais la partition ne fixe pas l'œuvre, et en tout cas elle n'en détermine pas l'interprétation au sens où des conditions initiales fixent ou déterminent parfaitement (saut peut-être dans le cas des systèmes chaotiques, quand les conditions initiales ne sont pas connues avec une précision littéralement infinie) toute l'évolution future d'un système dynamique en physique. Tu le dis d'ailleurs toi-même : « l'idée musicale [...] n'est pas une substance transmissible », ce qui rend en effet indispensable le vecteur. Mais puisque l'idée musicale n'est pas une substance, l'œuvre non plus n'est pas une substance et elle n'existe donc pas au monde. Deux lignes plus loin, tu affirmes pourtant que « la partition présente parfaitement [c'est moi qui souligne] l'idée musicale qu'elle symbolise. » Il faudrait savoir : elle la symbolise ou (ou exclusif) elle la présente avec perfection. J'ai déjà dit en quoi la partition ne peut en être une présentation parfaite et je n'y reviens donc pas. Reste que la partition symbolise l'idée, ce sur quoi nous sommes d'accord. Et comme tous les symboles, elle reste à découvrir par des êtres humains, donc par des consciences multiples, des sensibilités diverses et mouvantes, etc.
L'oeuvre existe en tant qu'elle est symbolisée par la partition, de la même manière que nous existons et que nous pouvons être perçu comme existants grâce au symbole qu'est notre corps. Voilà l'enjeu de la partition. Wittgenstein a parfaitement saisi quel différence entre ce qui peut être et ce qui peut être exprimé, il suffit de lire le début du Tractatus. |
| | | Percy Bysshe Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9940 Date d'inscription : 06/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 22:12 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Ce n'est pas forcément vrai : l'interprétation peut être un peu mollement exacte.
Et il n'y aura que les mélomanes aliénés par le disque pour venir s'en plaindre! - Citation :
-
- Citation :
- Et en l'occurrence, l'expressivité qui n'est pas dans la partition ne m'intéresse pas.
C'est bien cela que nous résumons par le mot (oui, réducteur) de vérité. Il y a plein de choses qui ne sont pas dans la partition mais qu'elle suscite, et qui sont importantes.
C'est un peu comme si tu voulais regarder un mélo l'oeil sec, quoi : il y a des choses qui arrivent indépendamment de ce qui est écrit. En s'intéressant à ce qu'elle peut susciter, on s'écarte de ce qu'elle est, de son essence; un exemple récent: les nazis dans Mathis à Bastille. La subjectivité ne doit s'exacerber et prendre le pas sur la subjectivité du compositeur! Ce sont des considérations mélomaniaques. Evidemment, si les oeuvres que vous écoutez sont toujours pareillement exécutées, vous deviendriez vite fous - alors on légitime bien vite les digressions, les nouvelles choses, pas tant pour ce qu'elles apportent que pour ce qu'elles renouvellent. Les divagations des interprètes deviennent alors la substance de l'oeuvre, bien plus que la partition elle-même... |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97923 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 22:20 | |
| - Percy Bysshe a écrit:
- DavidLeMarrec a écrit:
- Ce n'est pas forcément vrai : l'interprétation peut être un peu mollement exacte.
Et il n'y aura que les mélomanes aliénés par le disque pour venir s'en plaindre! Non, justement, ça change véritablement tout. Je vais te donner la Sonate en si par Weissenberg et on en reparle, de tout ce que tu perds malgré l'exactitude. - Citation :
- En s'intéressant à ce qu'elle peut susciter, on s'écarte de ce qu'elle est, de son essence; un exemple récent: les nazis dans Mathis à Bastille. La subjectivité ne doit s'exacerber et prendre le pas sur la subjectivité du compositeur!
Les nazocommunistes étaient une réduction, mais certainement pas une déformation ! - Citation :
- Ce sont des considérations mélomaniaques. Evidemment, si les oeuvres que vous écoutez sont toujours pareillement exécutées, vous deviendriez vite fous - alors on légitime bien vite les digressions, les nouvelles choses, pas tant pour ce qu'elles apportent que pour ce qu'elles renouvellent. Les divagations des interprètes deviennent alors la substance de l'oeuvre, bien plus que la partition elle-même...
Il y a de ça évidemment, mais pas seulement. Je crois que lorsqu'on est sensible à la musique baroque (comme tu l'es...), on ne peut pas soutenir de l'interprétation est une part secondaire de l'essence musicale. Compare Médée par Nadia Boulanger et par Christie. Ca n'est vraiment pas la même chose. D'ailleurs il n'y a que le classique dans lequel l'interprétation ne soit pas co-créatrice de l'oeuvre, et ce n'est vrai qu'à partir de la seconde moitié du XVIIIe. Bref, gare à l'essentialisation de l'oeuvre écrite : elle est logique théoriquement, mais se révèle totalement aléatoire en pratique. |
| | | Percy Bysshe Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9940 Date d'inscription : 06/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 22:31 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Percy Bysshe a écrit:
- DavidLeMarrec a écrit:
- Ce n'est pas forcément vrai : l'interprétation peut être un peu mollement exacte.
Et il n'y aura que les mélomanes aliénés par le disque pour venir s'en plaindre! Non, justement, ça change véritablement tout. Je vais te donner la Sonate en si par Weissenberg et on en reparle, de tout ce que tu perds malgré l'exactitude. Si on y perds autant que tu le dis, c'est peut-être précisément parce que ce n'est pas si exact que cela... - Citation :
-
- Citation :
- En s'intéressant à ce qu'elle peut susciter, on s'écarte de ce qu'elle est, de son essence; un exemple récent: les nazis dans Mathis à Bastille. La subjectivité ne doit s'exacerber et prendre le pas sur la subjectivité du compositeur!
Les nazocommunistes étaient une réduction, mais certainement pas une déformation ! Il n'est pas exagéré de dire que le metteur en scène a tuer l'implicite ici, pourtant... - Citation :
- Il y a de ça évidemment, mais pas seulement. Je crois que lorsqu'on est sensible à la musique baroque (comme tu l'es...), on ne peut pas soutenir de l'interprétation est une part secondaire de l'essence musicale.
Compare Médée par Nadia Boulanger et par Christie. Ca n'est vraiment pas la même chose. D'ailleurs il n'y a que le classique dans lequel l'interprétation ne soit pas co-créatrice de l'oeuvre, et ce n'est vrai qu'à partir de la seconde moitié du XVIIIe. Bref, gare à l'essentialisation de l'oeuvre écrite : elle est logique théoriquement, mais se révèle totalement aléatoire en pratique. Oui, mais je pense que l'on sera d'accord pour dire que tout ce qui est écrit reste primordial. Quant à ce que l'interprète doit apporter, il doit le faire en totale cohérence avec ce qui est écrit... |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97923 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 22:37 | |
| - Percy Bysshe a écrit:
- Si on y perds autant que tu le dis, c'est peut-être précisément parce que ce n'est pas si exact que cela...
On peut être exact et indolent, ça n'a rien à voir. Le côté vivant d'une oeuvre tient souvent largement à la qualité de l'agogique chez l'interprète... Evidemment, il y a des choses inratables (la Cinquième de Beethoven, tel que c'est écrit, franchement que ce soit joué par l'Orchestre d'Auvergne ou par Berlin, c'est vertigineux), mais aussi beaucoup de choses où la part de l'interprète est considérable, pour ne pas dire déterminante (la gestion de l'irrégularité dans le baroque français, c'est pas marqué sur la partition ce qu'il faut faire exactement...). - Citation :
- Il n'est pas exagéré de dire que le metteur en scène a tuer l'implicite ici, pourtant...
Mais tout le monde est d'accord pour trouver ça assez prosaïque et superfétatoire. - Citation :
- Oui, mais je pense que l'on sera d'accord pour dire que tout ce qui est écrit reste primordial. Quant à ce que l'interprète doit apporter, il doit le faire en totale cohérence avec ce qui est écrit...
Disons que ça relativise déjà franchement la position absolutiste. Et personnellement, peu m'importe franchement : ce que je veux, c'est pas l'authenticité de la psyché du créateur, c'est un truc qui me rassasie. Que ce soit le compositeur, l'interprète ou même mon imagination qui l'apporte, ça m'est bien égal. Après, si tu veux dire qu'à force de s'interroger sur l'interprétation, on perd de vue l'oeuvre, qui reste quand même le plus intéressant, j'abonde totalement (d'où l'absurdité de la plupart des écoutes à l'aveugle, à l'exception notable de celle en cours qui est tout à fait passionnante à lire). Néanmoins, ça reste assez loin de la position de principe que tu défends. |
| | | Percy Bysshe Mélomane chevronné
Nombre de messages : 9940 Date d'inscription : 06/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 3 Déc 2010 - 22:49 | |
| J'essayais simplement d'énoncer ce qui est préférable (ce n'est même pas une question de bien ou de mal), dans l'absolu, en matière de démarche interprétative. Mais j'écoute très bien des interprètes qui sont à des lieux de ces considérations... et je n'en fais pas une affaire personnelle. Je pense que tout le monde l'avait compris, connaissant mes habitudes d'écoute; dès que c'est joué, je prends. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 4 Déc 2010 - 0:57 | |
| - Percy Bysshe a écrit:
- Précisément, la musique doit tendre à l'idéal plasticien que tu décris.
La musique doit donc tendre à un idéal qui est selon moi sa propre pétrification. Désolé, mais je ne peux pas être d'accord avec cela. D'ailleurs, est-ce une conséquence de la nature elle-même de la musique ? Ou plutôt une position de principe philosophique ? Ou encore un résultat de la recherche ? « Devoir », voilà un sacré verbe... - Citation :
- Quand à la division en art de la scène / art plastiques, ayant fréquenté énormément les musées - et le faisant encore dès que j'en ai l'occasion - j'ai été amené à remettre en cause cette distinction très vivement. Lorsque l'on se place devant un tableau, c'est de la même manière que l'on se place devant une scène: pendant un instant déterminé, qui n'est pas infini. On perçoit certaines choses d'autres, on passe à côté d'autres. En se déplaçant, on en voit d'autres. Ca n'a rien de figé. Seul l'oeil travaille: il perçoit les mouvements, il entends les bruits, il est touché par telle sensualité ou telle austérité, il a chaud, il a froid... Les arts plastiques sont tout aussi vivants! Les émotions naissent lorsque l'on se place devant le tableau et s'effacent lorsque l'on s'en écarte, tout comme la musique.
Je suis d'accord avec toi que les arts plastiques sont vivants, mais tu remarqueras que l'œuvre d'art plastique elle-même, continuellement constituée des mêmes molécules dans les mêmes arrangements cristallins (du moins à l'échelle de la vie d'un homme, car il y a bien sûr des altérations physico-chimiques à long terme), ne vit en tant qu'œuvre, et non comme un simple objet matériel, que dans l'œil de l'amateur d'art. Dans le cas de la musique, en revanche, l'œuvre musicale vivante ne vit en tant qu'œuvre, et non comme un ensemble de signes sur une feuille de papier, que grâce à l'oreille du mélomane et, au préalable, grâce à la volonté agissante d'un ou plusieurs interprètes. C'est là la seule différence ou distinction qui m'importe entre les arts plastiques et ceux de la scène, et cette distinction est essentielle puisqu'elle implique l'humain. Je ne disais rien d'autre. - Citation :
- Et je n'ai jamais parlé d'objectivité.
- Citation :
- Encore une fois, je n'ai jamais parlé d'objectivation.
- Citation :
- Une fois encore, je n'ai pas parlé d'objectivité, je ne sais pas d'où te vient cette manie - décidément!
Je n'ai jamais pensé, dit, prétendu ou laissé entendre que tu parlais d'objectivité. C'est simplement moi qui ai indiqué que c'est une notion qui m'est assez peu supportable quand il s'agit de pratique musicale. C'est certes en te répondant que je suis venu sur cette notion, mais cela ne signifie pas que je te prête des paroles que tu n'as pas eues. Quand il y a discussion entre deux interlocuteurs, la prose de chacun des deux ne se limite pas à réagir millimétriquement aux propos de l'autre par l'expression d'un accord ou d'un désaccord ; il peut aussi y avoir des digressions ou des développements destinés à préciser la pensée de celui qui parle. Quoi qu'il en soit, si une œuvre de musique « doit » tendre à l'idéal des arts plastiques au sens où leurs œuvres sont aussi des objets matériels, ce processus lui donnera sans doute une objectivité. Pour le reste, j'aimerais bien que tu ne me prêtes pas des choses problématiques ou des manies que je n'ai pas (celles que je porte en moi me suffisent, comme disait Goethe). - Citation :
- Je ne vais pas ressortir la citation qui se situe quelques messages plus haut, mais je n'ai rien inventé non plus.
J'ai dit que les interprètes étaient sûrs d'avoir à dire quelque chose de pertinent et d'unique à propos de l'œuvre qu'ils jouent. Tu as ensuite taxé cela de métasémiotique. Mais tous les interprètes sont porteurs de cette certitude ou de cette sûreté... sinon ils ne joueraient pas l'œuvre en récital et/ou ils ne l'enregistreraient pas. Procédons par l'absurde : s'ils pensaient que ce qu'ils ont à y dire n'est pas pleinement pertinent, s'ils pensaient que ce qu'ils ont à y dire a déjà été dit par d'autres, se donneraient-ils seulement la peine de monter sur scène ou d'entrer dans un studio ? À mon avis, non. (C'est une autre question de savoir s'ils ont eu raison ou non de penser cela, bien sûr.) Là où je ne pouvais pas ne pas réagir, c'est quand tu semblais me prêter l'idée saugrenue selon laquelle l'interprète devrait s'émanciper du texte qui constitue sa source. Mon opinion, au contraire, est que toute personne qui ne modifie pas volontairement le texte lui est fidèle. - Citation :
- Oui, mais les interprètes ne sont là parce que la nature même de l'expression musicale le nécessite. Lorsqu'un interprète joue une oeuvre, il doit accepter de porter un discours qui n'est pas le sien (en musique comme au théâtre, où c'est une évidence). Incarner, ce n'est pas être. L'interprète doit prendre compte et par son intelligence assumer cette nuance. L'interprète est un roi de l'expression; il doit pouvoir exprimer ce qu'il à la perfection, en s'aidant de sa propre subjectivité, ce qui n'émane pas de lui.
La métaphore du traducteur me plaît beaucoup. La métaphore ne me plaît pas, mais pour le reste je suis assez d'accord, en fait (quand on parle de traduction, c'est d'une langue vers une autre ; ici, il s'agit de rendre à la musique vivante ce qui a été de la musique vivante avant d'être couché sur du papier ; ce n'est pas la même chose, je trouve). Tu as raison de dire que le discours n'est pas le sien, mais pour ma part j'ajouterai qu'il n'est pas le sien au départ. Dès qu'il décide de jouer une œuvre, c'est qu'il a fait sien le discours, qu'il l'a possédé, qu'il a pu faire renaître l'œuvre en lui (par lecture, par raisonnement, par intelligence, par culture -- et par créativité personnelle) avant de la monter sur scène. Tout cela n'émanait pas de lui avant qu'il y touche, mais dans son acte d'interprétation je pense que cela émane tout autant de lui. - Citation :
- L'oeuvre existe en tant qu'elle est symbolisée par la partition, de la même manière que nous existons et que nous pouvons être perçu comme existants grâce au symbole qu'est notre corps. Voilà l'enjeu de la partition.
Mais mon corps n'est pas mon symbole. Je n' ai pas un corps : je suis un corps. Si mon voisin me perçoit comme existant, ce n'est pas grâce à un symbole de moi mais grâce à une réalité physique qu'il peut palper (pas trop quand même, sinon la réaction lui confirmera l'existence dont il semblait douter), qu'il peut remettre en question, qu'il peut soumettre à l'expérience comme un physicien le ferait avec des atomes. Soit. La partition est donc toute l'œuvre. C'est là que nous divergeons. (Furtwängler a écrit des lignes splendides sur la lettre et sur l'œuvre.) |
| | | Pan Mélomane chevronné
Nombre de messages : 3461 Date d'inscription : 24/12/2006
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 4 Déc 2010 - 9:34 | |
| - Scherzian a écrit:
- Pan a écrit:
- je crois que l'œuvre existe par-delà la partition et que même si elle est inconnaissable, elle est reconnaissable puisqu'il s'agit d'une création humaine.
Je suis d'accord avec toi qu'elle est inconnaissable, mais je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu entends par « œuvre reconnaissable ». Je vais expliquer ce que j'entendais par-là : je crois que la vérité de l'œuvre, c'est à dire l'œuvre en fait, peut être reconnue instinctivement, comme une révélation. Si je devais faire une analogie avec les arts plastiques, je comparerais l'interprète au restaurateur de tableaux qui essaie de restituer les couleurs choisies par l'artiste. - Scherzian a écrit:
- puisque l'idée musicale n'est pas une substance, l'œuvre non plus n'est pas une substance et elle n'existe donc pas au monde.
Ce n'est pas parce que quelque chose ne nous est pas connaissable qu'il n'existe pas au monde. Pour continuer dans les analogies, en voici une avec la physique : le principe d'incertitude nous dit que l'on ne peut pas connaître précisément à la fois la position et la vitesse d'une particule. Si l'on choisit de connaître sa position, sa vitesse nous sera partiellement inconnue, mais ce n'est pas pour cela qu'elle n'existe pas au monde, puisque nous aurions tout aussi bien pu choisir de connaître cette vitesse, et c'est alors sa position qui nous aurait été partiellement inconnue. - Mariefran a écrit:
- Une partition, ça s'interprète, comme n'importe quel autre texte… Et le compositeur n'en est pas davantage maître que celui qui la lit, il ne sait pas lui-même tout ce qu'il y a mis. Un exemple tout simple. Chosta a laissé une interprétation de ses Préludes et Fugues mais il préférait la version qu'en avait livré Maria Grinberg en concert… Parce qu'elle lui révélait des choses qu'il ignorait et qu'il trouvait plus intéressantes. La vérité de la partition, ça n'existe pas, tout simplement parce que la lecture passe toujours par une conscience.
On peut imaginer que l'idée est perçue confusément par le compositeur lui-même. C'est ce dont je parlais précédemment quand je disais que le talent d'un compositeur se mesure à l'aune de sa capacité à pouvoir l'exprimer. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise idée, il n'y a que des idées plus ou moins bien énoncées (je ne parle pas, bien sûr, d'un point de vue moral. On pourra toujours discuter le côté malsain d'une idée). Dans ces conditions, on peut admettre qu'un interprète révèle au compositeur une partie de l'œuvre que celui-ci n'avait pas clairement vue. C'est d'ailleurs un peu fou de penser que l'interprète parvienne à trouver des choses qui n'étaient pas dans la partition, mais dans l'idée originale. Les voies de la Musique sont impénétrables... - DavidLeMarrec a écrit:
- la vérité est peut-être dans la partition (ça se discute), mais ce n'est pas forcément la plus belle chose possible que la vérité.
Tu dis ça parce que tu ne crois plus au Père Noël. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 4 Déc 2010 - 11:29 | |
| - Pan a écrit:
- [...] [J]e crois que la vérité de l'œuvre, c'est à dire l'œuvre en fait, peut être reconnue instinctivement, comme une révélation. Si je devais faire une analogie avec les arts plastiques, je comparerais l'interprète au restaurateur de tableaux qui essaie de restituer les couleurs choisies par l'artiste.
En laissant de côté l'analogie avec les arts plastiques, parce que contrairement aux tableaux rien ne vient se superposer à l'œuvre musicale au fur et à mesure que le temps passe (sauf peut-être l'histoire des pratiques d'exécution, mais celles-ci ne se posent pas sur l'œuvre de musique comme de la gouache sur une aquarelle ; il suffit de rejouer l'œuvre pour que ces strates disparaissent... et pour en ajouter d'autres, d'ailleurs), c'est en effet à mon avis une révélation reconnue d'instinct. Mais pour prendre comme exemple la sonate qui nous a amenés ici, l'opus 111 de Beethoven, j'ai ressenti cette révélation tout autant par Sofronitsky (pour lequel nos deux votes ont été opposés) que par le vainqueur du groupe n°1 (où nos deux votes intervertissaient simplement nos deux versions de tête), que par Michelangeli en 1961 (que j'aurais comme toi placé en tête de son groupe) et que par le vainqueur du groupe n°4 (idem). Tout ça pour dire qu'à mon avis en musique la révélation instinctive est aussi affaire de récepteur. - Citation :
- Ce n'est pas parce que quelque chose ne nous est pas connaissable qu'il n'existe pas au monde. Pour continuer dans les analogies, en voici une avec la physique : le principe d'incertitude nous dit que l'on ne peut pas connaître précisément à la fois la position et la vitesse d'une particule. Si l'on choisit de connaître sa position, sa vitesse nous sera partiellement inconnue, mais ce n'est pas pour cela qu'elle n'existe pas au monde, puisque nous aurions tout aussi bien pu choisir de connaître cette vitesse, et c'est alors sa position qui nous aurait été partiellement inconnue.
Excuse-moi Pan, mais ce n'est pas cela la position épistémologique du principe de Heisenberg en mécanique quantique. En fait, si l'on applique la mécanique classique et l'électrodynamique classique à l'explication des phénomènes atomiques, on est conduit à des résultats en contradiction complète avec les faits d'expérience dans ce domaine. Par exemple : les électrons, particules chargées (négativement), en orbite classique, c'est-à-dire en trajectoire, autour d'un noyau atomique chargé, devraient classiquement émettre en continu des ondes électromagnétiques, donc perdre de l'énergie, donc chuter sur le noyau. Mécanique et électrodynamique classiques conduisent donc au résultat, invalidé par toutes les expériences atomiques, que l'atome est instable, incapable de durer. La mécanique capable de rendre compte des phénomènes atomiques est la mécanique quantique dont un des principes fondamentaux est le principe d'incertitude de Heisenberg qui affirme qu'en mécanique quantique la notion même de trajectoire d'une particule n'existe pas. C'est un principe négatif, en quelque sorte (voir par exemple Landau et Lifchitz, Mécanique quantique, §1). Mais ça ne dit pas que quoi que ce soit nous est partiellement connu ou inconnu : en fait, c'est un principe qui s'attache à la nature très particulière du processus de mesure en mécanique quantique. Ce principe dit qu'il est impossible de construire un appareil de mesure d'un phénomène quantique qui n'exerce absolument aucune action sur ce qu'il étudie. L'action en question peut être rendue aussi petite qu'on veut, mais plus la mesure est précise plus cette action est forte. Par exemple : dans l'expérience des deux trous d'Young menée avec des électrons (et non avec des balles de fusil macroscopiques, par exemple), si un appareil est capable de déterminer par lequel des deux trous l'électron est passé (précision de mesure totale sur l'état de l'électron), alors cet appareil ne peut pas avoir été assez délicat pour ne pas avoir ruiné profondément la figure d'interférence de l'expérience (voir par exemple Feynman, Mécanique quantique, pages 1-30). Comme chaque fois qu'on pose un principe en physique, il se soumet à la réfutation expérimentale. Celui de Heisenberg protège la mécanique quantique. Son seul et unique intérêt est que, jusqu'à ce jour et au terme de toutes les expériences atomiques de réfutation qui ont été menées contre lui, eh bien il est toujours debout. Et la théorie qu'il protège, en l'occurrence la mécanique quantique, rend compte des phénomènes atomiques, ce qui est tout ce qu'on lui demande. Si j'ai réagi si longuement, c'est parce que ton analogie ne concerne pas tant la possibilité de connaître le monde -- en réalité, la mécanique quantique est la théorie physique capable de nous fournir une connaissance du monde de la matière à un niveau très intime -- que la nature de la mesure que nous effectuons pour l'étudier, ce qui n'est pas la même chose. |
| | | Pan Mélomane chevronné
Nombre de messages : 3461 Date d'inscription : 24/12/2006
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 4 Déc 2010 - 14:58 | |
| - Scherzian a écrit:
- En laissant de côté l'analogie avec les arts plastiques, parce que contrairement aux tableaux rien ne vient se superposer à l'œuvre musicale au fur et à mesure que le temps passe (sauf peut-être l'histoire des pratiques d'exécution, mais celles-ci ne se posent pas sur l'œuvre de musique comme de la gouache sur une aquarelle
Et pourquoi ? On pourrait dire que ce sont les approximations de la partition qui viennent se superposer à l'œuvre. Je trouve que l'image illustre bien le fait que l'interprète s'attache à dégager l'œuvre de sa gangue. - Citation :
- Mais pour prendre comme exemple la sonate qui nous a amenés ici, l'opus 111 de Beethoven, j'ai ressenti cette révélation tout autant par Sofronitsky (pour lequel nos deux votes ont été opposés) que par le vainqueur du groupe n°1 (où nos deux votes intervertissaient simplement nos deux versions de tête), que par Michelangeli en 1961 (que j'aurais comme toi placé en tête de son groupe) et que par le vainqueur du groupe n°4 (idem). Tout ça pour dire qu'à mon avis en musique la révélation instinctive est aussi affaire de récepteur.
Ça peut aussi signifier qu'ils étaient à côté de la plaque : il n'y a pas de demi-révélation, c'est tout ou rien. - Citation :
- Excuse-moi Pan, mais ce n'est pas cela la position épistémologique du principe de Heisenberg en mécanique quantique.
C'est moi qui m'excuse d'avoir dénaturé le principe d'indétermination et je te remercie de cette mise au point. Néanmoins, je peux (tenter de) te donner d'autres exemples que ce n'est pas parce qu'une chose ne nous est pas connaissable qu'elle n'existe pas au monde. Prenons l'état présent d'une étoile jeune situé à quelques milliers d'années-lumière. Il ne nous ai pas connaissable puisque nous ne recevrons la lumière actuelle de cette étoile que dans quelques milliers d'années, pour autant il existe au monde. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 4 Déc 2010 - 16:04 | |
| - Pan a écrit:
- [...] On pourrait dire que ce sont les approximations de la partition qui viennent se superposer à l'œuvre. Je trouve que l'image illustre bien le fait que l'interprète s'attache à dégager l'œuvre de sa gangue.
Je n'avais pas songé à cela en lisant ton paragraphe en question, ta première analogie avec les arts plastiques, excuse-moi. Je suis entièrement d'accord avec ton paragraphe cité ci-dessus. - Citation :
- Scherzian a écrit:
- Mais pour prendre comme exemple la sonate qui nous a amenés ici, l'opus 111 de Beethoven, j'ai ressenti cette révélation tout autant par Sofronitsky (pour lequel nos deux votes ont été opposés) que par le vainqueur du groupe n°1 (où nos deux votes intervertissaient simplement nos deux versions de tête), que par Michelangeli en 1961 (que j'aurais comme toi placé en tête de son groupe) et que par le vainqueur du groupe n°4 (idem). Tout ça pour dire qu'à mon avis en musique la révélation instinctive est aussi affaire de récepteur.
Ça peut aussi signifier qu'ils étaient à côté de la plaque : il n'y a pas de demi-révélation, c'est tout ou rien. C'est vrai que ça ne peut pas être une demi-révélation ; rien de plus frustrant qu'une interprétation qui s'interrompt aux trois quarts de ses décisions et qui n'assume pas. Ceci dit, pour les quatre que j'ai citées, c'est quatre fois « tout », à mes yeux (je dis bien à mes yeux, ce qui peut impliquer que je sois moi-même à côté de la plaque au moins une fois, mais comment expliquer alors d'autres convergences ?). - Citation :
- [...] Néanmoins, je peux (tenter de) te donner d'autres exemples que ce n'est pas parce qu'une chose ne nous est pas connaissable qu'elle n'existe pas au monde. Prenons l'état présent d'une étoile jeune situé à quelques milliers d'années-lumière. Il ne nous ai pas connaissable puisque nous ne recevrons la lumière actuelle de cette étoile que dans quelques milliers d'années-lumière, pour autant il existe au monde.
En fait, je suis d'accord avec le membre de phrase ci-dessus que tu as passé en italiques. Pour la seconde analogie, il n'est même pas nécessaire de rejeter l'étoile jeune à des milliers d'années-lumière : même notre soleil, nous ne connaissons que ce qu'était son état il y a huit minutes. C'est pour ça qu'on fait l'hypothèse que les lois de la physique sont valables et les mêmes « ailleurs », ce qui, en l'occurrence, revient aussi à supposer qu'elles sont valables et les mêmes « par le passé ». L'étoile jeune dont tu parles a (ou, en tout cas, a eu il y a quelques milliers d'années) une composition chimique qu'on peut étudier d'ici et maintenant, et donc connaître (avec un retard connu lui aussi), ce qui permet de la modéliser avec ce qu'on sait de l'astrophysique stellaire. Une fois que c'est fait, on peut faire évoluer son modèle et connaître ce qu'elle est aujourd'hui, au moment où partent ses photons qui nous atteindront dans quelques milliers d'années seulement, et ce qu'elle deviendra plus tard. |
| | | Pan Mélomane chevronné
Nombre de messages : 3461 Date d'inscription : 24/12/2006
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 4 Déc 2010 - 17:42 | |
| - Scherzian a écrit:
- Ceci dit, pour les quatre que j'ai citées, c'est quatre fois « tout », à mes yeux (je dis bien à mes yeux, ce qui peut impliquer que je sois moi-même à côté de la plaque au moins une fois, mais comment expliquer alors d'autres convergences ?).
Pourtant, tes commentaires n'étaient pas exempts de reproches par rapport à la partition. Donc soit Beethoven a commis des erreurs de notations par rapport à l'œuvre, soit c'est l'interprète et dans ce cas, ce ne peut pas être « tout ». - Citation :
- C'est pour ça qu'on fait l'hypothèse que les lois de la physique sont valables et les mêmes « ailleurs », ce qui, en l'occurrence, revient aussi à supposer qu'elles sont valables et les mêmes « par le passé ». L'étoile jeune dont tu parles a (ou, en tout cas, a eu il y a quelques milliers d'années) une composition chimique qu'on peut étudier d'ici et maintenant, et donc connaître (avec un retard connu lui aussi), ce qui permet de la modéliser avec ce qu'on sait de l'astrophysique stellaire. Une fois que c'est fait, on peut faire évoluer son modèle et connaître ce qu'elle est aujourd'hui, au moment où partent ses photons qui nous atteindront dans quelques milliers d'années seulement, et ce qu'elle deviendra plus tard.
J'attendais l'objection du modèle. Mais puisque tu es d'accord avec moi... |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 4 Déc 2010 - 18:35 | |
| - Pan a écrit:
- Scherzian a écrit:
- Ceci dit, pour les quatre que j'ai citées, c'est quatre fois « tout », à mes yeux (je dis bien à mes yeux, ce qui peut impliquer que je sois moi-même à côté de la plaque au moins une fois, mais comment expliquer alors d'autres convergences ?).
Pourtant, tes commentaires n'étaient pas exempts de reproches par rapport à la partition. Donc soit Beethoven a commis des erreurs de notations par rapport à l'œuvre, soit c'est l'interprète et dans ce cas, ce ne peut pas être « tout ». Bien vu... Ce serait absurde d'invoquer des erreurs de notation qui auraient dévié la partition de l'œuvre, donc ça ne peut en aucun cas être la première possibilité de ton alternative. Mais ce n'est pas forcément la seconde pour autant ; la beauté de quelque chose ne se définit pas par une absence (même pas par une absence de scories), mais par ce qu'elle embrasse. Il faudrait que je réécoute le vainqueur du groupe n°1 pour te répondre à son sujet. Pour celui du groupe n°4, hormis une hiérarchie de phrasés qui n'était selon moi pas optimale dans le I et une ou deux scories au tout début du II, ce n'était pas des reproches par rapport à la partition. Disons que c'est un enregistrement assez ancien, du milieu des années 1960, fait avec des bouts de ficelle et qui n'aura pas coûté bien cher à l'éditeur. À cette époque et dans ces conditions, on ne corrigeait pas si ce n'était pas jugé rédhibitoire. C'est un peu un « studio dans certaines des conditions du direct ». Pour ce qui concerne Michelangeli en 1961, je suis bien incapable d'y entendre la moindre scorie d'aucune sorte. C'est presque incroyable que ce soit en fait un live (Maida Vale). Reste le cas de Sofronitsky. Ici les scories sont très nombreuses, mais j'essaie de faire la distinction entre les modifications de texte qui sont voulues (et qu'on doit donc rejeter à mon avis) et celles qui sont fortuites, inhérentes à la pratique en récital (avec lesquelles on peut vivre), ce qui est le cas ici. Dans cette dernière interprétation, seul me dérange vraiment le quasi-trou de mémoire qu'il a à la mesure n°II.8.2 (mesure qui fait la transition entre la première partie AA' de la variation II et la seconde partie BB'), de 5'27'' à 5'29'' à peu près. Disons qu'ici le tout me semble tellement supérieur à la somme des parties (dont certaines sont en effet défaillantes). Par exemple, c'est la seule à mon avis où la première partie du II justifie a priori (j'allais dire téléologiquement) la seconde et une des rares où toute la sonate tient comme un bloc et non comme deux mouvements juxtaposés. Évidemment tout ça est discutable (et aurait plus sa place dans le fil d'où nous venons...). |
| | | Dadamax Mélomane averti
Nombre de messages : 271 Age : 50 Localisation : Provence Date d'inscription : 07/06/2013
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 25 Nov 2013 - 22:32 | |
| Interprêtation : réflections sur : "Il y aura toujours mésentente, polémique, parcequ'en général l'auteur, le seul qui aurait pu faire (peut être) réellement autorité, n'est plus."
Le claveciniste Scott Ross disait qu'on ne peut faire l'économie d'une analyse... La musique est aussi quelque chose de logique. Une très bonne interprétation peut donner un sentiment d'évidence, la sensation que c'est la seule possible (même si ce n'est pas vrai). Une sonate de Mozart peut sans erreur technique évoquer un ronron au coin du feu ou au contraire des personnages d'opéra...
Scott Ross suggère aussi qu'on ne peut entendre ce qu'entendaient les compositeurs mais on peut déjà voir ce qu'il voyaient. Une préface de pièces pour piano de Mozart conseille de connaître sa musique instrumentale et surtout ses opéras (qui l'obsédaient plus que tout comme on le lit dans ses lettres...), mon prof de piano me disait pour un passage : "voyez, c'est écrit comme pour des cors d'orchestre...", une autre : "çà, c'est un mode de mi : c'est une réminiscence de la musique espagnole, qui a eu beaucoup d'influence à Naples et par là sur toute l'Italie" (Naples a été espagnol pendant 3 siècles).
Il y a eu un travail formidable effectué depuis le 20ème siècle sur la musique ancienne et baroque notamment : certains musiciens ont eu l'idée de ralentir ou accélérer certaines danses en travaillant avec des danseurs, des chorégraphes (qui se sont eux-même inspirés de tableaux, ou bien de la notation chorégraphique de Lully).
Je crois donc que l'histoire peut donner des intuitions, et que à la fin ce sont des critères logiques et d'autres de nature esthétique qui ont fait dire à (encore) Scott Ross : "Il n'y a qu'une seule manière de jouer la musique ancienne : la bonne!" ou à Ravel :"Je ne veux pas qu'on interprête ma musique, je veux qu'on la joue!"
Enfin, l'art est aussi un artifice, pas forcément une science exacte. Beaucoup de créateurs à qui on demande quelle est leur oeuvre qu'ils préfèrent répondent :"celle qui est en cours" : aussi on peut chercher une vérité dans le cerveau de Beethoven autant que dans la réunion d'une partition et d'un interprête. Un compositeur n'a d'ailleurs peut-être pas conscience de tous les aspects de ses intuitions : Chostakovitch a dit une fois aux membres d'un quatuor : "je ne savais pas que j'avais écrit une musique si belle!" |
| | | Contenu sponsorisé
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation | |
| |
| | | | Débat sur l'interprétation | |
|
Sujets similaires | |
|
| Permission de ce forum: | Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
| |
| |
| |
|